lundi 31 août 2020 - par C’est Nabum

Le retour du bâton

Un secret bien gardé.

Il était un temps si lointain que la mémoire s’en perd dans le souffle du vent. La nature dispensait des présents inestimables, accordait aux humains au cœur pur des pouvoirs supérieurs qu'il suffisait de savoir découvrir. Point n’était besoin alors de lever les yeux au ciel pour espérer un miracle ou une intercession illusoire.

Le brave Merlin allait encore de par les chemins évitant le plus possible le commerce de ses semblables qui sillonnaient le vaste monde pour des raisons mercantiles. Pèlerin des bords de l'eau, il arpentait rivières et ruisseaux, marchant toujours le cœur en joie, du pas certain de celui qui n'a d'autre but que d'aller à la rencontre d'un destin bienveillant.

Merlin était connu des cœurs purs comme le marcheur au bâton magique. Bien des légendes et des récits circulaient à propos de cet objet mystérieux qui ne le quittait jamais. Bâton à paroles lors des veillées quand il obtenait l'hospitalité contre de belles histoires, c'était aussi un sceptre sacré aux pouvoirs étonnants.

Laissons le vieux mage achever son chemin, le poids des ans ayant fini par peser lourdement sur son pas et plus encore sur sa volonté de poursuivre sa route. Ce sont deux chemineux qui attirent notre attention : un homme François et son épouse vont au hasard du destin. Flora est une belle sauvageonne, au visage d'ange, aux yeux de braise qui attirent tous les regards. C’est sans doute pourquoi son époux emprunte toujours les chemins de traverse.

Un jour, leur longue existence d’errance se fracassa lors d’une mauvaise rencontre vie ? tourner au drame. Flora, toujours à quérir dans les bois les baies et les racines, les champignons et les herbes délicates fut attaquée par un vieux sanglier, surpris dans sa bauge et qui la chargea impitoyablement. La belle Flora percutée par le solitaire fut projetée contre la pierre tournante de Tavers. Le choc fut si violent qu’elle en perdit la vie.

François fou de douleur et de désespoir, portait sa chère épouse dans les bras. Il marchait droit devant lui comme un dément voulant achever son existence en se jetant dans la Loire avec le corps de son amoureuse. C’est alors que Merlin surgit comme par miracle à l’instant où le malheureux allait mettre son noir dessein à exécution.

Le sage comprit immédiatement le désarroi du pauvre homme ; il lui posa la main sur l'épaule et lui parla d'une voie douce. « Mon ami, j'ai le pouvoir de vous venir en aide. Mon bâton est magique. Il suffit que je pose sa pointe effilée sur le cœur d'un agresseur pour qu'il soit foudroyé dans l'instant. Par contre, à celui qui est parti dans le royaume des défunts, il peut redonner vie par l'imposition de sa partie la plus épaisse sur le front. Il a aussi d'autres vertus que je préfère ne pas divulger ! »

François, que sa douleur avait privé de raison, s'empara du bâton et, d'un coup d'estoc aussi soudain que traître, tua le marcheur vénérable avec son propre secret. Sans perdre une minute, il appliqua l'autre extrémité sur le front de la belle qui ne tarda pas à rouvrir les yeux. Flora était revenue à la vie. Retrouvant ses esprits elle interrogea son compagnon pour comprendre pourquoi un vieillard gisait à ses pieds.

François, prit soudainement conscience de son infamie. Il confessa son forfait et rapporta les propos du vieil homme qu'il avait honteusement trompé. Flora, humiliée par cet aveu prit le bâton des mains de son époux. Elle le posa délicatement sur le front du Merlin qui revint du monde des gisants. Quand le mage revint à lui il confia à la jeune femme que ce n'était pas la première fois qu'il lui advenait pareille mésaventure. L'envie de posséder un talisman est souvent trop forte pour que les hommes soient en mesure de se contenter de bénéficier de ses bienfaits. Le désir de faire le mal est souvent plus grand que celui de faire le bien. Mais toujours, les rescapés le ramenaient à la vie, ayant appris, durant leur voyage, la vanité de nos désirs terrestres.

Flora buvait les paroles du vénérable vieillard tandis que François, le rouge au front, ne savait ni où se mettre ni que dire pour justifier son indigne comportement. Il se força cependant à balbutier quelques mots de contrition, embrassa une dernière fois sa femme bien-aimée, et s'en alla sans demander son reste. Jamais on ne le revit et il est fort probable qu'il se fit ermite pour expier sa folie.

Merlin était au bout de sa vie, las de tant de méchanceté parmi les hommes, il déclara vouloir confier ses secrets à la belle Flora car le bâton en possédait encore d'autres. Celui qui glisserait sa main dans le cordon disposerait alors de toutes les richesses spirituelles qu'il pourrait désirer. Quant à celui chargé d'un trop lourd fardeau dans l'existence, il lui suffirait de porter le bâton sur ses épaules pour soulager ses peines et ses difficultés.

Merlin lui précisa que ces pouvoirs merveilleux ne valaient que si le bénéficiaire potentiel de ces bienfaits avait le cœur pur et ne cherchait pas les richesses illusoires de ce monde. Sinon, le retour de bâton serait foudroyant.

« C'est à ton tour, ma belle, de prendre le relais. Je suis trop las de cette responsabilité. Je te devine assez forte pour ne pas te laisser corrompre par les sourires enjôleurs, les grimaces trompeuses et les courbettes fallacieuses. Tu sauras du premier regard discerner la sincérité de la fourberie. Éloigne-toi des grandes cités, des belles demeures et des riches contrées : les humains n'y sont pas tous aussi convenables qu'ils veulent bien le laisser croire … »

Merlin confia son bâton et s'en alla sans se retourner. Son pas se fit alors plus lourd. Son dos se voûtait à vue d'œil. Flora comprit qui lui convenait de s’éloigner par pudeur. Elle choisit les chemins écartés de notre Val et de nos forêts afin de dispenser parcimonieusement les bienfaits du bâton magique.

Le bâton magique fut alors transmis de génération en génération par ceux qui dans la lignée de Flora avaient les mots pour toute richesse. J’ai eu la chance d’en hériter d’une vieille grand-mère qui me fit promettre de n’en jamais abuser. L’essentiel, me dit-elle avant d’aller sur l’autre rive, c’est de raconter son histoire bien plus que d’en user immodérément. Je compte bien m’en tenir à cette promesse.

Magiquement votre.

 



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