mardi 18 mars 2014 - par C’est Nabum

Le seul cadeau qui soit !

Fable dominicale

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Vivre d'amour et d'eau fraîche

Il était une fois en bord de Loire un couple de gens ordinaires. Se connaissant depuis toujours, vivant dans la même rue, sur le même quai, ils avaient grandi dans le même environnement et, quand le temps fut venu de fonder un couple, ils étaient tout naturellement tombés dans les bras l'un de l'autre.

Il n'y eut guère de complications pour obtenir l'accord de leurs familles. Nous avions là des gens de peu qui n'ont d'autre richesse que leurs bras et les quelques biens durement acquis au cours d'une vie de labeur. Ni dot, ni fête somptuaire, ni contrat chez monsieur le notaire. Une cérémonie simple, un repas tout juste plus copieux que les jours précédents et tout fut scellé sans fanfreluches ni grimaces.

Armand vivait chichement de son métier de tonnelier. Il travaillait chez son père dont il espérait un jour prendre la suite, l'entreprise devant sa toute relative prospérité à la maison Dessault qui lui passait, depuis toujours, commande de tonneaux avec une grande fidélité. Armand était certain d'avoir du labeur plus qu'il n'en pouvait fournir ; il était également certain de ne pas faire fortune pour autant.

Marguerite travaillait pour les autres : les bourgeois du village, les maîtres qui voulaient avoir belles nappes et beaux draps. Elle était laveuse et s'usait les mains dans l'eau de la rivière. Elle gagnait quelques sous par jour, juste de quoi manger à sa faim, se vêtir quand besoin était et rien de plus. Avec son Armand, il n'était pas question de rêver de voyages ou bien d'une quelconque folie.

Armand et Marguerite se souciaient peu de tout ça. En se retrouvant le soir dans leur humble appartement, ils songeaient à la maison qu'ils loueraient quand ils auraient le bonheur d'avoir des enfants ; ce moment venu exigerait un labeur doublé et encore plus de sacrifices si possible.

Hélas, ils n'eurent jamais ce bonheur : le peu qu'ils avaient n'aurait donc pas à se transmettre. Quand son père mourut, Armand prit la succession, ne gagnant pas beaucoup plus et partageant avec un compagnon qui remplaçait celui qui n'était plus là. Son véritable héritage fut une magnifique montre à gousset en or qu'il remontait fièrement tous les soirs et rangeait dans un placard. Elle était bien trop belle en effet pour traîner dans la poche d'un pantalon de velours …

Marguerite n'avait jamais rien reçu de ses parents, plus pauvres encore que ceux de son Armand. Ni héritage ni bien propre. Sa seule richesse était sa bonne santé, sa belle chevelure qui faisait que, malgré le poids des ans et du travail, les hommes continuaient de se retourner à son passage. Elle en souriait, n'ayant d'yeux que pour son tonnelier au grand cœur.

Un jour pourtant l'harmonie dans le couple vint à se fissurer légèrement. Un petit rien, une fantaisie qui vient à vous prendre, on se demande bien souvent pourquoi. Un jour qu'il faisait un beau temps à flâner sans but, Armand et Marguerite décidèrent d'aller à la grand' ville, voir comment vivaient les belles dames et les grands messieurs qui menaient grand train et belle vie.

Il n'y eut pas loin à aller pour parcourir les quelques lieues qui séparaient leur village de la préfecture. Ils empruntèrent le chemin de halage, admirèrent les bateaux qui voguaient fièrement sur la rivière. Ils croisèrent bien des gens qui avaient eu cette même envie de baguenauder en ce beau jour de mai. Les premiers soleils vous mettent toujours un peu de folie en tête.

La leur allait mettre à mal la quiétude d'une vie réglée et simple. Marguerite passa devant une vitrine et s'y arrêta longuement. Elle ne dit rien mais elle avait les yeux perdus dans le vague. Armand l'appela deux ou trois fois ; elle semblait ne pas répondre. Il s'approcha à son tour et en regardant par-dessus son épaule, crut déceler l'objet de sa convoitise. Jamais il ne lui avait fait le plus petit cadeau ; la tonnellerie marchait bien, il n'était plus temps d'espérer des enfants, il pouvait bien faire une folie …

Sans rien dire, le lendemain Armand sortit discrètement la belle montre de sa cachette. Il n'aurait pas de fils à qui la transmettre, à quoi bon la conserver pour l'emmener dans la tombe ? Il était temps de la vendre pour donner à sa Marguerite cette barrette en cristal sertie de quelques petites pierres précieuses. Sa chevelure serait, pour ce bijou, un écrin bien plus seyant que le tiroir dans lequel dormait sa vieille montre en or.

Il n'eut pas beaucoup à négocier avec le marchand. L'affaire semblait satisfaire les deux parties et Armand pouvait offrir enfin un cadeau de reine à sa belle Marguerite. Il décida d'attendre le dimanche suivant pour lui faire cette magnifique surprise.

Ce jour tant attendu par le tonnelier, sa Marguerite partit de bonne heure pour une destination de lui inconnue. Elle revint vers midi, coiffée d'un fichu. Elle était radieuse et son sourire illuminait sa beauté. Armand ne pouvait plus attendre, il se précipita vers elle, l'embrassa fiévreusement et lui offrit ce qu'il lui avait caché depuis quelques jours.

Marguerite déballa ce paquet mystérieux et, quand elle vit la barrette-bijou, elle partit d'un fou-rire qu'elle ne pouvait plus réprimer. Armand tout d'abord surpris, au bout de quelques minutes, sentit monter en lui une colère inhabituelle. Sa femme, sa douce dame ne cessait de rire. Il lui en voulait de ne pas accorder à son cadeau la solennité dont il rêvait.

Marguerite comprit le trouble de son amour de toujours. Elle ne voulait nullement le blesser. Elle défit le foulard qui enserrait son visage et Armand constata qu'elle avait fait couper le matin même sa belle crinière, sa magnifique chevelure contre laquelle elle avait eu, en échange, une petite chaîne en or pour la belle montre à gousset de son mari.

Cette fois, c'est Armand qui partit d'un fou-rire quand il vit cette petite chaîne pour laquelle il n'aurait jamais plus usage. Il réussit à lui expliquer ce que lui-même avait fait en début de semaine. Alors chacun d'eux comprit ce que l'autre avait vu dans la vitrine du marchand. Ils n'en furent pas malheureux, bien au contraire. Cet épisode renforça encore leur amour, ils s'embrassèrent et malgré l'heure inhabituelle, fermèrent les volets et ne sortirent plus de la journée.

Quelques mois plus tard, ils avaient tous deux oublié la montre et les cheveux. Ils avaient obtenu du marchand qui n'avait pas perçu le quiproquo dont il avait été l'acteur involontaire, quelques sous contre la revente de la chaîne et de la barrette inutiles. L'homme n'avait pas été pingre, il avait montré de la compréhension et même un peu de générosité.

Il faut dire que soudain le besoin d'argent s'était fait sentir. Marguerite avait vu ce ventre, qu'elle pensait à jamais plat, grossir et prendre de belles rondeurs. L'après-midi passée, volets clos, avait éveillé une matrice qui n'avait rien voulu entendre durant des années. Le plus beau des cadeaux allait combler Marguerite et son Armand.

Ils le furent au-delà de leurs espérances. Marguerite donna naissance à des jumeaux : un garçon et une fille. Il n'y avait plus à regretter la montre qu'on transmettait de père en fils dans la famille d'Armand. Il n'était pas question de distinguer l'un de l'autre dans ce cadeau de la divine providence (ils avaient été conçus un dimanche). L'amour dans cette famille remplaça au centuple les biens matériels qui venaient parfois à manquer.

Il n'y a dans cette histoire ni morale ni leçon à retenir. C'est parce que Marguerite et son Armand acceptèrent de bon cœur ce qui aurait pu devenir un drame dans bien des couples, qu'ils scellèrent leur pardon de la plus charnelle des manières. Bien leur en prit puisqu'ils reçurent ainsi ce qui leur avait été refusé si longtemps. Que tout cela se passa à l'heure des vêpres manquées exceptionnellement ce fameux jour, prouve simplement que le seigneur n'est pas si regardant que ça sur la chose et les principes !

Amoureusement leur.

 



10 réactions


  • Qaspard Delanuit Qaspard Delanuit 18 mars 2014 12:53

    Belle histoire et, comme souvent avec cet auteur, illustrée d’une photo au charme lumineux. 


  • auguste auguste 18 mars 2014 17:04

    @ C’est Nabum

    J’aime vos beaux contes, qui devraient vous faire de bons amis.

    J’ai suivi votre conseil :
    Préférer un bon bouquin à un mauvais match de rugby et j’ai trouvé la perle rare, perdue parmi des centaines d’ouvrages qui dorment dans une bibliothèque poussiéreuse :
    « Vieux Contes de L’Aubrac » par Ernest Plagnard ( Editions Subervie), dont il a été tiré 300 exemplaires sur papier alfa numérotés de 1 à 300 et constituant l’édition originale, dont je possède l’exemplaire N° 14.

    Un vrai trésor !

     


  • auguste auguste 18 mars 2014 17:12

    @ oncle archibald

    je vous raconterai plus tard deux ou trois anecdotes qui pourraient s’intituler :
    Auguste et les vieilles dames indignes
    .
    Sûrement grivoises mais pour fins gourmets ;)


  • auguste auguste 19 mars 2014 16:34

    @ C’est Nabum

    Croyez bien que j’aimerais vous faire plaisir, mais vous me demandez l’impossible, car je ne dispose pas du matériel adéquat.

    Pas de scanner, un PC qui ne tardera pas à fêter son quinzième anniversaire, du moins je l’espère, qui « tourne » sous une version parmi les plus légères de Linux, le tout couronné par un Internet très rural...et je suis indulgent.

    Je ne sais que faire pour vous, à part vous donner les références de cet ouvrage de 164 pages :
    Achevé d’imprimer le 20 juin 1959 sur les presses de l’imprimerie Subervie à Rodez.
    Dépôt légal 1959.
    Deuxième trimestre.

    Désolément vôtre.

    P.S. : Je n’ai pas de retour par mel du suivi de ce fil, mais je sais où vous retrouver pour vous conter les exploits de mes vieilles dames indignes.



  • biduline2011 biduline2011 22 mars 2014 08:07

    Très plaisant a lire...
    J’aime les gens qui racontent des histoires...
    Merci


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