lundi 21 août 2017 - par C’est Nabum

Le souffleur de temps

Bernard, le conteur limousin.

Il est né en 1960 au cœur d’un limousin qui se refusait encore à la modernité envahissante. Tous les siens parlaient en patois, défendant encore des traditions et des croyances que l'école de la République était chargée de gommer. Bernard, lui a résisté à la grande machine d’uniformisation, sans aucun mérite, simplement par amour et respect pour les siens.

Son père était cantonnier, un de ces gars qui autrefois entretenaient les routes et les bas-côtés en usant le moins possible d’engins bruyants. Albert, lui, était le roi de la faux qu’il aiguisait avec passion chaque matin avant d’aller couper à ras, mieux qu’une tondeuse, les fossés et les rebords de nos routes. Parfois, le labeur lui donnait un peu soif et Albert et ses collègues s’offraient une belle rasade de vin du pays.

Bernard se souvient encore que quelquefois, son père rentrait un peu éméché. C’est que le travail avait été rude. Sa mère couchait le bonhomme et les enfants passaient la nuit parmi les borborygmes du gentil cantonnier. La deux-chevaux, seule entorse à la modernité, avait retrouvé le chemin.

Pour les travaux des champs, le grand-père ignorait tout de ce maudit tracteur. Il attelait deux vaches au joug, ce qui n’était pas une mince affaire quand il fallait changer une des deux bêtes. Une journée durant c’était un véritable rodéo jusqu’à ce que la nouvelle venue accepte le lourd collier de bois.

Dans la ferme, on tuait le cochon. C’était la fête et le grand moment de transmission des rites et des proverbes. Bernard s’est nourri tout autant de la chair de l’animal que des mystérieux dictons météorologiques de sa grand-mère. Il se crachait dans la main pour briser l’Arc-en-ciel, regardait la forme des nuages pour prévoir le temps à venir et savait que rien n’est jamais certain dans ce monde des croyances ancestrales.

Il est allé à l’école avec un maître sévère qui vous décollait du sol en vous tenant par les cheveux. Il n’était pas question de s’en plaindre, la famille soutenait l’instituteur. Bernard apportait une bûche l’hiver pour charger le vieux poêle qui trônait au centre de la classe. Il fréquentait également l’école de Dieu avec un curé en soutane qui jouait au football et avait des idées de gauche. Le vicaire avait été résistant, Bernard l’admirait et c’est sans doute lui qui en fit un mutin et un païen.

Avec le sourire aux lèvres, le conteur limousin évoque alors ce magnifique aphorisme : « Il y a trois sortes d’individus sur terre, les moutons, les mutants et les mutins. » Sans nul doute, il a choisi pour toujours son camp, refusant la modernité, ne disposant ni de téléphone ni d’ordinateur et vivant par intermittence de son métier.

Pour assurer l’essentiel, il cultive son jardin tout autant que sa différence. Il a hérité du grand-père l’art de faire monter les haricots verts aux rames. Il s’inquiète d’ailleurs de sa prochaine récolte qui va donner alors qu’il fait le « druide » en bord de Loire. Il attend encore des choux et des raves, des légumes qui viennent comme s’ils étaient attendus.

Son autre jardin est littéraire. Il aime les mots, les aphorismes tout particulièrement, ceux qui viennent pointer du doigt les faiblesses d’une humanité qui marche sur la tête. Lui, il a les deux pieds dans le sol. Point n’est besoin d’avoir des sabots pour disposer de solides racines ! Les siennes sont ancrées dans sa terre limousine, dans son passé qui en dépit d’une révolution qui vous arrachait les pavés, perdurait encore dans sa ferme natale.

J’ai trouvé en Bernard d’Uzerche un frère en paroles, un homme au parcours pas si éloigné. Nous avons grandi entourés de cette conviction profonde que la sagesse ne vient jamais de ceux qui courent comme des forcenés vers l’avant. Il convient de fixer les aiguilles, d’interrompre leur course effrénée. En soufflant parfois sur le temps, il remonte en une époque qui prenait la vie du bon côté, écoutant les anciens, respectant les saisons et prenant ce confort qui n’existe plus aujourd’hui, celui de la discussion simplement pour le plaisir de l’échange.

Raconteusement sien.

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Photographie d’Olivier Parcollet


13 réactions


  • juluch juluch 21 août 2017 11:55

    Un poète marginal....

     smiley

  • Aristide Aristide 21 août 2017 13:13

    des traditions et des croyances que l’école de la République était chargée de gommer ...


    En 1960 ? L’école était un lieu assez protégé de tous les excès d’une république jacobine et normalisatrice. Même si elle constituait le lieu de l’apprentissage de la citoyenneté, de la prorogation de quelques valeurs universelles, ... Je n’ai pas de souvenir de cette « opposition » aux usages, traditions et croyances ... Sur le plan des croyances, il y avait une évidente distance mais aucune trace, pour moi, d’une quelconque mise en avant de l’athéisme. 

    Il me semble que la société des années 1960 était, elle, beaucoup plus normalisatrice, l’école n’en était surement pas le lieu le plus représentatif. D’ailleurs la décennie s’est terminé par un mai 68 qui a été plus une réaction assez unanime à la rigidité de la société qu’à une quelconque révolution manquée comme on peut le lire ici ou là.

    • C'est Nabum C’est Nabum 21 août 2017 16:19

      @Aristide

      Méfions nous des évidences
      La liberté aime les contraintes et les fausses mansuétudes sont des prisons redoutables


  • marmor 21 août 2017 19:46

    Je vois que le Bernard n’a quand même pas oublié de poser la sébile à côté, l’art c’est bien, mais l’oseille c’est mieux ! à l’instar de ce bon nabum qui utilise Avox comme plateforme publicitaire gratuite pour tenter de vendre quelques bouquins !!


  • Henry Canant Henry Canant 21 août 2017 20:48

    Nabum,

    N’écoute pas le vil Robert Lavigue, qu’un homme dévoré par la jalousie.
    J’ai apprécié ton texte si beau et si vrai.
    Je te remercie d’avoir tenu compte d’une ancienne de mes remarques sur le fuel et de l’avoir remplacé par du bois.
    Note pour éviter une ŕépétition que tu pourras aisément plus tard par un poêle à charbon.

    Tes textes gagnent de plus en plus en crédibilité.

    Continue, tu apportes un peu de bonheur et de joie dans ce monde si cruel, et surtout de l’espérance malgré une future république islamique à plus ou moins brève échéance.

  • Bernie 2 Bernie 2 21 août 2017 21:27

    @ Robert & Henri

    Vous êtes trop bons les mecs, j’ai bien rigolé. Maintenant j’ai mélangé la bonne sœur à la guitare et le poêle à bois, je trouve à c’est Nada un coté Landru.

    Piquer la thune des vieilles, et comme il disait, maintenant, maman, au charbon !


    • Bernie 2 Bernie 2 21 août 2017 23:31

      @onésime

      Honnêtement, je ne vais pas pleurer, notre tankiste pourra retrouver sa star sur plein de médias. Mais vu les réponses laconiques de C’est Nada à ce cher Juluch, il ne perdra pas grand chose.


    • Bernie 2 Bernie 2 22 août 2017 00:35

      @onésime

      Il réponds éculé, mais je me demande où il place sa N. Je vais pas chercher, trop compliqué vu l’heure. A plus tard.


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