Le temps suspendu
L’ultime seconde.
Le temps en désespoir de cause s’est suspendu à la grande aiguille d’une horloge figée pour l’éternité dans son immobilité, au clocher d’une église désaffectée. Même le coq, perché un peu plus haut a renoncé à chanter chaque matin au lever du soleil. Il se passe quelque chose d’inquiétant, chacun pressent l’arrivée imminente du jugement dernier.
Dieu, le grand horloger est au désespoir. La crise des vocations de ses représentants sur terre, de plus en plus hostiles au redoutable et injuste sacrifice du célibat, explique la situation actuelle. L’heure est grave et il n’y aurait pas une seconde à perdre si ce n’était hélas, déjà trop tard ! Le temps a cessé sa course folle, il a renoncé dans l’instant à s’accorder la possibilité de se donner un avenir.
Le temps tournant le dos à son inexorable fuite, refuse désormais de s’écouler, se figeant comme une statue de marbre, il arrête soudainent la course folle de tous destins, intimement liés à son, jusqu' alors, inéluctable déroulement. Tout s’arrête, le présent est aux anges en dépit des remontrances du Tout puissant. Il y a diablerie se dit ce dernier, dans cette fin du temps qu’il n’avait pas encore programmée. Il se sent pris de vitesse par une puissance supérieure, lui qui se croyait depuis la création au-dessus de toutes les créatures.
Dieu n’a plus le temps lui qui depuis toujours avait l’éternité comme joyeuse perspective. Il se trouve dépourvu d’un passé qui a perdu tout sens, d’un demain qui est aboli, d’un présent qui a plongé dans un trou noir. La vie n’a plus de raison d’être, Dieu se mord les temps d’avoir si sottement lié sa création, à ce temps qui joue à son corps défendant sa mauvaise tête.
Il se dit après tout qu’il suffit de lui remonter la pendule, de lui tricoter une nouvelle chronologie avec les aiguilles de l’horloge, pour redonner souffle à son existence. Mais l’autre se refuse à lâcher prise, il reste sur sa position, celle qui contraint le Créateur à mettre un point final à cette belle aventure.
Que s’est-il passé au juste pour en arriver là ? Le temps depuis quelque temps, faisait sa mauvaise tête. Les changements d’heure affectaient son humeur, le triomphe de l’affichage numérique lui tapait sur le système, la victoire des horloges nucléaire lui sapait le moral. Il avait pourtant prévenu le grand architecte qu’en laissant faire, il risquait de bloquer l'engrenage. L’autre n’en faisait qu’à sa tête, incapable d’écouter le moindre conseil, qu’il vienne de Saint Pierre ou de l’esprit saint, de son rejeton ou bien de sa pauvre mère.
Le temps était venu, il avait vu et depuis cet instant crucial, il avait vaincu, crucifiant la trinité et toute son œuvre. Au vide sidéral, il convenait d’ajouter son homologue temporel. Les mondes se fracassaient, l'apocalypse, tant redouté par la faute des humains et leur délire consumériste, n’aurait pas lieu. Tout s’était passé en douceur en une fraction de seconde, il n’y avait plus rien, simplement, parce qu' auparavant ne s’était jamais produit non plus.
L’arrêt du temps, n’est pas qu’un simple temps mort, c’est bien plus ou bien moins encore. La dissolution de toute chose, l’effacement de tout ce qui fut et de tout ce qui aurait pu être. Il n’était plus temps de tirer des plans sur la comète, de lire l’avenir dans le marc de café, de décrypter les possibles dans le mouvement des astres ou bien d’éventrer un oiseau pour y voir les augures. Il était trop tard, il n’y avait plus ni Comète ni étoiles, ni café ni même oiseaux.
Il n’y avait plus rien et ce texte apocryphe va lui aussi disparaître au terme de son écoulement. Il s’accordera une dernière exclamation pour y glisser un point d’exclamation. C’est une fantaisie de l’auteur qui, il est temps de l’avouer, n’a jamais su maîtriser la concordance des temps. Faute avouée ne peut plus être pardonnée ! Le temps n’est plus et seuls, une fois encore, les points de suspension sonneront le glas, à l’horloge immobile de la toute dernière seconde…
Finalement vôtre.