jeudi 10 janvier 2019 - par C’est Nabum

Les étiquettes

Ça vous colle à la peau.

C’est la période des soldes sans doute qui pousse certains à user des étiquettes au rabais, afin de désigner les uns ou bien les autres, n’accordant de prix aux individus que lorsqu’ils rentrent bien sagement dans une case pour mieux les compter ou les classer, déterminer leur traçabilité ou encore leur provenance. L’individu n’existe donc plus pour lui-même ni par lui-même. Doit-il obligatoirement satisfaire à ce besoin stupide de taxinomie anthropologique ? C’est à se le demander.

Un député en balade dans sa circonscription se réjouit, dans un contexte certes un peu brûlant, de se retrouver paisiblement en contact avec ceux de la Ruralité, ultime refuge, d’après lui, de la vraie vie quoique ce dernier n’ait jamais daigné rendre visite aux gens de Bou, lui qui est allié avec ceux qui sont en marche. La belle affaire que voilà, non seulement ces braves citoyens, attablés innocemment à la table d’un restaurant n'ont rien demandé à personne mais les voilà promus sur les réseaux sociaux, les dignes et merveilleux représentants d’une nouvelle sous-classe dans l’évolution des espèces.

La Fontaine avait, bien avant notre gentille vedette médiatique, distingué les Rats des champs et les Rats des villes. Le temps est sans doute venu d’écrire une fable sur les ruraux si urbains et les urbains si peu patelins. Les mots nous échappent tandis que chacun fait désormais ce qu’il veut avec la langue. On se perd dans le lexique de la phylogenèse, les êtres humains sont par essence inclassables, uniques et totalement particuliers. Une singularité qui ne passe guère sous les fourches Caudines du formatage systématique.

Ceux de la Ruralité échapperaient-ils à cette évidence ? Il convient dans l’instant de mener une grande étude, nécessairement scientifique, pour chercher les gènes qui justifient leur côté bonhomme, leur tranquillité, leur sagesse, l’art du bien vivre loin des tumultes citadins que notre homme leur attribue avec emphase. Il y aurait alors matière à quelques manipulations génétiques pour transformer les trublions des cités en aimables pécores inoffensives et bienheureuses.

La Ruralité serait donc le refuge des valeurs ancestrales, de la quiétude, de la philosophie et de tout ce qui fait société dans un monde qui perd son sens du vivre ensemble. Le député l’affirme implicitement puisqu’il exprime son admiration pour ces gens, qui, curieuse coïncidence, seront un jour prochain, d’éventuels électeurs. C’est donc avec certitude que je détermine une caractéristique indiscutable d’appartenance à cette classe : les pensionnaires de la branche humaine dite de la Ruralité peuvent et doivent se caresser dans le sens du poil. Nous avançons dans l’identification de ceux-là, ils auraient donc un système pileux plus fourni que les abominables cohortes de la Citadinité !

Est-ce donc la raison de ce désir toujours plus affirmé des pouvoirs successifs de retirer aux premiers ce qu’on donne toujours plus aux seconds. Serait-ce parce qu’ils sont bons à tondre du fait de leur pilosité abondante, marque évolutive d’appartenance à la Ruralité, que ces braves gens paient au prix fort l’essence, l’absence de services publics, le départ des médecins, les difficultés de transport et autres réjouissances qui ont provoqué la crise actuelle ?

C’est une hypothèse qui cependant tombe à l’eau quand on découvre que le gouvernement, soutenu par ce gentil député faussement rebelle, n’a qu’un désir « Plumer les ruraux ! » La classification est formelle à poil ou à plume il faut choisir ! Quoiqu’à bien y regarder, à force de plumer les individus, sans distinction d’ailleurs de cases hormis celle du compte en banque, les plus pauvres, les victimes privilégiées de nos responsables si patelins, se retrouvent précisément totalement nues.

De ce paradoxe est née sans doute la colère actuelle. Ces êtres, dépouillés et sans espoir entendent envoyer se rhabiller ceux-là même qui les ont ainsi pris pour des vaches à lait depuis si longtemps, vaches du reste qui comme chacun sait, aiment à côtoyer les vastes espaces de la Ruralité. C’est d’ailleurs pour ne pas faire tourner le lait que le Premier ministre, constatant que les petits trains de nos campagnes ne circulaient plus, a souhaité ralentir le flot des automobiles sur lequel les braves ruminantes avaient jeté leur dévolu. La boucle est bouclée, nous revenons au point de départ, la visite d’un élu de la République au cœur de la Ruralité et pas besoin de brosser le cuir de ceux qui résident dans ce désert administratif.

Moqueusement sien.

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