Maître et Vannier
Un brin de causette.
Plus de soixante-dix ans durant, Monsieur Maître a tenu boutique tandis que longtemps, il allait également dans son atelier tresser les brins d'osier pour réaliser des merveilles. Son magasin était une référence, un passage obligé pour ceux qui, ayant quitté le village pour des raisons professionnelles, ne manquaient jamais de passer par ce lieu emblématique, symbole du Sully d'Avant.
À chaque naissance d'un enfant ou d'un petit enfant, pour moi, l'achat de ces petits fauteuils en rotin devenait au fil du temps ce symbole d'une transmission et d'un attachement au pays natal. Pour créer le personnage du Bonimenteur, il fallut également un objet venu de la vannerie, comme un talisman pour que l'aventure ait les pieds dans le passé. Ce fut la bourriche qui ne me quitte jamais… même si elle a depuis, pris des couleurs avec une jeune vannière de grand talent en activité Isabel McGarva, une sorte de passage de témoin que j'avais expliqué à monsieur Maître.
Car l'homme a tenu son magasin jusqu'à sa grande traversée pour l'autre rive, à l'âge vénérable de 97 ans. Une longévité incroyable pour celui qui ne voulait pas être artisan mais professeur. Au fil de nos conversations, je découvris un homme curieux, lettré, un être charmant et ouvert avec lequel j'aimais converser. Il fut l'un des rares sullylois à m'acheter régulièrement mes ouvrages tandis qu'ils étaient mystérieusement boudés par ses voisins.
Je me promettais toujours d'en faire son portrait, de l'interroger plus avant pour narrer son histoire sans oser véritablement le lui proposer. Puis, il y eut la maladie de son épouse qui troubla énormément celui qui se rendait deux fois par jour à son chevet. Je le sentais moins disponible, l'esprit troublé par cette maudite maladie de la mémoire dont elle souffrait. Il était alors mal venu de solliciter la sienne.
Son deuil le diminua, l'âge se fit sentir. Robert garda encore la boutique malgré tout, fidèle au poste et n'envisageant pas de prendre une retraite qui n'avait aucun sens. C'est à l'ouvrage, l'artiste toujours sur sa scène que la camarde vint quérir celui qui se refusa à elle si longtemps. Il n'était plus possible de le questionner, seule son évocation s'imposait comme une évidence, un geste que je me devais de lui offrir par-delà les limbes.
Je craignais encore que ce magasin qui recèle tant de trésors allait rester clos pour toujours. C'était sans compter sur l’atavisme familial. Sa fille a repris le flambeau, consacrant un peu de temps à l'ouverture de cette caverne d'Ali Baba de la vannerie. Je lui rendis visite, profitant de sa présence pour faire un achat et entamer la conversation. J'eus le sentiment de prolonger les discussions passées avec son père ; les chats ne font pas de chiens.
Elle prendra la suite deux années durant pour que vous ayez tous le plaisir de franchir cette porte si vos pas vous conduisent dans mon Pays d'en-France, Sully-sur-Loire. Vous n'aurez pas à le regretter surtout si vous n'oubliez pas que la maison ne prend pas la carte bleue. Je suis certain que vous trouverez l'objet qui vous séduira. À défaut, vous ferez une plongée dans le passé en admirant la vitrine et surtout en glissant un œil dans l'atelier.
Je sais qu'une vedette du cinéma installée non loin de là, Nicolas de son prénom et porteur d'un nom éponyme, se faisait lui aussi un devoir de rendre visite au vieux vannier. Il est possible que dans son film « L'école buissonnière » quelques objets viennent de l'endroit. À votre tour, laissez-vous porter par la curiosité même si quelques doctes individus ont jugé bon de prétendre que ce commerce comme tant d'autres, n'était pas essentiel. Il est en tout cas indispensable à mon équilibre ; je ne peux passer ici sans y prendre le temps d'un regard ou d'une visite.
Homagement sien.