samedi 24 octobre 2015 - par C’est Nabum

« Quand même ! »

L'aventure des mots

Terrible pondération.

Il est une expression qui me rebrousse le poil surtout quand elle m'est destinée et, pire encore, lorsqu'elle vient sanctionner l'une de mes productions. « C'est bien quand même ! » J'en tremble d'effroi à chaque fois. Toutes les nuances possibles viennent se glisser derrière cette pondération qui fleure bon le mépris, l'incrédulité, le doute et que sais-je encore ?

Pourquoi les gens viennent-ils se fendre d'un compliment qui se transforme dans l'instant en un terrible sentence ? « Nous sommes très surpris que quelqu'un d'aussi médiocre que vous soit capable de nous proposer une telle chose. » À moins que ce ne soit l'inverse : ce qui soulignerait encore plus lourdement le reproche essentiel. « Malgré tous les efforts que vous avez déployés, votre travail est tout juste bon à un léger compliment ! »

Ce « quand même » est si fréquent que je m'interroge sur la sincérité de tous ceux qui se fendent d'une telle annotation finale. Ils feraient mieux de ne rien dire plutôt que de finir par cette locution adverbiale qui pourrait se confondre avec malgré tout ou malgré vous. À franchement parler : on ne sait plus à quel saint se vouer quand il surgit et marque le propos précédent au fer rouge.

Ce « quand même » ne marque pas l'impatience de son homologue qui surgit précédé d'un ah exclamatif. « Ah, quand même ! » est plus glorieux même si lui aussi contient un reproche. Vous avez beaucoup tardé, vous avez mis le temps mais cela valait la peine d'attendre. Sans son « Ah », notre « quand même » est à la peine, celle surtout de celui qui reçoit en pleine figure ce compliment qui n'en est pas.

Que vient faire la comparaison dans cette locution si curieuse qu'elle mérite un billet ? Ce n'est pas du pareil au même, loin de là, d'ailleurs. Le même est ici l'ennemi du semblable. Il vous prend à la gorge, vous pourchasse au plus secret de votre amour-propre. Votre interlocuteur pourfend ce que vous aviez mis tant de cœur à produire et le diable le fait sans même s'accorder le droit à la sincérité.

Quand osera-t-il reconnaître à brûle-pourpoint que vos efforts ne valent pas tripette ? Point n'est besoin de jouer les hypocrites et de glisser « C'est bien » devant ce propos fatal et néanmoins final. Allez, un peu de courage, avouez votre incompréhension, votre désapprobation, votre indifférence ou votre rejet mais fuyez donc cette circonlocution de peu d'éclat.

J'aime que les choses soient dites franchement. « C'est bien quand même ! » est à l'exact opposé de cette exigence. Je ne le supporte plus, j'enrage et je bisque à chaque fois qu'il résonne à mes oreilles. Il sonne le glas de mes espérances, il brise mes espoirs, il détruit mes dernières illusions. Ah, qu'elle fait mal cette maudite locution !

Elle est bien adverbiale puisqu'elle arrive invariablement dans les jugements de mes censeurs. Preuve s'il en était que je devrais renoncer à aller plus avant dans ce délire textuel qui m'habite. Que ne retiens-je pas le conseil que sous-tend ce terrible « Quand même ! » Quand allez- vous cesser de nous casser les oreilles avec vos délires pompeux ?

Puisque vous aimez les adverbes vous allez être servi : « Jamais ! ». Celui-ci a au moins le mérite de la franchise. Il claque sans faire semblant ; il porte en lui sa seule vérité sans prétendre affirmer autre chose. J'aime ce refus de l'ambiguïté qui le caractérise et qui est à l'opposé de son collègue.

Étant toujours à la recherche d'un sujet, ce « Quand même ! » est venu frapper mon imagination tandis que nous montions les stands du Festival de Travers. Mon esprit a suivi les contours qu'impose cette belle appellation ; je me suis promis d'écrire un billet sur cette petite locution qui n'est jamais sans importance. Gardez-vous désormais de me la servir, vous savez ce que j'en pense.

Adverbialement vôtre.

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15 réactions


  • juluch juluch 24 octobre 2015 13:40

    C’est bien quant meme ce p’tit billet......... smiley





    Pas taper s’il vous plait !  smiley

    • C'est Nabum C’est Nabum 24 octobre 2015 13:50

      @juluch

      Quand bien même vous l’eussiez dit autrement, venant de vous, j’accepte ce compliment


    • juluch juluch 24 octobre 2015 14:04

      @C’est Nabum


      En voilà une jolie rime !! smiley

      je viens de voir que j’ai fait une faute d’orthographe....dans mon post en haut.... smiley

    • C'est Nabum C’est Nabum 24 octobre 2015 15:01

      @juluch

      J’aime les mots de travers et déteste rien plus que l’orthographe qui m’a toujours fait souffrir


  • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 24 octobre 2015 18:15

    « C’est bien quand-même » ne vient-il pas généralement après une série de critiques négatives ? C’est une manière polie de les atténuer, non ?


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 octobre 2015 19:01

      @Jean J. MOUROT

      Non, je ne crois pas

      C’est un tic de langage qui sous-entend le contraire de ce qui veut être dit.
      Assez étrange quand bien même le chose serait involontaire !


  • marmor 24 octobre 2015 20:48

    C’est ainsi que se tiennent les cantonniers au bord des fossés mais eux sur un manche, vous sur une branche... de coudrier.


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 octobre 2015 21:38

      @marmor

      Un balai de bouleau pour gens allergiques au boulot ...

      J’ai trop de respect pour les cantonniers pour prendre votre remarque par dessus le coudrier


    • Abou Antoun Abou Antoun 24 octobre 2015 22:17

      @marmor
      C’est ainsi que se tiennent les cantonniers au bord des fossés mais eux sur un manche, vous sur une branche...
      Une équipe de cantonniers se rend en voiture sur son lieu de ’travail’. Soudain l’un deux s’exclame : « on a oublié les pelles ! ». il est déjà un peu tard pour faire demi-tour. Dans le doute on décide d’appeler le chef par téléphone mobile. La réponse du chef tombe : « Exceptionnellement vous serez autorisés à vous appuyer sur la voiture ».


  • Sozenz 25 octobre 2015 00:05

    Toujours autant de plaisir à vous lire.
    J ai beaucoup ri de ce « jeu dramatique »
    Quel beau théâtre, vous nous avez offert . les mots dansent , virevoltent .
    Que du bonheur !


  • paulo 25 octobre 2015 20:58

    Je vous comprends. Pour ma part je suis irrité, non c’est plus que ça, courroucé par la locution « merci quand même » qui a la même connotation que « c’est bien quand même ». Merci pour ce billet, je croyais, encore une fois, être le seul jobard du coin. Cela me soulage un peu.
    Cordialement. 


    • C'est Nabum C’est Nabum 26 octobre 2015 07:14

      @paulo

      Ah tout de même, je ne suis pas seul !

      Merci du fond du cœur de pourfendre ce même qui ne compare rien et juge ainsi

      Même à deux, nous sommes bien peu nombreux, quand même !


  • Hector Hector 26 octobre 2015 12:17


    « C’est bien quand même. »
    A mon sens, cela signifie que bien que n’étant pas adaptée au réel de la situation, parce que trop tôt ou trop en avance, cette proposition a de vraies qualités et selon l’évolution de la demande ou des caractéristiques du domaine d’application, il sera possible de la reconsidérer ultérieurement.
    Les modes tournent, ce qui ne convient pas aujourd’hui sera indispensable demain et n’oubliez pas que nul n’est prophète en son pays.
    Mais bien au contraire, cela ne veut pas dire que c’est nul. Simplement décalé, ce qui n’exclut pas la qualité de la prestation.
    En toute amitié et très sincèrement.
    Hector.


    • C'est Nabum C’est Nabum 26 octobre 2015 12:29

      @Hector

      Vous voulez me rassurer
      Je vous en remercie

      Il est vrai que ce que je propose semble totalement en marge du temps et des modes, de l’envie des spectateurs qui ne pensent pas pouvoir être concernés par des contes et des fables à leur âge.

      Et puis ils se font surprendre quand même et je laisse prendre au jeu


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