Saint-Exupéry, abattu par un admirateur !
L’aveu tardif, ce jour, d’un aviateur allemand de 88 ans corrobore aujourd’hui ce dont on se doutait : « Saint-Ex » a bel et bien été descendu en face de Marseille, que Saint-Ex venait d’atteindre, en revenant du Vercors, par un Focke-Wulf 190 en maraude, qui avait décollé de sa base d’Aix-en-Provence.

"Après l’avoir suivi, je me suis dit, si tu fous pas le camp, je vais te canarder. J’ai tiré, je l’ai touché, le zinc s’est abîmé. Droit dans l’eau. Le pilote, je ne l’ai pas vu. C’est après que j’ai appris que c’était Saint-Exupéry". Le héros littéraire de toute une génération est mort en quelques secondes, sans avoir eu le temps de voir son agresseur, c’est ce que l’on vient d’apprendre aujourd’hui.
Effectivement : une longue enquête menée récemment par un magazine anglais spécialisé était arrivé à la même conclusion, sans avoir retrouvé l’auteur des tirs mortels, dénommé Horst Rippert, du groupe de chasse Jgr.200 de la Lüftwaffe, stationné aux Milles, à Aix. Le magazine en question s’intitule Aeroplane Monthly, c’est une véritable institution puisqu’il date de... 1911. Dans cet article, du numéro 418 de février 2008, Roy C. Nesbit, un des journalistes spécialisés parmi les plus renommés, avait dressé un tableau plutôt cru de St-Ex, l’accusant entre autres d’alcoolisme, ce que l’on savait depuis longtemps de ce côté-ci de la Manche. Une chose connue chez l’aviateur, qui n’était pas un petit prince, loin de là. Au moment de son dernier vol, il avait déjà subi une mise à l’écart effectuée par le colonel Dunn, le chef de son unité, pour avoir détruit ("written of") un exemplaire des tous nouveaux P-38 de reconnaissance, lors d’un atterrissage raté. Mis au repos forcé, il en avait profité pour écrire ce que l’on sait. A sa décharge, le très mauvais état des pistes algériennes, de vrais bourbiers en hiver. Mais l’engin complexe qu’il pilotait au sein du nouveau Mediterranean Allied Photographic Reconnaissance Wing valait déjà à l’époque quelques centaines de milliers de dollars, et l’industrie aéronautique américaine, pourtant à pleins tubes, peinait à en fabriquer en masse. La nouvelle version de l’appareil, signée Kelly-Johnson-le-sorcier, qui venait juste de sortir début 44, le F-5B, est encore plus délicate à faire voler. Il était désarmé, comme tout bon appareil de reconnaissance, et possédait une plus grande capacité en pétrole, avait certes des ailerons assistés, mais un cockpit à dessus aplati, muni de vitres pare-balles et d’un croisillon de renforts qui gênait considérablement la vue vers le dessus. Conçu pour photographier le sol et vers l’avant, l’engin voyait mal le ciel, mais aussi le sol vers l’arrière où son imposante aile gênait considérablement l’angle de vue, les deux pontons (c’est un bipoutre) soutenant la queue ajoutant un autre angle mort supplémentaire. Même en basculant on en roulant sur lui-même, il était difficile de voir l’ennemi arriver par l’arrière, le dessous ou le côté ou même le dessus ! Sans armes, il était vulnérable et ne pouvait compter que sur sa vitesse, que lui donnaient ses deux moteurs "superchargés", à savoir munis de compresseurs.
En prime, son cockpit étroit n’est pas vraiment fait pour accepter l’imposante stature du bon vivant qu’est Saint-Ex, qui se plaignait continuellement d’y être à l’étroit, engoncé dans des tenues épaisses pour résister au froid de l’altitude, comme en témoignera Gavoille, son supérieur : "Très grand, il ne pouvait faire un mouvement dans la carlingue étroite. Ses nombreuses fractures et blessures le faisaient terriblement souffrir en altitude, où un être normal supportait difficilement le plus petit malaise. Aussi, devant un tel affaiblissement de ses moyens physiques en altitude, et dans l’impossibilité de pouvoir tout faire, il s’était, je pense, résigné à éliminer la surveillance du ciel qui l’aurait obligé à des mouvements exténuants."
Le 6 juin 44, c’est le premier vol à bord d’un F-5B pour l’auteur du Petit prince. Ça se passe bien jusqu’à l’heure du retour, où son moteur droit prend feu. Il rejoint néanmoins sa base, un large trou noir sur le ponton de son appareil. Le soir même, il apprend l’incroyable nouvelle : les alliés ont débarqué en Normandie ! Le 14, il repart après plus d’une semaine de mauvais temps pour une mission au-dessus de Rodez et Albi.
Les vols sont exténuants : l’avion vole à 30 000 pieds (9 000 mètres !), il n’est absolument pas pressurisé, il fait -40 °C à cette altitude, et le pilote a déjà 44 ans et une vieille carcasse de baroudeur en piteux état. Plus tard, il repart photographier le Vercors où se passent des combats sanglants, pousse jusqu’à Genève, se perd en route au retour, passe l’Italie et atterrit à... Bastia. A plusieurs reprises, il se rend à Alger où l’on prépare le redéploiement de son Wing vers le Sud de la France. Jean Prévost, grand prix de littérature de l’Académie française en 1943, celui qui avait le premier édité les ouvrages de Saint-Ex meurt à cette occasion en plein Vercors, sous son nom de guerre de "capitaine Goderville". Mais Saint-Ex ne le saura jamais. Il est parti la veille de Borgo, en Corse, son nouvel aérodrome, pour une mission où il croise Eugène Meredith, un Américain lui aussi à bord d’un P-38. Ce dernier a juste le temps de lui crier dans son micro "On me tire dessus, je suis touché". Il vient d’être abattu, et Saint-Ex, qui a pu l’entendre sur sa fréquence radio, ne sait pas que c’est ce qui l’attend également. Car lui aussi disparaît à la suite de son collègue américain.
On ne le retrouvera jamais. En 1956, un journaliste américain retrouve les traces de deux groupes d’aviation allemands stationnés à Avignon, qu’il soupçonne d’être à l’origine du tir mortel contre l’avion de l’écrivain. L’un possède des avions de reconnaissance également, un Nahauflakrüngsgruppe, l’autre des avions d’attaque : des Focke-Wulf 190 A6/RII de Kurt tank et des Messerschmitt 109. On retrouvera le second modèle près de l’épave du P-38 de Saint-Ex, laissant longtemps croire qu’il y avait eu collision : en fait l’appareil avait été abattu par un Thunderbolt US. C’était le BF-109 d’Alexis fürst von Bentheim und Steinfurt, descendant d’aristocrates et aristocrate lui-même. Les Focke-Wulfs d’Avignon sont les engins les plus suspectés, car ils étaient équipés d’un radar Naxos, capables de distinguer l’ennemi à 50 km. Le journaliste croit voir dans Hermann Korth, pilote basé à Avignon, l’auteur de l’attaque contre St-Ex : or, les autorités allemandes ont fait détruire tous les rapports de vol avant de quitter la France. On ne peut trouver trace de la victoire qu’il aurait pu revendiquer. Et l’homme, retrouvé, devenu pasteur après la guerre, hésite sur sa réponse, car il pense plutôt avoir entendu seulement l’auteur de la mort de... Meredith, sans en être le responsable direct (selon le recoupement des informations effectué).
Le mystère Saint-Ex attendra encore 42 ans avant de s’éclaircir un peu avec la découverte au large de Marseille de débris d’avion... et surtout d’une gourmette, remontée dans ses filets par un pêcheur local à l’est de l’île du Riou. Elle porte deux noms : celui de Saint-Ex, mais aussi celui de Consuelo, son grand amour (ANTOINE DE SAINT-EXUPERY (CONSUELO) c/o REYNAL AND HITCHCOCK INC. 386 4TH AVE. N.Y. U.S.A). Les vestiges remontés portent une marque d’identification : le n° 42-68223... celui qui certifie qu’ils proviennent bien de l’appareil de Saint-Ex. Ne reste plus qu’à retrouver celui qui l’a descendu... au-dessus de Marseille, ce sinistre 31 juillet.
Ce jour, 15 mars 2008, un ancien pilote de Focke-Wulf, Horst Rippert, vient d’avouer que c’était bien lui qui avait fondu sur le P-38 qui n’avait rien pu voir venir, l’Allemand ayant attaqué par le dessus, où l’avion possédait un énorme angle mort, avec son cockpit mal fichu dont tous les pilotes se plaignaient. Il découvrait ce jour-là en effet selon ses dires, le P-38, volant 3 000 m plus bas que lui, en réalité déjà sur l’amorce de sa descente vers la Corse, avant de se décider à l’abattre. Pour le regretter toute sa vie. Selon la presse Horst Rippert raconte ainsi sa terrible journée : "personne n’a sauté. Le pilote, je ne l’ai pas vu. J’ai appris quelques jours après que c’était Saint-Exupéry. J’ai espéré, et j’espère toujours, que ce n’était pas lui. Dans notre jeunesse, nous l’avions tous lu, on adorait ses bouquins. Il savait admirablement décrire le ciel, les pensées et les sentiments des pilotes. Son œuvre a suscité la vocation de nombre d’entre nous. J’aimais le personnage. Si j’avais su, je n’aurais pas tiré. Pas sur lui !" Imaginez le désarroi d’un soldat de 24 ans seulement gratifié de 19 (ou 20 ?) victoires (dont 7 P-38 !) qui vient de se rendre compte, une fois rentré à sa base, qu’il vient de tuer un de ses héros de jeunesse !
La preuve que la guerre est la plus grande idiotie que l’humanité ait pu inventer : en ce jour où la France va enterrer son dernier poilu, qui comme son prédécesseur âgé a clamé haut et clair que ce n’était pas une guerre, mais une boucherie, il conviendrait de penser aussi à un homme qui vivait depuis 64 ans avec un si lourd secret, et de ne surtout pas lui en vouloir de ne pas l’avoir révélé avant. Horst Rippert n’a jamais souhaité entrer dans l’Histoire, car il admirait trop celui qu’il a fait entrer dans la légende en quelques secondes. Qu’il soit aujourd’hui salué pour n’en avoir en rien cherché gloriole et plutôt pour avoir avoué aujourd’hui que cela avait suffisamment ruiné sa vie et l’avoir assailli de regrets. La guerre est bien la pire des choses, qui vous fait parfois tuer celui qui est devenu par des mots et des écrits votre meilleur ami. En Allemagne, c’est à signaler, le dernier poilu est mort dans la plus totale indifférence... Le temps parfois résonne bizarrement. St-Ex l’avait bien compris en écrivant l’année de sa mort à un de ses amis : "Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier".
La disparition de Saint-Exupéry enfin élucidée, il en reste d’autres, de la même période. La disparition inexpliquée de Glenn Miller, par exemple, pour laquelle je vous convie à un prochain article sur Agoravox. Là, encore, on sait désormais comment ça s’est à peu près passé, le "mystère" n’étant plus entretenu que par... les autorités anglaises. Je vous en ferai part bientôt, si vous le voulez bien. En attendant, vous pouvez toujours, comme Horst Ripper, relire les textes de Saint-Ex, aller au Musée de l’air voir les morceaux de l’épave de l’avion (et demander surtout à rencontrer son directeur qui est un homme truculent et plein d’esprit !) ou vous amuser à faire la maquette de son avion. Heller avait fait un beau set de 2 maquettes (1/48 et 1/72), comprenant un livret "l’archange & l’écrivain", hélas, il n’est plus au catalogue : mais on le retrouve fort heureusement en double chez Revell !!!. Pour la première fois, l’avion mythique se retrouve au 32e, ce qui en fait un objet impressionnant. Ce sont les Chinois de Trumpeter qui ont sorti la boîte, suivis aussitôt par... Revell. C’est un P-38L, il vous faudra la transformer un peu pour en faire un modèle F-5B, mais le distributeur français de Trumpeter a ajouté une planche de décalques adéquats signés Contact-Résine, qui fournit aussi un nez plus réaliste à rajouter. On la trouve à peu près partout, et pour les Parisiens chez Eole, par exemple, ou pour les Nordistes... en Belgique, chez Domino, au Mont noir, autre lieu de littérature... avec le Musée Marguerite Yourcenar.