jeudi 2 juin 2016 - par C’est Nabum

Se rendre à l’évidence

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Les girouets tournent dans le vent

Le trajet de Saint-Clément-des-Levées au Thoureil fut une rude épreuve physique. Le vent forcissait tout autant que la Loire. Chaque mètre devait se gagner à coups de rame et de prudence. Au moindre écart le canoë prenait du travers, gîtait ou bien jouait de la pirouette. Je devais m’arcbouter sur ma pagaie, me coucher le plus possible au fond de mon embarcation pour abaisser son centre de gravité et réduire la prise au vent. Une véritable épreuve physique !

C’est à bout de forces que j’arrivai au Thoureil. Personne en vue : l'annonce de ma venue n’avait sans doute pas été relayée. Fort heureusement, Jacques, ancien président, était à l’ouvrage pour mettre sa toue cabanée à l’abri de la montée des eaux, annoncée pour la nuit. Il ne fallut guère de temps pour recevoir la proposition de passer la nuit dans la cabine de sa Guifette, nom d’une petite sterne noire rare et belle.

Il nous convia en sa demeure : une maison marinière datant de 1612. Car des deux côtés de l’arbre généalogique de notre homme, on trouve des gens de Loire. Enfant, Jacques allait à la pêche avec son grand-père, à la voile : une folie en une époque où tous les gens d’ici avaient tourné le dos à la rivière. Il se souvient avec nostalgie de ces balades et des récits de son aïeul.

Il avait pour amis Jeanne et Camille Freysse, des historiens qui réveillèrent la mémoire d’un glorieux passé. Ils publièrent livres et faisaient conférences dans toute la région. Jacques les considérait à l’instar de grands-parents d’adoption. Il apprit beaucoup à leur contact et quand, au début des années 1990, il fut à l’origine du renouveau de la Marine de Loire avec une poignée d’autres fous glorieux, il appela sa nouvelle association « Jeanne Camille ».

Il nous narra l’épopée des précurseurs , les premières aventures de navigation, la création de Voile de Loire avant que les girouets ne se mettent bien plus à grincer qu’à tourner, au gré des ambitions et des rêves hégémoniques de quelques mariniers d’opérette. Jacques avait renoncé : cette Loire des luttes intestines n’était pas la sienne. Depuis, il se contente de naviguer sur sa Guifette et de relever ses engins de pêche. C’est d’ailleurs au petit matin qu’il sortira un magnifique sandre, une prise exceptionnelle pour celui qui était bredouille depuis belle lurette !

Sa femme, Marie-Laure aime à le suivre dans de grandes balades au fil de l’eau. Ils partiront en juillet pour rejoindre puis remonter le canal de Nantes à Brest, en prenant leur temps, en jouissant du bonheur simple d’une nature jamais identique. Nous avions trouvé des hôtes charmants et je n’avais qu’à me féliciter du fait que ceux qui auraient dû nous recevoir avaient mangé la commission. La rencontre était belle, les échanges enrichissants.

Jacques m’enseigna encore le nom de la toute première historienne de la marine de Loire : une Orléanaise, Germaine Botton dont les ouvrages sont désormais introuvables. Je suis preneur de renseignements à son sujet pour compléter ma connaissance et trouver matière à de nouvelles histoires. Il me conseilla encore de découvrir les chansons du groupe Ellebore, dont son ami Denis Le Vaux est un collecteur de chansons traditionnelles.

Je passai une excellente nuit réparatrice dans sa toue d’autant que Georges avait décidé d’aller ronfler dans son camion pour me laisser reprendre les forces dont j' aurais bien besoin car dans la nuit, la Loire avait forci encore. Décidément c’est devenu une habitude. Nous en sommes à la sixième montée des eaux et les anciens affirment que la crue centennale surviendra lors de la septième. Les nouvelles alarmantes qui me parviennent du Loiret confirment cette crainte.

Ce que j’allais vivre sur la rivière durant les deux heures qui survirent mon départ me poussent à croire que dame Liger fait grosse colère. Mon esquif fut ballotté, secoué comme jamais. Un vent furieux s’opposait à ma progression, cherchant sans cesse à faire pivoter mon canoë. Je n’en menais pas large, d’autant que les berges étaient toutes noyées et que nul espace d’accostage ne s’offrait facilement.

Je devais me rendre à l’évidence : la Loire est la plus forte et il me faut renoncer à lutter contre elle quand elle est en furie : je ne suis pas de taille. Les annonces de vigiecrue sont alarmantes, les cotes s’affolent : on promet des montées prochaines des eaux.. Je trouvai enfin un chemin et une berge accessible. Le pont de Saint-Mathurin était à quelques centaines de mètres de là.

Je sortis le bateau et le tirai comme un forçat car la galère continuait. Je trouvai au bout du chemin une partie inondée avant d'accéder au pont. Je dus remettre à l’eau mon embarcation d’infortune pour aller jusqu’à la possibilité d’être secouru. Il se trouva fort heureusement une bonne âme, une enseignante effectuant une sortie avec une classe de maternelle, pour appeler Georges, mon logisticien préféré. Je racontai le périple aux enfants mais le vent était si fort que l’enseignante renonça à sa sortie et fit faire demi-tour avant que j’en termine. Il faut avouer que les chérubins n’étaient plus en état d’écouter grand-chose …

J'ai donc décidé de poursuivre le périple sur la route afin d'honorer les rendez-vous pris et les quatre spectacles programmés en fin de parcours. En m’arrêtant à Saint-Georges-sur-Loire, dans la crêperie « Au gré de la Loire », je m'échauffai la voix : pour le patron et un client certainement fidèle, je me fendis d’un conte de saison. Puis c’est vers la Possonnière que j’allai chercher refuge jusqu’au concert de mercredi à 19 H 30 au Cercle de l’Union de la boule de fort. Si vous êtes dans le secteur, venez me rejoindre en apportant un panier-repas ! L’entrée y est gratuite.

Je retourne vers vous, les terriens

Évidemment vôtre.

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