vendredi 31 janvier 2020 - par C’est Nabum

« Stalinien ! »

L’insulte suprême

Quand tombe l’anathème, quand un correspondant agite le chiffon rouge, le pauvre malheureux qui se voit affublé de pareil qualificatif est voué définitivement aux Gémonies de la dialectique politicienne. Derrière ce coup de massue, comment se remettre, rester digne et tenter de relever le débat ? La chose parait bien délicate puisqu’implicitement votre interlocuteur vous a placé dans le rang des abrutis dangereux, des bêtes immondes, des obtus indécrottables, des décérébrés de la pensée.

Toutes les portes du dialogue vous sont définitivement fermées. Vous avez franchi la ligne jaune, usé sans doute d’une réplique trop véhémente et vous recevez en pleine face cet uppercut au foie de la controverse tout en faisant un joyeux saut par dessus le rideau de fer. Derrière, vous devez mettre un genou à terre et vous donner le temps de reprendre votre souffle.

Que répondre ? Si vous continuez à argumenter, à suivre votre ligne, vous n’aurez plus le droit qu’à la longue litanie des plus effrayantes expressions des dérives historiques. Vous risquez de côtoyer Mao, Lénine, Hilter, Mussolini ou Pol Pot si l’on en reste à l’histoire récente. Vous pouvez même trouver place entre Attila et Gengis Khan pour un petit saut dans le passé. Parmi cet aréopage de bienfaiteurs de l’humanité, vous avez cependant le sentiment de ne pas être tout à fait à la hauteur mais c’est sans compter sans la colère de vos opposants.

Plus vous sortez de son mode de pensée, plus votre propos pointe du doigt les incohérences de sa position, plus la liste s’élargira à tous les autres grands dignitaires de l’intolérance et de la barbarie. Le plus sage alors est d’entendre ce signal d’alarme qui ne trompe jamais. Quand vous êtes face à un individu capable de sortir de sa musette ce « Stalinien ! » qui avouons-le n’est pas dans le vocabulaire du premier venu, il est temps de battre en retraite.

Bien sûr ceci ne peut advenir que lorsque le débat concerne des individus qui ont le cœur qui penche sur la gauche de l’échiquier politique. De l’autre côté, c’est le « Fasciste ! » qui tombe comme un couperet pour mettre un terme à tout développement ultérieur de l’échange. Le dialogue cesse immédiatement pour laisser la place à la joute et même à l'algarade.

N’usant pas de ces amabilités dans mes discussions à bâtons rompus, j’avoue que l’esquive est préférable à la confrontation brutale. L’escalade serait inévitablement au rendez-vous de ce premier crachat qui en appelle beaucoup d’autres. Alors, il vaut mieux ravaler son orgueil, tourner le dos à l’injure et s’en aller vers des contrées plus aimables.

Il est certain que la fréquentation des réseaux sociaux vous expose à ce risque qui, il faut bien le reconnaître, est bien moins courant dans la vie réelle. Est-ce l’écrit qui pousse à l’outrance ? La question mériterait sans nul doute d’être approfondie. Les doigts ne tournent pas sept fois autour du clavier contrairement à une langue, même bien pendue.

Je vous donne donc ma clef des champs. Traitez-moi de stalinien et dans la minute suivante, je sors de votre écran, disparais pour ne pas voir plus rouge encore. C’est une mesure d’hygiène mentale, un principe de précaution à moins que ce ne soit qu’une saine mesure de prévention. Toujours est-il que cette insulte sonne le glas d’une relation épistolaire par réseau interposé.

Je laisse donc les gros bras de la dialectique s’étriper entre eux. Je ne suis pas de la bande, je crois encore à la force des mots et à leur pouvoir de nuisance. Asséner une insulte de ce niveau ce n’est pas seulement vouloir blesser, c’est véritablement désirer abattre son débatteur. Rien, non vraiment rien ne justifie pareille agressivité dénuée surtout de la plus infime trace d’ironie et de sarcasme. Le danger est trop grand, la fuite est de très loin la seule voie de sortie…

Courtoisement sien

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