mardi 3 décembre 2019 - par C’est Nabum

Une enfance en partage

Les vieux de la vieille

 

Mon ami Gérard Dussoubs, aime à se remémorer son passé, à redonner vie à une période forcément de cocagne puisque c’est celle de sa jeunesse. Je ne vais pas lui jeter la pierre moi qui aime à faire de même. À la différence que lui a trouvé écoute bienveillante et magazine pour publier ses souvenirs dans une chronique dans le bimestriel : « Cognac, le Mag ».

Il a poussé l’aventure en devenant conférencier, histoire d’aller à la rencontre des lieux et des gens évoqués. Il a si bien réussi son entreprise qu’une exposition : « Drôles de drôles » a prolongé ses écrits avec, cerise sur le gâteau, la photographie de notre cognaçais en culotte courte, perché sur un cheval à bascule.

Aujourd’hui, presque en guise de point d’orgue de l’exposition, il tient conférence au musée d’art et d’histoire de la ville. Un titre simple : « Une enfance à Cognac » regroupe une cinquantaine de têtes poivre et sel qui se sont déplacées à ce bain de jouvence supposé.

Avant la conférence, le temps des retrouvailles donne tout le piment à cette rencontre. Des amis qui se sont perdus de vue depuis près de cinquante ans, se retrouvent, hésitant les uns en face des autres. Il est vrai qu’ils ont bien changé. Le temps a fait son œuvre, les cheveux ont changé de teinte quand ils n’ont pas déserté le chef.

Les souvenirs se télescopent. Ils s'exclament, s'esclaffent, évoquent les absents. Une dame plus âgée encore arrive devant celui qu’elle a vu en culotte courte. L’émotion est à son comble. L’assistance s’installe, la conférence peut débuter par son inévitable problème de diaporama. La technique enfin maîtrisée, la séance commence.

Gérard a pris le parti du personnel, du banal, du quotidien. L’image sert de prétexte à des anecdotes, du récit très personnel à la petite histoire locale. Les rires fusent, les cocus sont à l’honneur, les bidasses sont en folie, les filles mères montrées du doigt. À travers ses souvenirs, Gérard brosse toute une époque sans avoir l’intention de proposer un traité ethnographique.

Ce parti pris me surprend. Il ose la personnalisation à outrance et curieusement c’est ce qui lui donne une dimension universelle. Le public adhère, accompagne les évocations, les partage pour certains. Il y a des commentaires en aparté, des compléments aussi qui apportent des précisions qui avaient échappé au narrateur.

Les faits divers de l’époque, les catastrophes, les incidents, les accidents constituent un épisode qui réveille des souvenirs. Le plus incroyable c’est qu’au travers d’une simple carte postale, la succession des anecdotes fait récit commun. Le très particulier a valeur générale, il prend par le simple fait du partage, une dimension presque historique : « Les pérégrinations du petit Gérard retracent l’histoire de toute une ville ! »

Curieusement, il y a dans l’assistance des témoins qui n’ont pas quitté la ville. Il leur faut le truchement d’un expatrié, plus attaché qu’eux peut-être à ses souvenirs chargés de nostalgie pour que soudain, une vague de réminiscences les submerge à leur tour. Gérard pourtant ne déroge pas à son parti pris. Il demeure sur le « Moi » et chacun entend « Nous », sans jamais déplacer sa petite lorgnette.

Au-delà de cette apparence simpliste, chaque date, chaque élément narré a été validé par une recherche dans les archives. Ce n’est pourtant pas les documents de référence qui sont mis en avant. Seul le récit compte et c’est certainement ce qui fait le succès de cette volonté intangible de raconter le passé du seul point de vue d’un bambin et de ses aventures dignes de celles du petit Nicolas.

La conférence achevée, c’est le bal des interventions. La plongée dans le passé d’un seul a éclaboussé tous ses comparses. Un spectateur vient sur le devant de la salle pour narrer une anecdote, celle de la cloche du lycée. Il a un vrai talent d’orateur et de comédien. Le surveillant général était un tyran affublé du sobriquet de Néron. Il a subi la juste vengeance des élèves par quelques terribles répliques cinglantes.

Les souvenirs de lycée se succèdent. Picotin, le chef d’établissement a droit lui aussi aux anecdotes piquantes. Les gens sont hilares, les souvenirs rebondissent, les éclats de rire ricochent. Les potaches d’alors retrouvent une seconde jeunesse. C’est un régal pour l’observateur à distance qui tente de coucher sur le papier ces petits instants étonnants. Je me retire discrètement, ils ne vont pas tarder à débuter une partie de billes acharnée…

Nostalgiquement leur.

 



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