Une longue histoire asinienne
Quand le bon grain est livré, les chiens aboient !
Meung compte un Âne de plus
Qui ne sait pas dresser les oreilles pour écouter les sornettes d'un bonimenteur, ne peut appartenir à la grande confrérie des ânes bâtés, des bourriques, des baudets, des mules et des bardots qui ont eu le bonheur de s'épanouir en bord de Loire, à Meung.
La belle cité des Mauves a vu fleurir les moulins comme d'autres les échoppes et les tavernes. Depuis que Clovis avait rédigé la Charte de Micy, la force hydraulique faisait des merveilles dans cette région. C'est d'ailleurs l'un des moines Cénobites de la fameuse abbaye qui vint à dos de mule, porter la bonne parole à ce qui sera plus tard Meung-sur-Loire.
Lifardus né à Orléans en 477, reçoit la tonsure en 517 lorsqu'il entre au monastère. À la mort de Mesmin en 520, il veut lui aussi quérir la sainteté en réalisant son miracle. Il se dirige vers un vaste marais, domaine d'un monstre : la Coulouvre. Il confie un bâton à son compagnon Urbitius afin qu'il aille le planter dans le sol. La bête immonde avale le piège tandis que c'est le rusé Lifardus qui en tire les marrons du feu.
Un candidat, douteux celui-là, à la gloire asinienne est le Satyre Silène qui parcourt la Gaule à dos d'âne. L'homme est précédé d'une mauvaise réputation et reçoit un accueil des plus distants de la part des magdunois de l'époque. Ceux-ci lui refusent la pitance et le malheureux ne trouve qu'un peu de farine et du mauvais vin dans un moulin de l'endroit où il s'endort. Le lendemain il est réveillé par grand tintamarre, les autochtones célèbrent comme il se doit une divinité Celte. L'âne du vieil homme s'approche de l'autel sacré et y fait ses besoins ce qui provoque l'ire des célébrants qui tuent le blasphémateur. Silène invoque Bacchus qui par son entremise transforme les coupables en ânes. Cette version d'œil pour œil, âne pour âne, vaudra ce sobriquet aux habitants de Meung d'après l'auteur de cette faribole : l’abbé Cordier, vers 1750.
Est-ce pour laver l'honneur des Chiens d'Orléans que ce récit surgit de ce chroniqueur ? Sans vouloir l'affirmer, il convient d'évoquer ce qui se passa en 1338 et constitue sans doute la raison la plus solide de la relation entre les magdunois et les ânes. La ville est riche de ses moulins qui feront longtemps sa fortune. Elle est prospère et surtout dispose en quantité de cette farine si précieuse pour l'alimentation de l'époque.
Les voisins d'Orléans subissant les affres de la famine, leurs amis ligériens s'empressent de se porter à leur secours en organisant un grand convoi muletier avec ce précieux produit. La colonne se lance sur le Chemin du bout du monde et se dirige vers la grande cité, cloîtrée derrière ses murailles. À son approche, du haut du chemin de ronde, les affamés fort peu amènes saluent les sauveteurs d'un terrifiant : « Voici les ânes de Meung ! » ce à quoi répondirent habilement les offensés par « À Meung, des ânes, il en passe, mais il n’en reste pas… » On peut s'interroger à la lecture de cette anecdote pour savoir qui a mis le nez dans la farine à l'autre.
Un autre mauvais bougre vint passer son séjour carcéral dans le château de Meung. C'est le poète François Villon qui avait fait vilain larcin dans l'église de Baccon. Pour ce tour de cochon, il eut droit aux geôles de l'évêque d'Orléans qui avait sa résidence en cette cité. Louis XI de passage à Meung en 1461 libère l'illustre prisonnier épuisé, qui s'en retourne à la capitale à dos d'âne.
D'autres ânes se feront remarquer dans cette ville à commencer par M. de Jarente, évêque d'Orléans qui dans les années précédant la Révolution confondait son appendice et un goupillon. À l'instar de l'âne, il monta à la Capitale pour saillir la demoiselle Guimard, chanteuse d'opéra. L'affaire fit grand bruit sans doute à cause des vocalises de la pécheresse.
Avant lui, un plus cavalier, en 1625, délaisse le braquemart au profit de l'épée, pour débuter son glorieux périple à Meung sur Loire. D'Artagnan fait son entrée dans la littérature par la porte de Beaugency pour venir loger à l'auberge du Franc-Meunier. Le sieur Dumas, son créateur prétend alors que le pauvre cavalier se voit moqué par la populace à cause d'une monture qui tient d'avantage du baudet que du fier destrier. Qu'on prit son cheval pour une Rossinante contraria grandement le futur mousquetaire.
Quant à la gloire locale, gars Gaston, il s'installe à Meung en 1883 avec ses parents meuniers du moulin de Clan. Il côtoya forcément les ânes, ceux qui portaient le grain à moudre et se fit fort d'avoir un comportement digne de la réputation locale. Enfant turbulent puis poète qui a mal tourné, Gaston Couté passera certainement lui aussi pour un âne bâté avant de connaître la consécration une fois son parcours dans cette vallée de larmes achevé.
La charmante cité ligérienne n'avait pas encore son comptant d'ânes, voilà qu'un Bonimenteur vient d'adhérer à l'association Faramine pour venir casser les oreilles à ceux qui les ont trop courtes et les leur tailler en pointe pour leur apporter leur comptant de picotin. Décidément à Meung, il n'est pas que les ânes qui braient.
À contre-emploi.