mercredi 22 février 2006 - par Jean-Marc Bellot

Voulez-vous jouer avec moi, ce soir ?

La rationalité de nos décisions mise à l’épreuve de nos perceptions du temps et du risque.

Félicitations ! Vous venez de gagner 3400 euros aux machines à sous. Mais lorsque vous vous rendez auprès du caissier pour empocher votre gain, ce dernier vous demande si vous préférez recevoir tout de suite les 3400 euros ou si vous êtes prêt(e) à attendre un mois de plus pour toucher la somme de 3800 euros. Que choisissez-vous ?

Telle est l’une des nombreuses questions posées par le professeur Shane Frederick du MIT auprès d’un panel de près de 3500 étudiants en université pour apprécier leur façon de prendre des décisions par rapport à l’une des variables les plus difficiles à appréhender : le temps.

Les résultats sont étonnants, puisque dans 1 cas sur 3, les étudiants ont privilégié le fait d’empocher tout de suite les 3400 euros, au mépris de la plus-value de 400 euros associée au fait d’attendre un mois. Absurde, non ? Vous en connaissez beaucoup, des banques qui rémunèrent l’argent à 280% par mois ? Serait-ce à dire que nous aurions tendance à prendre des décisions contraires à nos intérêts ? Je me rappelle encore ma professeure d’économie qui expliquait, dès le premier cours, il y a de cela une vingtaine d’années, et avec un aplomb à toute épreuve, que l’une des hypothèses fondatrices de cette discipline était la rationalité des agents. Il ne m’en avait pas fallu plus pour sécher les séances suivantes...

Plus surprenant encore, toujours selon le professeur Frederick, votre attitude par rapport au temps dépend singulièrement de... votre sexe. Si vous êtes une femme, vous vous montrerez plus patiente que vos homologues masculins, ce qui va dans le sens de la raison. Voilà de quoi alimenter les bons vieux poncifs sur le bon sens des femmes, à comparer à l’impulsivité - l’exubérance irrationnelle ? - des hommes.

En revanche, les hommes reprennent l’avantage pour ce qui a trait à leur attitude par rapport au risque. Soumis à l’alternative suivante - recevoir 100 euros de manière certaine [A] ou toucher 7000 euros avec 3% de chances [B] - 30% des hommes choisissent [B] contre uniquement 8% des femmes. Pour autant, nous sommes bien loin de la victoire de la raison, puisque l’espérance mathématique comparée des deux options penche très nettement en faveur de [B]. Au nom de la raison, c’est donc 100% des gens qui devraient choisir [B], hommes, femmes, clones et droïdes confondus !

En résumé, à femme patiente et conservatrice, homme joueur et impulsif. Décidément, les travaux du professeur Shane Frédérick du très sérieux MIT ont tout pour relancer la guerre des sexes !

PS - Si vous n’êtes pas convaincu(e) que le temps reste difficile à intégrer dans les mécanismes de prise de décision, je vous invite à résoudre l’énigme suivante. Alors que vous quittez Honfleur pour vous rendre au Havre, vous engagez votre voiture sur le pont de Tancarville dont la travée métallique fait 1 km - 960 mètres exactement, que nous arrondirons à 1km pour simplifier les calculs. La journée étant dégagée, vous vous réjouissez du panorama qui s’offre à vous sur la vallée de la Seine, et vous roulez à une vitesse moyenne de 30 km/heure, jusqu’à la moitié du pont. A cet instant, vous vous dites que vous avez suffisamment batifolé, et qu’il s’agit de rattraper le temps perdu à muser. Question : à quelle vitesse devez-vous rouler sur la seconde moitié du pont pour atteindre une vitesse moyenne de 60 km/heure sur la traversée de la totalité du pont de Tancarville ?



11 réactions


  • henry H (---.---.86.94) 22 février 2006 10:35

    Tres interessant le petit problême qui montre que les mathématiques peuvent contredire la perception que l’on a des choses.


  • tonio (---.---.15.77) 22 février 2006 13:56

    Reflexions interessantes sur la rationalité de l’agent économique.

    Le problème est asymptotique (hyperbolique) : on ne peut parvenir à une vitesse moyenne de 60 km/h sur la totalité du pont si on a roulé à 30 km/h sur la première moitié, à moins d’atteindre une vitesse infinie. (si on roule à 1000 km/h sur la deuxième partie du pont, on l’aura traversé avec une vitesse moyenne de 58,25 km/h).

    Mais en quoi cela nous prouve-t-il que le « temps est difficile à intégrer dans les processus de décision » ? Les femmes répondraient-elles sans calcul différemment des hommes à une telle question ?


  • pipotron (---.---.163.7) 22 février 2006 14:00

    je me suis toujours méfié des jeux d’argents, mais surtout des études qui lui sont liés. Ces prennent elles en compte que certains n’ont pas les moyens d’attendre ou même d’espérer (même mathématiquement smiley ? Je n’en suis pas si sûre ! Pour le problème c’est il est vrai un grand classique, et les réponses peuvent être elle aussi très surprenante !


    • Jean-Marc (---.---.49.31) 22 février 2006 15:40

      A Pipotron...

      Votre méfiance est du meilleur aloi. Dans un ouvrage désormais célèbre dans le monde anglo-saxon intitulé « Judgment Under Uncertainty : Heuristics and Biases », les prix Nobel Amos Tversky et Daniel Kahneman associés à Paul Slovic ont clairement mis en évidence que le montant de la prime en jeu constituait un biais considérable dans la capacité à apprécier rationnellement une situation. En clair, quelqu’un dans le besoin survalorisera l’immédiateté du gain.


  • marie (---.---.241.140) 22 février 2006 22:36

    Sur le grave problème du pont

    Question féminine, je suppose : Quelle est la limitation de vitesse sur le pont ? Si on veut vraiment intégrer la notion de temps dans la décision, il convient d’éviter de perdre son permis ; Le temps (encore lui) de se poser la question on a traversé le pont depuis longtemps. D’ailleurs, je ne vois vraiment pas ce que j’irai faire sur ce pont.


  • dom (---.---.4.169) 22 février 2006 22:49

    90km/h ?

    ...

    mmm ?

    ..................................................


  • Leonard (---.---.248.3) 22 février 2006 23:00

    « Un bon tien vaud mieux de deux tu l’auras ».

    C’est pas nouveau comme proverbe et ca marche toujours.


  • SF en Short (---.---.86.82) 22 février 2006 23:41

    c’est pas possible.

    il faut 1 minute pour parcourir 1Km à 60Km/h le problème : il faut également 1 minute pour parcourir 500m à 30Km/h c’est techniquement impossible...


  • F.C. Bachellerie (---.---.165.193) 28 février 2006 15:16

    Je me méfie des analyses d’études qui tirent des conclusions sur des sous-groupes. Ca frôle toujours le racisme ou, dans ce cas, le sexisme. Si le scientifique avait eu l’imagination de regarder les sous-groupes de ceux qui ont les yeux bleus contre ceux qui ont les yeux marrons peut-être aurait-il aussi constaté des variances statistiquement significatives. De là à en déduire que la couleur des yeux influence le comportement face au risque... Statistiquement les noirs courent plus vite que les blancs et les juifs sont plus riches que les musulmans. Maintenant un blanc rapide courra toujours plus vite qu’un noir lent, et un juif pauvre aura moins d’argent qu’un musulman riche. La société et l’humanité n’avancent pas quand on généralise.


    • zetof (---.---.35.0) 22 mars 2006 10:38

      Voilà bien un raisonnement politiquement correct !

      Les vérités statistiques sont statistiquement vraies, je ne vois pas le problème ! L’existence d’un noir lent ne rend pas moins vrai qu’ils courent plus vite en moyenne.

      Bon, juste pour vous énerver, quelques affirmations racistes et sexistes :

      Les noirs ont la peau plus fonçée que les blancs Les femmes sont davantage clitoridiennes que les hommes Les hommes sont plus poilus que les femmes Les chinois ont les yeux bridés.

      Désolé si je vous choque !


  • alexis 26 janvier 2011 15:39

    Les statistiques ne sont pas des généralisations faites à la va-vite mais des tendances. Je ne comprends pas ce déni de nos différences : nous sommes tous différents, et on essaye de mesurer ces différences, je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça ! De plus, il n’est jamais spécifié que ces différences sont génétiques, même si elles comparent des hommes et des femmes : on compare aussi des cultures. Ce sont donc des comparaisons sociologiques.

    Il se trouve que dans notre société les femmes et les hommes ont des codes sociologiques bien distincts. Ces codes nous renseignent par exemple sur le port de vêtement que l’on doit privilégier en fonction de notre sexe. Je ne me vois pas entrain de porter une mini-jupe, ni une robe, ce qui est pourtant le cas dans d’autres pays. Peut-être que le fait que les femmes soient plus prudents dans les pays occidentaux est seulement une conséquence des codes sociaux occidentaux.

    Gardons bien à l’esprit également que l’évolution n’est peut-être pas en marge. Jadis, les hommes chassaient et prenaient des risques, tandis que les femmes s’occupaient des enfants, tout simplement parce que les hommes ne peuvent pas donner le sein, et c’est une tâche où un maximum de sécurité est nécessaire. Peut-être est-ce là l’explication de cette observation statistique. Je n’en sais rien, c’est juste pour souligner le fait que nos différences naturelles (force, endurance, etc) sont peut-être un peu plus étendues que ce que l’on peut penser de prime abord.

    Enfin, comme le dit zetof c’est une vérité statistique. Ne confondons pas Statistique et Probabilité. La différence ? Elle est fondamentale, et toute personne ayant passé un concours ou un examen dans sa vie a déjà eu à faire à ce genre de raisonnement. Imaginons, par exemple, que les 10 dernières années dans un lycée la classe de Terminale Scientifique 1, classe où nous allons supposer que vous êtes actuellement, a toujours eu 100% de réussite au bac. C’est désormais votre tour de passer le bac : allez-vous l’avoir. Les statistiques disent qu’il est statistiquement vrai que « tous les élèves de TS1 ont leur bac », je ne vous conseille pourtant pas de rendre feuille blanche à chaque épreuve ! Si la probabilité était, elle, de 1, vous pourriez rendre feuille blanche à chaque examen et avoir tout de même votre bac.


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