vendredi 28 mai 2010 - par Robert Branche

Comment diriger dans l’incertitude

 Depuis longtemps, l’incertitude régnait, et la crise de 2008 est venue balayer les dernières illusions : chacun mesure aujourd’hui les limites de la prévision économique. Mais comment diriger une entreprise si l’incertitude est reine ?


Faut-il renoncer aux projets durables et se contenter de gérer au jour le jour ? Mais comment donner alors un sens à l’action collective, attirer les talents et motiver les investisseurs ? Doit-on, au contraire, renforcer la discipline autour d’un objectif fort et fédérateur, derrière un leader charismatique ? Mais comment dans ce cas résister au gros temps et adapter son cap aux changements conjoncturels ?
Voilà ainsi les entreprises écartelées entre poursuite d’un objectif collectif et adaptabilité aux aléas.
Comment sortir de cette tenaille ? Peut-on marier force instantanée et création durable de valeur ?
Oublions un moment ce problème, pour regarder la Seine couler. Elle aussi est plongée dans l’incertitude, et pourtant, quoi qu’il arrive, l’eau fera son chemin jusqu’à cette destination finale. La Seine sait dépasser notre problème. Pourquoi ? Parce que sa destination est un attracteur : quoi qu’il se passe, la mer fait venir à elle l’eau.

Voilà l’idée centrale de mon nouveau livre, «  Les mers de l’incertitude  »(1)  : comme un fleuve, une entreprise doit se fixer pour objectif, une mer qui sera un attracteur stable dans les aléas qui l’entourent. J’y propose trois pistes pour réussir dans l’incertitude :
- Penser à partir du futur : on ne peut pas, en effet, comprendre vers quoi coule un fleuve en regardant les méandres de son cours.
- Choisir sa mer une fois pour toutes : L’Oréal n’en a jamais fini de viser la beauté, ni Google l’information ou Nestlé l’alimentation.
- Rechercher la facilité : sans l’appui de la pente naturelle du terrain, il est impossible de progresser dans la bonne direction au milieu des tempêtes, déluges ou sécheresses.

J’y mets aussi en exergue cinq points nécessaires pour sortir de la « schizophrénie » ambiante, schizophrénie qui nous fait accepter l’incertitude intellectuellement, mais qui nous pousse à agir comme si le futur restait prévisible et modélisable : 


1. Ne plus chercher la réponse à l’incertitude dans les mathématiques
Alors que tous les spécialistes nous alertent sur les limites et les risques de vouloir mettre les comportements humains en équation, nous continuons à ramener le comportement humain à de équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Les tableaux de chiffres n’évaluent pas la viabilité réelle d’un projet ou d’une entreprise.

2. Ne plus confondre vitesse et efficacité
Comme le dit un proverbe chinois, on ne fait pas pousser plus vite un arbre en le tirant vers le haut, on risque seulement de le faire mourir. Pourtant, on oublie sans cesse cet adage de base. La crise récente n’arrange rien, car, au lieu de se rendre compte que c’est parce que l’on a trop couru que l’on n’a pas vu les signes annonçant la crise, on court encore davantage.

3. Comprendre qu’une entreprise anorexique ne pourra pas faire face aux aléas
Adaptabilité, souplesse face à l’imprévu impliquent redondance, ressources disponibles, capacité à improviser. Je sais combien ceci va aux antipodes de la tendance actuelle qui cherche par tous les moyens à accroître la rentabilité des entreprises. Mais si l’on améliore les résultats immédiats, on se prépare pour un mort future probable, car ceci peut conduire à l’anorexie, au temps des dinosaures, ces méga-entreprises vulnérables au moindre changement climatique.

4. Être un paranoïaque optimiste
Souvent nous manquons d’imagination : conditionnés par nos habitudes, nos savoirs et nos expériences, nous pensons trop le futur comme le prolongement du présent. Dans le même temps, nous pêchons souvent par optimisme en nous organisant sur le scénario médian, voire maximum. Ceux qui vont réussir seront des paranoïaques optimistes : ils ont le culot de penser à partir du futur, mais, sachant que le pire est possible, ils s’organisent non pas sur le scénario médian, mais sur le pire.

5. Promouvoir un management durable
Comme nous sommes en train de passer au développement durable, nous devons promouvoir le management durable. En effet, plus les dirigeants changeront souvent d’entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu’ils ne sont que source d’erreurs et d’incompréhension, des lignes Maginot mentales. 

Alors, l’incertitude ne sera plus tant une contrainte qu’une formidable opportunité. Car, est-ce une si mauvaise nouvelle que de voir l’incertitude se propager de plus en plus ? Imaginons à l’inverse que nous allions vers un monde de plus en plus certain. Quelle y serait la place laissée à l’intelligence, au professionnalisme et à la créativité ?

Aussi, en contre-point de Jean-Paul Sartre qui écrivait : « Je préfère le désespoir à l’incertitude », je dirais plutôt qu’il n’y a pas d’espoir sans incertitude.

(1) Les mers de l’incertitude, Éditions Palio 2010

 

Des vidéos où je présente mon livre :

- Pourquoi l’incertitude n’est pas la preuve d’un manque de connaissance mais le moteur de notre monde,

- L’hypercomplexité de notre neuromonde,

- Où va un fleuve ?

- Pourquoi ce titre "Les mers de l’incertitude"

- Les entreprises qui durent visent des mers

- Comment une entreprise peut-elle choisir sa mer

- Mer et coeur de métier,

- Pour un management adapté à l’incertitude,

- Confrontation et confiance,

- Chercher la facilité,

- L’anorexie rend les entreprises cassantes,

- Adapter la vitesse à la situation

- Pour un management durable

- Etre un paranoïaque optimiste

 



11 réactions


  • morice morice 28 mai 2010 11:13

    ah, une étude sérieuse sur la pifométrie appliquée....


    brasser du vent, le pensum des formateurs en vide...

    ce que j’adore c’est le recours aux proverbes :
    « Comme le dit un proverbe chinois, on ne fait pas pousser plus vite un arbre en le tirant vers le haut, on risque seulement de le faire mourir. »

    bientôt, on va donner des cours de Feng-Shui à partir de l’Almanach Vemot, je le sens bien là....
    exemple : 
    « qui trop embrasse manque le train » : avec ça je vous une formation de huit jours sur la drague au bureau vers 18H.... un séminaire de 8 jours au moins. Ben ouais, avec les grêves à répétition faudra bien ça....
    j’ai aussi ça :
    "Si ce temps humide continue encore un mois, au printemps tout sortira de terre. - « Diable ! et moi quiviens d’enterrer ma belle-mère ! »
    mais là, on va laisser Mr Branche nous en faire un tronc.

  • Robert Branche Robert Branche 28 mai 2010 11:40

    Merci pour ce commentaire lapidaire alors que vous ne connaissez même pas le contenu de mon livre.

    Je n’entrerai donc pas dans une polémique inutile puisqu’elle ne porte pas sur ce que j’ai écrit...

    Pour info, mon livre a été chroniqué comme « le livre du jour » par Philippe Escande, dans les Echos du 21 mai 2010 : voir http://www.lesechos.fr/info/analyses/020553805783-comment-diriger-dans-l-incertitude.htm# . Lui, il a pris le temps de lire mon livre, et son commentaire est fondé sur cette lecture et non des a priori.

    • morice morice 28 mai 2010 17:08

      j’ai regardé vos vidéos : elles sont assez explicites il semble....



      vous vous écoutez parler... et vous gargarisez... bref, vous nombrilisez, Quand on vous regarde, on a aucune confiance...ce qui est un comble.... vous vous faites plaisir, mais c’est tout. Il n’y a rien à retenir de ce que vous dites et finissez par marteler. 

      ce n’est donc pas un a priori ; ce n’est pas le premier texte que vous faites ici : ils sont tous dans une classe de baratineurs comme on croyait ne plus en voir depuis des années : on dirait des stages de formation des années 70... exemple :

      « Un jour, à l’occasion d’une réunion que j’organisais pour une grande banque, j’ai trouvé la porte de la salle prévue fermée. J’ai alors appelé l’accueil qui détenait les clés pour qu’il vienne l’ouvrir. 

      « Vous vous trompez, la salle est ouverte, fut la réponse que l’on me donna au téléphone. » 

       »En effet, la personne avait, devant elle, le registre précisant les salles ouvertes et les salles fermées. Or sur ce registre, ma salle était ouverte, donc il ne pouvait pas y avoir de problèmes. Il m’a fallu alors de longues minutes pour la convaincre que mon information était forcément meilleure que la sienne, puisque moi, je me trouvais face à la porte. Pour elle, son interprétation était forcément la bonne : elle était la spécialiste et je n’étais que de passage…« 

      Et il faut en tirer quoi comme conclusion, à part que dans cette boutique quelqu’un était entêtée ? ce ne sont pas des analyses que vous faites. Mais un prétexte à platitudes.

      votre analyse du nuage de cendre est du même tonneau : » Il ne s’agissait bien sûr pas de risquer la vie de pilotes – et a fortiori de passagers –, mais n’avons-nous pas de ballon-sonde et d’avions sans pilote – les drones ? Certes nous pouvions perdre quelques-uns de nos précieux drones, mais, vu le coût collectif du blocage aérien, cela aurait été rentable".

      n’importe quel engin à moteur atmosphérique ou à turbine s’approchant du nuage aurait bousillé son moteur ; sauf si on montait à un endroit où il en avait moins (ce que deux appareils savent faire, un américain et un russe) : or votre drone ne sait pas le faire. Vous aviez tout faux sur le sujet. Vous invoquez la guerre et leur usage comme prétexte. Non, la simple raison. 


    • Robert Branche Robert Branche 28 mai 2010 20:07

      Merci déjà d’avoir pris le temps de regarder les vidéos et de lire quelque uns de mes articles sur Agoravox.

      Toutefois, vous ne pouvez pas en conclure ce que vous pensez d’un livre que vous n’avez pas lu : les vidéos ne sont que des teasers (je comprends que vous ne les avez pas aimées, mais difficile de plaire à tout le monde), les articles de courts documents qui ne peuvent pas se comparer à un livre complet.
      De toutes façons, je ne cherche pas à plaire à tout le monde... mais il resterait à vous faire un avis, ce que je comprends que vous n’allez pas faire.
      Permettez-moi enfin d’accorder plus de crédit à un avis comme celui de Philippe Escande qui est un des commentateurs les plus avertis et a pris le temps de lire mon livre (si vous ne le connaissez pas, il s’agit du principal éditorialiste des Echos et vous pouvez facilement retrouver de ses écrits... mais peut-être vous allez me dire que vous ne lui accordez pas de crédit smiley

  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 28 mai 2010 13:19

    Bonjour Robert,

    beau thème que l’incertitude dont je ne doute pas que vous l’ayez profondément sondé. cette modestie intellectuelle, ce scepticisme cultivé manque à beaucoup d’entre nous qui préférons monologuer dans la conviction établie sur ce banc de sable mouvant. http://www.futura-sciences.com/galerie_photos/showphoto.php/photo/1037 J’avais bien noté les questionnements que vous pratiquiez dans vos articles sur la vie, la mort, et c’est bien l’incertitude qui trace la voie vers l’éveil, et éclaire le chemin au contraire de l’expérience.

    " est-ce une si mauvaise nouvelle que de voir l’incertitude se propager de plus en plus ? Imaginons à l’inverse que nous allions vers un monde de plus en plus certain. " Il semblerait en effet que le monde s’affiche de plus en plus certain, et c’est parce que nous le percevons dans une mauvaise voie que nous espérons influer sur sa route. C’est parce qu’il bouge que tout devient possible, n’en déplaise aux stricts convaincus qu’il faut mettre un frein à l’immobilisme...

    Cordialement. L.S.


  • herbe herbe 29 mai 2010 16:44

    Il faudra que je prenne le temps pour la lecture et l’analyse ....

    Mais déjà d’accord sur le 2 (Ne plus confondre vitesse et efficacité) et le 3 (Comprendre qu’une entreprise anorexique ne pourra pas faire face aux aléas) avec un éclairage complémentaire que propose cet essai récent :

    http://tropvite.fr/


    • Robert Branche Robert Branche 29 mai 2010 16:54

      Tout à fait ! Le livre de Jean-Louis Servan-Schreiber « Le nouvel art du temps » est un des livres auquel je fais référence dans mon livre. Notamment la citation suivante : « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau ».


    • herbe herbe 29 mai 2010 21:14

      Ah super !

      Bonne continuation ! et même je dirai aussi bonne continuation aux idées de bon sens...

      On en a cruellement besoin, je crois que je vais faire mienne votre idée de « paranoïaque optimiste »...


  • Samra 6 juin 2010 12:51

    Salut

    Intéressante vue d’esprit à ne pas négliger ! « ça se discute ! » ...Merci


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