jeudi 3 mai 2018 - par

Extraits de l’article : L’inavouable « essence du nazisme »

Dans le Magazine Littéraire ancienne version, n°551, janvier 2015, on tombe sur l'article L'inavouable "essence du nazisme". Extraits.

 

Patrice Bollon a écrit :

Dans un essai passablement confus [Reductio ad hitlerum, une théorie du point Godwin], François de Smet explore les interprétations possibles de cette arme massive du "politiquement correct", que le philosophe Leo Strauss (1899-1973) avait appelée en son temps la reductio ad hitlerum. François de Smet y voit le symptôme d'une époque, la nôtre, perdue dans un relativisme moral où tout se brouille, incapable de se repérer face à "la contingence, de définir les notions de bien et de mal autrement que par la référence à un événement historique traumatisant". L'analyse est juste, mais un peu courte.
On peut se demander si le point Godwin ne constitue pas aussi, tant pour l'accusateur que pour l'accusé, une façon d'échapper à cette analyse introspective, qui n'a toujours pas été faite, de ce qui, dans nos raisonnements et leurs présupposés non questionnés, participe du nazisme honni.
Rien de moins, rien de plus.
C'est ce soupçon, bien plus politiquement incorrect que les débats vaseux actuels sur Pétain et les Juifs, qui court dans trois ouvrages récents.
  • Les Anormaux, Götz Aly, Flammarion, 2014
  • Miroir de l'Occident. Le Nazisme et la Civilisation occidentale, Jean-Louis Vullierme, Toucan, 2014
  • La Loi du sang. Penser et agir en nazi, Johann Chapoutot, Gallimard, 2014
[Selon Götz Aly] l'"Aktion T4" [l'eugénisme] n'était, en somme, que la préfiguration extrême de cette généralisation du calcul économique dans le domaine de la santé qu'on appelait dans les années 1970-1980 les techniques de "rationalisation budgétaire" (RCB). Ses objectifs matérialisent "l'utopie biopolitique d'une société d'individus performants" qui est devenue la nôtre. Enfin, loin d'être d'horribles nazis assoiffés de sang, nombre de ses soutiens dans le corps médical étaient reconnus comme les représentants d'une médecine progressiste [...]
[Selon Jean-Louis Villuerme] tout autre qu'un "hapax", un événement isolé, produit d'une espèce de génération spontanée, le nazisme ne serait [...] que le réaménagement radical d'attitudes mentales et autres partis pris idéologiques-cognitifs traditionnels qui se seraient "potentialisés" les uns les autres pour engendrer l'horreur. Parmi ceux-ci, Jean-Louis Villuerme distingue l'hyperrationalité technicienne, le nationalisme, l' "anempathisme" ("la disposition à n'éprouver aucune communauté de souffrance avec les cibles") des guerres coloniales, l'historicisme (l'idée que nous pouvons "créer le réel" par la volonté) et le positivisme juridique, postulat selon lequel le droit est une émanation du peuple, qu'on peut donc changer à loisir - porte ouverte à tous les terrorismes d’État.
Comme [Jean-Louis Villuerme] le rappelle, le Fürher s'était beaucoup inspiré, dans Mein Kampf, des théories "suprémacistes" blanches du publiciste américain Madison Grant (1865-1937) [...] qui passait alors pour le fin fond de la "Science". Il vouait un culte au motoriste Henry Ford, plus encore pour ses méthodes de gestion industrielle que pour son antisémitisme [...]
Et il établissait un lien fort entre son entreprise de colonisation de l'Est européen, avec asservissement programmé des Slaves, et la conquête de l'Ouest par les "Nordiques" américains fondée sur l'extermination des Indiens. Quant à son nationalisme et à son positivisme juridique, ils dérivaient en quasi droite ligne de 1789 ...
[Johann Chapoulot, à] rebours des interprétations en termes d'irrationalisme du nazisme, [montre que] ce dernier présentait une grande cohérence intellectuelle. Celle-ci était fondée sur l'idée d'une nature législatrice - où, selon les préceptes du darwinisme social, toute vie était conçue comme un combat, où les forts devaient nécessairement évincés les faibles, etc. - qui avait vocation à tout expliquer de façon scientifique [...]
Johann Chapoulot exhume les normes de perception et de raisonnement que le régime avait réussi à faire passer pour "naturelles", et donc irréfutables. Dans ce cadre de référence, tout prenait alors un autre sens. Comme tous les régimes politiques nouveaux, le nazisme avait procédé à une "révolution normative" [...] à ce jeu, les pires agissements confinaient à des devoirs paradoxalement moraux. Une construction qui explique la référence (dévoyée) à l'impératif catégorique kantien que fit Eichmann lors de son procès à Jérusalem [...]
De ces réflexions et interrogations, une leçon [...] se dégage [...] nous portons en nous les éléments constitutifs [du nazisme], mais nous devons nous défier de tout ce qui [...] se voit à chaque seconde sacralisé par les institutions et les médias. Même les sociétés les plus civilisées peuvent basculer dans l'hystérie collective.

Admirable article.

Vivrions-nous alors, à l'heure du "transnazisme" ? transnationales-socialisme ?

 

Voir aussi, sur AgoraVox :

 

Mal' - LibertéPhilo

 




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