samedi 14 juin 2008 - par Argoul

Michel Foucault par Paul Veyne


michel-foucault-profil.1213343707.jpgMichel Foucault était philosophe, Paul Veyne historien ; le premier homosexuel, le second hétéro. Mais ils étaient amis, après avoir été ensemble à Normale Sup, Foucault de quatre ans plus vieux déjà enseignant. Dans un court essai de 217 pages, qu’il a porté « 20 ans » (p.217), le professionnel et l’ami Veyne cherche en quoi Michel Foucault l’a marqué, en quoi il parle à son époque et offre un exemple. C’était « un samouraï » (chap.XI), un fervent de liberté personnelle, conquise par autodiscipline, contre tous les pouvoirs et notamment celui de la doxa, cette opinion commune qui fait les poncifs de chaque époque. Depuis la « bêtise » de Flaubert au « politiquement correct » dont la gôchmorâl comme la droitekon-passionnelle ne cessent d’inonder les média.

Michel Foucault, « ce gauchiste prétendu qui n’était ni freudien, ni marxiste, ni socialiste, ni progressiste, ni tiers-mondiste, ni heideggérien, qui ne lisait ni Bourdieu ni Le Figaro, qui n’était ni nietzschéen de gauche (...) ni d’ailleurs de droite, a été inactuel, l’intempestif de son époque » p.201 Il avait « cette attitude attentive et qui ne jugeait pas » p.203 Point de Vérité existant de toute éternité quelque part qu’il suffirait de dévoiler ; pas de Raison dans l’histoire, ni de Projet divin qui nous serait révélé : il n’existe que des variations historiques, humaines trop humaines. « Rien d’humain n’est adéquat, rationnel ni universel. Ce qui surprend et inquiète notre raison. » p.23 Et là deux attitudes depuis Platon et Aristote, depuis même les cavernes, sait-on jamais :

les frileux qui préfèrent les bras de Maman qui rassure et obéir aux ordres de Papa qui se charge de tout ; les curieux qui préfèrent se jeter à l’eau pour apprendre à nager, explorer le monde pour découvrir des choses nouvelles, et se former eux-mêmes le jugement par observations, échanges, comparaisons et réflexions.

Michel Foucault, bien sûr, était de ces derniers. Ce pourquoi il n’était ni freudien, ni marxiste, ni socialiste, ni « Chose rare en ce siècle, il fut de son propre aveu un penseur sceptique, qui ne croyait qu’à la vérité des faits. » p.9

« Nous ne pouvons rien connaître de certain sur le moi, le monde et le Bien, mais nous nous comprenons entre nous, vivants ou morts. » p.27 Supposons que « la folie » ne soit qu’un concept : « dès lors, quelle est donc l’histoire que l’on peut faire de ces différents événements, de ces différentes pratiques qui, apparemment, s’ordonnent à ce quelque chose supposé qu’est la folie ? » (Foucault, Naissance de la biopolitique, p.5) La société n’explique pas tout, l’idéologie non plus ; chaque événement est singulier, mais pris dans un « discours » et encadré par un « dispositif ».

« Les discours sont les lunettes à travers lesquelles, à chaque époque, les hommes ont perçu toutes choses, ont pensé et agi ; elles s’imposent aux dominants comme aux dominés. » p.46 Le dispositif est tout l’appareil qui impose le discours aux personnes, à une époque. Par exemple, « le savoir médical justifie un pouvoir, ce pouvoir met en action le savoir et tout un dispositif de lois, de droits, de règlements, de pratiques, et institutionnalise le tout comme étant la vérité même. » p.50michel-foucault.1213343694.jpg

C’est le mouvement historique qui fait changer les discours, qui fait passer l’esclavage de normal à haïssable, la peine de mort de réaffirmation du pouvoir royal symbolique à une pratique barbare. Chez chaque individu, c’est le mouvement de la pensée qui permet de prendre du recul sur les « vérités » du temps.

« Foucault doute de toute vérité trop générale et de toutes nos grandes vérités intemporelles, rien de plus, rien de moins. » p.63 Il est un intellectuel critique, pas un gourou ni un nihiliste. Peu importe ce qu’est la « vraie » démocratie : ce qui importe, c’est comment nous la voulons ici et maintenant. L’histoire humaine ne dépend pas - et c’est heureux ! - de l’histoire de la philosophie. Nietzsche, penseur dont Foucault se sentait proche, « n’était pas un penseur de la vérité, mais du dire-vrai », disait-il à Paul Veyne (p.140). Il y a de la liberté partout parce qu’il y a du pouvoir partout et que, si certains se laissent faire, d’autres entrent en résistance, voire en rébellion : ils pensent par eux-mêmes. « Ce qui fait bouger ou ce qui bloque une société, ce sont les innombrables petits pouvoirs autant que l’action du seul pouvoir central ». p.142 Ce pourquoi nous croyons la démocratie être le régime qui offre le plus de liberté, puisqu’il est nécessaire de confronter les idées et de débattre publiquement afin qu’une majorité de petits pouvoirs convergent pour agiter les idées et changer les choses. La passivité, c’est le consentement. Nous l’avons vu, il y a les éternels fatigués et les éternels explorateurs ; les chercheurs d’une éthique personnelle et les adorateurs des règles morales toutes faites ; les vieux rassis (même à 20 ans !) et les jeunes en devenir (encore à 80 ans). Michel Foucault se plaçait sans nul doute au côté des seconds. Par style de vie peut-être, par énergie intime sans doute. Il avait la force et le courage d’établir son éthique personnelle en relation (et parfois contre) les convictions et les pratiques de son époque.

Mais c’est un travail sur soi que bien peu de nos contemporains semblent effectuer. Indigence de caractère ? Ennui de la « prise de tête » ? Goût du troupeau ? Ils se sentent plus à l’aise à brailler de concert des slogans vides de pensée, plutôt que d’analyser eux-mêmes les choses, pour en convaincre les autres avec des arguments. L’argument d’autorité est le seul qu’ils connaissent ? comme en banlieue : les poings, pas les points ; où chez les politocards : les petites phrases, pas le programme. « N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité », écrivait Michel Foucault (cité p.10). « Qu’est-ce donc que la philosophie aujourd’hui ? je veux dire l’activité philosophique -, si elle n’est pas le travail critique de la pensée sur elle-même ? » (cité p.175) « Le rôle d’un intellectuel est de ruiner les évidences, de dissiper les familiarités admises ; il n’est pas de modeler la volonté politique des autres, de leur dire ce qu’ils ont à faire. De quel droit le ferait-il ? » (cité p.178). Foucault, c’est l’anti-Bourdieu. Trop nombreux sont ceux qui, dans les media et même sur les blogs, se prennent pour des intellectuels alors qu’ils ne répondent en rien aux critères. C’est le grand mérite de ce petit livre de Paul Veyne, écrit sans jargon et avec une affectueuse attention, de nous le rappeler.

Paul Veyne, Foucault, sa pensée, sa personne, Albin Michel, 217 pages, mars 2008



6 réactions


  • sery 14 juin 2008 18:00

    M. FOUCAULT me semble-t-il de son propre aveu n’ecrivait ses publications que pour une douzaine d’universitaires ds le monde.Cela ne concerne pas grand monde sur AV

    Que de violence et de mauvaise foi pour en faire partie...meme 30 ans apres..

    Le seul interet pour le commn de lelire c’est de se heurter aux limites de son esprit prolififquement

    Les commentateurs de M.F. sont generalement des Jean-foutre


  • del Toro Kabyle d’Espagne 14 juin 2008 18:22

    Merci pour la recension.

    En revanche, je trouve très douteuse votre (prélude à la) chute : "Foucault, c’est l’anti-Bourdieu".

    C’était tous les deux, deux monstres de lecture, de travail empirique et intellectuel. Votre phrase fustige-t-elle la surenchère médiatique dont Bourdieu a lui-même fait les frais ?


  • 15 juin 2008 10:46

    @ l’auteur

    Ne vous laissez pas démonter par quelques grincheux que vous avez réveillés.

    Je retrouve dans votre article les traits fascinants de ce grand penseur, épris de liberté autant que de scepticisme, refusant tous les modèles.

    L’image du poisson dans son bocal est parfaite pour nous rappeler la vanité de nos pensées que seul un samouraï peut dépasser.

    Il n’appartenait pas au gotha, fuyait les clubs et avait pris des positions singuières vis-à-vis des historiens, ce qui est peu fréquent pour un philosophe.

    Tout ceci explique qu’il soit peu reconnu et pourtant, quelle leçon d’espoir pour l’homme à la recherche du dépassement de soi.

    Bravo pour cet article qui nous sort un peu du café du commerce d’AV.


    • 15 juin 2008 10:47

      J’ignore pourquoi mon pseudo n’apparaît pas, le commentaire ci-dessus est signé Perlin


    • Argoul Argoul 15 juin 2008 12:50

      Que Michel Foucault agace les partisans, c’est très sain. Sur le politiquement correct du “mais” concernant homo/hétéro, je ne suis pas le propos du commentateur. Des goûts et couleurs on ne fait pas un Bien ou un Mal - mais ils existent, comme l’eau et le feu.
      La tendance contemporaine est de s’assembler par bandes et de “revendiquer” un droit de communauté dans la foulée. C’est en ce sens qu’il s’agit d’eau et de feu.
      Le “mais” est justement le constat que l’on peut surmonter ces écarts radicaux - sans pour cela bêler que tout le monde il est beau, gentil, génial et créatif par le seul fait de naître. La culture n’a rien d’inné ni de spontané, la civilisation des moeurs non plus. Tout cela demande un effort, notamment de recul, de réflexion, de connaissances à acquérir, de mise entre parenthèse des différences irréductibles.
      Ce “mais” - que j’ai posé exprès pour faire jaser - justifie la grandeur de Michel Foucult et de Paul Veyne bien plus que l’eau tiède du “nous sommes tous frères”.

      Quant à "anti-Bourdieu", cela veut surtout dire que Michel Foucault ne croyait pas à une vérité révélée par le miracle d’être intello-sociologue, mandarin autoritaire, recteur d’une petite cour à sa gloire et effrontément médiatique. Je ne veux pas dire par là que Bourdieu n’a rien à dire, je dis qu’il a utilisé des moyens douteux pour imposer (surtout sur la fin, quand il se savait atteint d’un cancer...) une pensée qui n’est après tout qu’une hypothèse à débattre (selon la méthode scientifique), pas plus. L’inverse de Michel Foucault qui déclarait : « N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité »,


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 16 juin 2008 10:00

    Je suis en plein dans ce livre passionnant, subtil et bien écrit. Si Foucault n’est pas compréhensible en l’état par tous, ce livre en facilite grandement l’accès.

    A propos de la remarque sur l’homosexualité de Foucalt, c’est quand même intéressant à savoir, en parlant de l’auteur de trois volumes sur l’Histoire de la Sexualité. Intéressant , mais sans plus.


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