mardi 3 février 2009 - par Leila

Retour à Simone Weil

La philosophe Simone Weil est morte à Londres en 1943 après avoir rejoint la France libre. On pouvait lire l’année dernière sur AgoraVox un article à sa mémoire. Son œuvre, publiée chez Gallimard, est considérable. Dans son dernier ouvrage, L’Enracinement, elle plaide pour une civilisation nouvelle. Pour son centième anniversaire, c’est un livre d’une brûlante actualité.

Vie et oeuvre

Simone Weil est née à Paris le 3 février 1909 dans une famille juive. Son père, médecin, descendait d’une famille alsacienne. Sa mère était d’origine russe. Son frère aîné, André Weil, était un enfant surdoué ; il fut admis premier à l’agrégation de mathématiques alors qu’il n’avait que dix-sept ans. Un groupe de mathématiciens dont il faisait partie a publié sous le pseudonyme de Nicolas Bourbaki une série d’ouvrages qui ont largement influencé l’enseignement des mathématiques.

La jeune fille obtient son baccalauréat à seize ans. Elle entre en classe préparatoire au lycée Henri-IV où elle suit les cours du philosophe Alain. Elle passe le concours de l’Ecole normale supérieure, rue d’Ulm, où elle est admise la deuxième année. Elle prépare l’agrégation de philosophie. En 1931, reçue à l’agrégation, elle est nommée professeur au lycée du Puy.

Simone Weil s’est intéressée très tôt à la condition ouvrière. Elle se rend à Saint-Etienne en octobre 1931 pour donner gratuitement des cours à la Bourse du Travail. Elle adhère au Syndicat national des instituteurs (CGT). Convoquée au rectorat, elle est informée que sa mutation est demandée au ministère de l’Education nationale, mais les parents de ses élèves signent une pétition réclamant son maintien. En janvier 1932, lors d’une manifestation de chômeurs, elle est prise à partie par le commissaire de police. Elle commence alors à écrire des articles pour divers journaux de gauche. En octobre la même année, elle est nommée professeur au lycée d’Auxerre. L’inspecteur qui visite sa classe l’année suivante écrit : « Mlle Weil ne se rend pas du tout compte de la réserve que lui imposent ses fonctions de professeur ».

Le 20 juin 1934, elle dépose une demande officielle de « congés pour études personnelles » qui lui est accordée. Elle entre alors en contact avec Auguste Detoeuf, administrateur d’Alstom, qui l’aide à se faire embaucher comme ouvrière dans une usine de la société. Elle y restera trois mois. Elle passe ensuite dans l’entreprise Carnaud, puis dans l’entreprise Renault à Boulogne-Billancourt, toujours comme ouvrière. Cette expérience en usine, extrêmement pénible, se termine en octobre. C’est la base de son livre « La condition ouvrière » qui sera publié en octobre 1937. Elle réintègre l’enseignement en octobre 1935 et sera nommée au lycée de Bourges.

Le 17 juillet 1936 commence la rébellion des généraux espagnols. Simone Weil se rend en Espagne comme journaliste. Blessée dans un accident, elle rentre à Paris le 25 septembre et obtient un congé de trois mois du ministère de l’Education nationale en raison de sa blessure.

Le 3 mai 1940 marque le début de l’offensive allemande. La famille Weil quitte Paris par le train pour arriver à Marseille le 15 septembre au terme d’un long voyage passant par Nevers, Vichy et Toulouse. Le Statut des Juifs est promulgué le 3 octobre. Simone écrit à Xavier Vallat, Commissaire aux Questions juives : « Je regarde le Statut des Juifs comme étant d’une manière générale absurde et injuste, car comment croire qu’un agrégé de mathématiques puisse faire du mal aux enfants qui apprennent la géométrie, du seul fait que trois de ses grands-parents allaient à la synagogue ? » Le 14 mai 1942, les Weil embarquent à destination de New York.

Mais Simone Weil veut rejoindre les Forces françaises libres. Grâce à Maurice Schumann, elle obtient un poste auprès d’André Philip, à la direction de l’Intérieur et du Travail. Arrivée à Londres le 14 décembre 1942, elle est chargée d’examiner les propositions de réforme établies par les comités d’étude de la Résistance et de faire des contre-propositions qui seront communiquées au général de Gaulle. Elle commence aussitôt la rédaction de L’Enracinement, qui reste inachevé.
 
Le 15 avril 1943, une amie la retrouve inconsciente dans sa chambre à Holland Park. Elle est transportée à l’hôpital du Middlesex, puis au sanatorium d’Ashford où elle meurt le 24 août d’une défaillance cardiaque. Elle est inhumée au New Cemetery d’Ashford.

La biographie complète de Simone Weil se trouve dans un Quarto Gallimard publié sous la direction de Madame Florence de Lussy, docteur ès-Lettres, conservateur général à la Bibliothèque nationale de France, en charge de la littérature contemporaine au département des Manuscrits.

L’Enracinement

« Un texte immense » dit Madame de Lussy dans l’introduction. Il serait impossible de le résumer sans en déformer le sens. L’auteur voulait qu’il soit pris comme un ensemble de conseils pratiques pour tous ceux qui sont amenés à exercer un pouvoir politique, administratif, judiciaire, économique ou autre, d’où son importance dans la situation actuelle. Il comporte trois parties :

I. Les besoins de l’âme ;
II. Le déracinement ;
III. L’enracinement

La première partie commence par : « La notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n’est pas efficace par lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond. »

J’ai noté au crayon, au fil de ma lecture, un grand nombre de phrases percutantes. Je n’en citerai que deux. La première : « Rousseau avait montré clairement que la lutte des partis tue automatiquement la République. » Et Simone Weil de conclure qu’il faut abolir les partis politiques. La deuxième : « Le public se défie des journaux, mais sa défiance ne le protège pas. Sachant en gros qu’un journal contient des vérités et des mensonges, il répartit les nouvelles annoncées entre ces deux rubriques, mais au hasard, au gré de ses préférences. Il est ainsi livré à l’erreur. »

La deuxième partie aide à comprendre les difficultés dans lesquelles se débat la société française, notamment le problème de l’intégration. « Les échanges d’influences entre milieux très différents ne sont pas moins indispensables que l’enracinement dans l’entourage naturel. Mais un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense. Il ne doit se nourrir des apports extérieurs qu’après les avoir digérés, et les individus qui le composent ne doivent les recevoir qu’à travers lui. »

Sur l’éducation : « Ce qu’on appelle aujourd’hui instruire les masses, c’est prendre cette culture moderne, élaborée dans un milieu tellement fermé, tellement taré, tellement indifférent à la vérité, en ôter tout ce qu’elle peut encore contenir d’or pur, opération qu’on nomme vulgarisation, et enfourner le résidu tel quel dans la mémoire des malheureux qui désirent apprendre, comme on donne la becquée à des oiseaux. »

Sur l’entreprise : « La profession de chef d’entreprise devrait, comme celle de médecin, être au nombre de celles que l’État, dans l’intérêt public, autorise à exercer seulement sous la condition de certaines garanties. Les garanties devraient avoir rapport non seulement à la capacité, mais à l’élévation morale. »

La troisième partie, la plus difficile, traite du problème d’une méthode pour donner une inspiration à un peuple. « En regardant au jour le jour la situation changeante de la France, il faut avoir dans l’esprit la notion de l’action publique comme mode d’éducation du pays. (…..) L’éducation - qu’elle ait pour objet des enfants ou des adultes, des individus ou un peuple, ou encore soi-même - consiste à susciter des mobiles. »

Je terminerai avec ce passage sur l’enseignement de l’histoire. « Il n’y a pas d’autre procédé pour la connaissance du cœur humain que l’étude de l’histoire jointe à l’expérience de la vie, de telle manière qu’elles s’éclairent mutuellement. On a l’obligation de fournir cette nourriture aux esprits des adolescents et des hommes. Mais il faut que ce soit une nourriture de vérité. Il faut non seulement que les faits soient exacts autant qu’on peut les contrôler, mais qu’ils soient montrés dans leur perspective vraie relativement au bien et au mal. »

Ce livre peut être téléchargé gratuitement.



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