mardi 28 août 2007 - par Henri Cochet

Ségo et Sarko : beaux comme l’Antiquité

Clin d’oeil multiséculaire à la récente campagne présidentielle.

Les lettres classiques meurent doucement. Tant mieux diront certains, car elles ne rapportent pas un sou et n’intéressent au fond qu’une élite binoclarde et sclérosée. Pourtant, en perdant le contact avec les mondes anciens, nous perdons l’occasion de mettre en perspective les réalités actuelles avec un certain sens de la continuité. Nous perdons également un peu plus de diversité culturelle. La défense de la diversité ne devrait pas seulement concerner les langues et les cultures actuelles, « exotiques » ou « régionales », qui valorisent le particularisme face à l’ogre Mondialisation. Les cultures antiques sont, elles aussi, un beau répertoire de mots et de concepts, de trouvailles et d’erreurs, de grandeurs et de décadences, d’arts de mourir et d’arts de vivre, d’humanisme universel et de barbarie achevée... C’est pas parce qu’on est mort qu’il faut fermer sa gueule. Ces bonnes gens du passé ont souvent écrit des choses profondes et qui restent d’actualité. Ne les oublions pas, merci.

Ceci dit, lire des textes antiques permet aussi de s’amuser, voire de rigoler un bon coup, ce qu’on signale trop rarement ! Ainsi, je voudrais citer un petit bouquin paru en 2006 chez Arléa : Petites histoires de grands hommes : Morceaux choisis des Nuits Attiques. Son intérêt essentiel : découvrir une Antiquité un peu moins grandiose et un peu plus sympathique. Ce livre pourrait être la version imprimée d’un blog, si l’auteur (Aulu-Gelle) n’était pas né au IIe siècle après J.-C... Recueil d’anecdotes sur quelques grands personnages et divers autres sujets, c’est une lecture parfaite pour la plage comme pour le métro. Rien de transcendant, juste de quoi passer le temps intelligemment, ce qui est déjà pas mal à notre époque. Voilà pour la minute de critique littéraire.

Maintenant, me direz-vous, quel rapport avec les deux vedettes politiques annoncées dans le titre de cet article ? Eh bien, en lisant ce fameux bouquin, l’autre jour, je suis tombé sur deux textes qui n’ont pas manqué de me faire penser à la récente campagne électorale, et aux reproches adressés à chacun des deux candidats.

Juste pour le plaisir du clin d’œil, je vous les ai donc retranscrits ici :

Extrait n°1 : la colère.

« [Le philosophe Plutarque] avait un esclave bon à rien et forte tête mais aux oreilles farcies de lectures et de débats philosophiques. À la suite de je ne sais quelle faute, Plutarque avait ordonné que cet esclave fût dépouillé de sa tunique et flagellé. Comme on allait le frapper, l’esclave protesta de son innocence : il ne méritait pas d’être fouetté, il n’avait commis aucun mal, aucun crime. Puis, au milieu des coups, le voilà qui se met à hurler, non des plaintes ou des cris de douleur, mais un discours sérieux et réprobateur : Plutarque, disait-il, ne se comportait pas en philosophe ; il aurait dû avoir honte de sa colère, car souvent il avait disserté pour réprouver la colère, et il avait même écrit un très beau livre sur le sujet : De l’impassibilité*. Sa conduite allait à l’encontre de tous les principes qu’il énonçait dans ce livre, car s’il le punissait de tous ces coups, c’était bien qu’il cédait vilement à la colère !

« Plutarque répondit alors, d’une voix lente et calme : "Dis-moi, gredin, à quels indices juges-tu que je suis présentement en colère ? Est-ce l’expression de mon visage, ma voix, mon teint ou peut-être mes propos qui te suggèrent que la colère s’est emparée de moi ? Il me semble, moi, que mon regard n’exprime aucune violence, mon visage aucun trouble ; je ne pousse pas de cris d’orfraie, je n’écume pas de rage, et mon visage n’est pas rouge ; je ne prononce aucune parole grossière ou dont j’aurais à me repentir ; je n’ai pas le moindre geste impulsif, je ne tremble pas. Or tous ces signes, au cas où tu l’ignorerais, sont les indices habituels de la colère." Et, en même temps, il avait adressé cette remarque à celui qui donnait les coups : "Pendant que nous débattons lui et moi, ne t’arrête pas." »

Extrait n°2 : la manipulation.

Sertorius, homme énergique et général d’exception, dirigeait son armée avec habileté. Quand des circonstances critiques l’exigeaient, et s’il y voyait un intérêt, il mentait à ses hommes : il lisait comme authentiques des dépêches factices, inventait un rêve prémonitoire ou rapportait de faux présages célestes, toutes les fois que ces stratagèmes pouvaient influencer le moral de ses troupes.

En voici un exemple célèbre.

Une superbe biche blanche, vive et rapide, lui avait été offerte par un Lusitanien. Sertorius parvint à persuader ses hommes que cet animal était un don des dieux et que, possédée par la puissance divine de Diane, cette biche discutait avec lui, le conseillait et lui indiquait comment agir au mieux. Chaque fois qu’un ordre lui semblait difficile à faire accepter aux soldats, il prétendait suivre les avis de la biche et, aussitôt, tous obéissaient de bon cœur, croyant accomplir une volonté divine.

Un jour, une incursion ennemie fut annoncée. Effrayée par le bruit et l’agitation des préparatifs de défense, la biche prit la fuite et se cacha dans un marais voisin. Après l’avoir en vain cherchée, on conclut qu’elle avait péri.

Mais, quelques jours plus tard, on vient annoncer à Sertorius que la biche est retrouvée. Le général demande à l’esclave messager de garder le silence et le menace de sanctions s’il divulgue l’information. Puis il lui donne comme mission pour le lendemain de lâcher soudain la biche à l’endroit où il se trouverait justement avec ses alliés.

Le lendemain, devant les alliés réunis, il affirme avoir vu dans son sommeil la biche qui était morte revenir chez lui et de nouveau lui révéler comment agir. À ces mots, il fait signe à l’esclave d’accomplir sa mission : la biche relâchée fait irruption dans la chambre de Sertorius provoquant cris et stupéfaction.

Cette crédulité des barbares fut d’un grand secours à Sertorius lors d’événements majeurs. L’histoire a d’ailleurs retenu qu’il n’y eut jamais ni désertion ni trahison parmi les soldats issus des tribus avec lesquelles il collabora, et ce malgré de nombreuses défaites et l’extrême instabilité de ces peuples.

[Quintus Sertorius fut préteur (gouverneur) d’Hispanie (Espagne). En 83 avant J.‑C., il prit la tête de la révolte des Lusitaniens (Portugais) et tenta de créer un État indépendant de Rome. Il contrôla quelque temps la péninsule Ibérique avant de subir plusieurs revers face à Pompée ; il fut assassiné en 72. Corneille lui consacra une tragédie, Sertorius, en 1662.]



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