samedi 21 juin 2014 - par C’est Nabum

À la bonne franquette

Pour la faim ...

Passer à l'improviste.

J'aime à surprendre au débotté mes amis pour venir quérir sans prévenir le verre de l'amitié qui ne fait pas de chichis. Le risque est grand de se casser le nez, de trouver porte close ou maison pleine d'hôtes officiels. Il faut parfois accepter sans se formaliser la soupe à la grimace quand votre arrivée vient troubler un moment tendre ou une crise passagère et savoir ne point insister quand l'occasion ne fait pas le larron. Mais qu'importe ces menus inconvénients, le bonheur est si grand quand le sourire vous accueille, que la surprise provoque la plus belle des réceptions : celle née de l'improvisation !

Oh, bien sûr, il y a des dommages collatéraux à l'impréparation de ce qui se fera- ô merveille des expressions- « à la bonne franquette ! ». Le plus terrible et j'ai grand mal à l'écrire et encore plus à le vivre, c'est la température où l'on trouve la bonne bouteille que l'on ne manquera pas de vider. Il y a plusieurs écoles qui s'opposent pour affronter ce redoutable écueil.

Les plus prévoyants ont cave fraîche et petit rouge de Loire, toujours disposé à se sacrifier pour les plaisirs inopinés. On le qualifie avec gourmandise beaucoup plus que par ironie déplacée, de petit vin de soif. Il coule à toute heure, ou presque, sans se prendre la tête ni la vôtre du reste. Il offre de délicats parfums de fruits rouges et fait honneur à la viticulture ligérienne.

Les jamais-pris-au-dépourvu ont toujours un vin blanc de chez nous ou un crémant au réfrigérateur. On sait alors que la suite sera du même tonneau et que le maître de maison n'est pas homme à se laisser prendre en défaut. La cochonnaille ne manque jamais dans sa maison et le petit apéro pas prévu peut se transformer en moins de temps qu'il n'en faut pour vider la première bouteille en un repas fait de peu de brics et de beaucoup de brocs.

Les rois de la technologie ou les œnologues avertis disposent d'un appareil électrique qui ôte tout risque de température inappropriée. Le blanc sera frais, le champagne frappé, le rouge à température ambiante. Ces épicuriens tiennent le vin en telle estime, que venir les déranger à n'importe quelle heure, est toujours un bon prétexte pour faire sauter le bouchon. Jamais vous ne les importunerez à moins que vous ne vous soyez définitivement pris le nez !

Les approximatifs, les rois de la combine vous prient de finir de rentrer et disparaissent à la hâte. Ils filent discrètement mettre une bouteille au congélateur et font durer la conversation avant que de vous proposer enfin ce que vous espériez du fond du cœur. Vous feignez alors la surprise et évitez de remarquer, sur le flacon, la condensation excessive qui trahit la manipulation.

Les désarmants, les imprévoyants notoires n'ont ni cave ni réserve. Ils sont incapables de vous proposer la moindre fillette, la plus petite chopine. Ceux-là, pour agréable que soit leur compagnie, ne leur rendez jamais visite sans prendre la précaution de suppléer à leur indécrottable légèreté. Toute honte bue, vous arriverez chez eux avec le précieux nectar en prétextant bonne nouvelle à arroser ou date à commémorer.

Les rebutants n'aiment pas cette petite entorse à la diététique, cet écart que l'on s'autorise pour délier les langues, rosir les joues et aimer le temps qui passe. Ils ne pensent jamais à offrir à boire, vous laissent vous égosiller sans le plus petit liquide réparateur et vous maintiennent debout sur le pas de leur porte. Il est conseillé de ne pas réitérer la visite, ce qui est, d'ailleurs, le but recherché par ces tristes personnages. Il faut se faire une raison et trouver maison plus accueillante la fois prochaine.

À moins que nous n'apparteniez à la dernière catégorie, n'hésitez pas une seconde à me fournir votre adresse pour que je vous rende une petite visite à l'improviste. Et, si vous connaissez la mienne, rassurez-vous, ma cave est pleine et ma porte vous sera grande ouverte. Mais surtout, ne prévenez pas de votre passage, offrez-moi ce bonheur supplémentaire !

Épicuriennement vôtre



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