mercredi 12 mai 2021 - par C’est Nabum

Bâtisseur de chimères

 

Le tailleur de pierres d'Apremont

Il était une fois, en ce magnifique village d'Apremont-sur-Allier, un jeune carrier. La destinée avait choisi pour lui puisque ses parents l'avaient prénommé Pierre ! Il était d'une rare dextérité. Il travaillait si vite et si bien qu'il nourrissait de grands rêves de gloire artistique. Hélas pour lui, sa besogne dans sa carrière de pierres bioclastiques était des plus ingrates. Il travaillait à la va-vite pour des constructions qu'il ne voyait jamais. Il taillait grossièrement sa pierre pour lui donner approximativement la forme souhaitée avant que la pièce ne prît le chemin du chantier en empruntant la Loire.

En ce temps-là, les hommes avaient encore de la raison et cherchaient à rendre plus légères les cargaisons. La pierre, matériau lourd s'il en est, était pré-taillée avant que d'être livrée pour les finitions. Notre carrier exerçait ses talents à cette besogne pratique mais peu attractive pour l'artiste qu'il était. Ainsi allégée, la pierre pouvait descendre la Loire jusqu'à une cathédrale ou bien un château. Le transport était encore une activité dont on usait avec grande parcimonie...

Pierre rêvait d'aller à son tour sur les hauteurs de ces édifices pour fignoler son ouvrage et y laisser enfin sa signature de maçon. Il aimait trop son art pour se contenter de sa tâche. Il rêvait de majestueux chantiers, de chimères inquiétantes, de gargouilles hideuses et de statues magnifiques. Il restait dans sa carrière à se morfondre, maudissant le sort qui l'avait fait naître au pied d'un trésor, précieux certes mais si éloignée de la fièvre architecturale de l'époque.

Un beau jour, pourtant, l'occasion se présenta de quitter son office et d'aller à la conquête de la renommée. Une commande venait d'arriver provenant des maîtres d'œuvre de la cathédrale d'Orléans. Non seulement, on réclamait des pierres mais il était stipulé que le chantier manquait cruellement de compagnons qualifiés. Pierre allait saisir sa chance et partir à l'aventure sur les flots de la belle dame Liger.

Hélas pour lui, la bonne fortune vint à manquer au chaland qui emportait cargaison et passagers. La Loire était haute et piégeuse. Au détour d'une boucle, un gros rocher saillait que le capitaine ne connaissait pas et ne put éviter. Le flanc du bateau se déchira et bien vite l'embarcation sombra corps et biens. Pierre, qui avait toujours eu des pierres dans ses poches n'avait, pour cette bonne raison, jamais appris à nager. Il allait périr dans les flots entre Saint Benoît et Châteauneuf quand une belle fée vint à son secours. C'était notre Ondine, vous vous en seriez doutés !

Elle le tira de ce fort mauvais pas et le hissa à terre. Les fées en ce temps-là avaient plus d'un tour dans leur sac. Ondine n'avait que faire d'un seul service, il fallait qu'elle montrât toute l'étendue de ses pouvoirs. La fée sur la berge, pour réconforter Pierre qui avait cru sa dernière heure sonnée, lui proposa en sus d'exaucer son vœu le plus cher.

Pierre n'avait qu'une idée en tête, sculpter la pierre sur les tours de cette Cathédrale pour laquelle, depuis si longtemps, il n'avait de cesse de dégrossir des blocs destinés aux piliers de l'édifice. Son tour allait venir de laisser sa signature pour l'éternité : un pentangle au centre duquel une flèche se brisait. Il demanda ce que dame Ondine sur-le-champ lui octroya. Pierre, par magie, se retrouva dans l'instant à l'œuvre, un burin dans une main et un marteau dans l'autre, à tailler une autre pierre, de tuffeau celle-là, sur les hauteurs de la cathédrale.

Mais on ne se retrouve pas ainsi à tutoyer les cieux quand jusqu'alors on travaillait dans la carrière. Pierre fut vite pris de vertige, il perdit l'équilibre et son rêve se transforma en un court et désastreux plongeon vers le sol. Quand il arriva à quelques centimètres du parvis, sa vie était en suspens. Heureusement pour lui, Ondine était venue contrôler les conséquences de sa faveur. De nos jours, les fées et bien d'autres professions du reste n'ont pas pareil sens du service après-vente ; nous ne pouvons que le déplorer.

C'est dans les bras d'Ondine que Pierre finit sa chute libre. À demi-évanoui, il remercia la bonne dame et, devançant sa proposition, lui réclama immédiatement un autre vœu. On s'habitue bien vite aux miracles ; l'humain est ainsi fait que rien ne le surprend quand c'est en sa faveur que s'exprime le hasard ou la bonne fortune.

Ayant retenu la leçon du vertige, il souhaita se retrouver dans les ateliers d'un sculpteur de renom. Il travaillait pour le roi, il y avait belles et grandes statues à tailler à la gloire du Prince et de ses exploits. Pierre se mit à nouveau à l'ouvrage, avec vigueur et talent. Il fit même tant et tant que son travail fut remarqué par sa majesté en personne. Mais bien vite, les louanges tournèrent à la tempête. Pierre, artiste scrupuleux, avait laissé un petit relief là où le roi avait vilaine verrue. Immédiatement mis aux arrêts, il se retrouva en fort mauvaise posture sous la hache du bourreau pour crime de lèse-majesté.

Une fois encore, Ondine intervint. Pierre, il faut l'avouer, ne s'était pas tourmenté. Il attendait ce miracle avec la foi des grands naïfs particulièrement crédules. Sauvé par sa bonne bienfaitrice, il s'autorisa une remarque au bourreau, lui signalant que le fil de sa hache méritait un affûtage de spécialiste. Sans rancune du reste, il s'exécuta sur le champ.

Puis se tournant vers la fée, il fit une petite réflexion à sa bienfaitrice, trouvant qu'elle avait quelque peu tardé sur le coup. Ondine, bonne fée, ne lui en tint pas rigueur. Cependant, elle lui glissa à l'oreille qu'il serait temps que cet écervelé se fixa durablement quelque part. Elle avait d'autres chats à fouetter sur la Loire. Il lui tardait retourner dans sa rivière.

Pierre, bien attrapé par ses rêves de gloire, avait compris la leçon. Il lui demanda sagement de revenir en Apremont où femme et enfants devaient se languir de lui. Carrier dans son beau village il était, tailleur de pierres il resterait désormais, le reste de son âge. Ondine, ravie de n'avoir plus à surveiller cet étrange quémandeur, l'envoya bien vite à ses chers cailloux. Elle retrouva aussitôt les fonds mystérieux de la Loire et Pierre ses braves compagnons d'antan.

Il faut se contenter de son état quand celui-ci est heureux. À trop désirer la gloire, Pierre avait caressé les cimes avant de tutoyer leurs abysses. Il revint de cette aventure, convaincu que la grandeur n'a que faire des illusoires espoirs. Durant son existence, il tailla ses blocs de calcaire avec un plaisir incomparable et se jura de ne plus jamais envier les plus renommés que lui. Être prophète en son pays est sans doute le bien le plus précieux. Il est fort prétentieux de se vouloir plus que ce qu'on a obtenu de son seul talent. User d'artifice ou bien de diablerie pour gravir les échelons finit toujours par vous jouer des tours pendables !

Lapidairement sien

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4 réactions


  • Fergus Fergus 12 mai 2021 19:20

    Bonsoir, C’est Nabum

    Très plaisante histoire.

    Le village d’Apremont  effectivement un habitat d’anciens carriers — et le site dans lequel il s’inscrit sont superbes.

    Un village tellement séduisant par son unité qu’on lui pardonne bien volontiers de faire passer des maisons du 20e siècle pour des habitats du temps d’Henri IV.

    Il est vrai que l’illusion est quasiment parfaite.

    Je connais depuis fort longtemps ce village par lequel j’ai souvent pris plaisir à me détourner de ma route entre Paris et l’Auvergne. Cela fait d’ailleurs pas mal de temps que je n’y pas fait de halte. Voilà qui me donne une bonne idée de route buissonnière, même si je ne me déplace plus sur le même axe.

    Promis : lorsque je serai à Apremont, j’aurai une pensée pour ce Pierre.


    • C'est Nabum C’est Nabum 12 mai 2021 20:17

      @Fergus

      C’est très gentil

      Une pensée pour Pierre et un regard pour la rivière ..

      L’Allier est merveilleusement sauvage, bien plus que la Loire du reste

      Bon détour


  • juluch juluch 16 mai 2021 11:21

    sympas l’histoire Nabum !! smiley


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