mardi 5 août 2014 - par Jean-François Dedieu

Bzezeze, bzezeze... Les moustiques ! (I)

 On les entend voler, on en entend parler... Entre les moins comestibles et les allergisantes pleines de cloques on en plaisante... Même les envoyées spéciales de la 2 qui nous ressortent des enquêtes réchauffées les mettent en vedette. Alors que de nouvelles espèces « tigre » menacent de nous envahir, revenons sur un épisode de la guerre sempiternelle entre l'Homme et le moustique. 

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 En juin 1963, l’État charge le haut-fonctionnaire Pierre Racine (1909 - 2011) de la Mission Interministérielle pour l’Aménagement Touristique du Littoral du Languedoc-Roussillon. Dans le but de recevoir un million de touristes, l’ex-directeur de cabinet du premier ministre Michel Debré (entre 1959 et 1962) doit présider à la création de stations balnéaires ou à l'aménagement de l'existant (1), à savoir les villégiatures plus ou moins implantées depuis la vogue naissante des bains de mer, en 1846, dont Saint-Pierre-La-Mer (2). 

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 Un littoral où les vents règnent en maîtres. En effet, sur les eaux plus ou moins saumâtres, sur la mer, dans les pins, les tamaris, les roseaux et les oliviers de Bohême, les dépressions du Golfe de Gênes ou du Golfe de Gascogne génèrent des courants souvent violents. Si cette forte circulation représente une contrainte, nous lui devons néanmoins quelques effets positifs : l’humidité venant du Golfe du Lion, favorable à la végétation, l’évacuation des miasmes dans l’autre sens, au-dessus des étangs, des lagunes, grâce aux vents de terre, dont le Cers. Des vents qui contrarient les moustiques.
 Sauf que la mission Racine ne saurait s’en remettre seulement aux courants d’air pour chasser ces aèdes, anophèles, ces culex et leur parentèle fournie de cousins. Le prestige de la France est en jeu et, les avancées économiques accompagnant l’expansion démographique, c’est avec le DDT qu’on va faire taire les innombrables "bzz" des piqueuses et le bourdonnement inaudible des quelques humains qui ont le toupet d’alarmer sur les risques de cancer et de reprotoxicité du produit ! La chimie, un moyen et non des moindres dans l’arsenal pour le progrès et l’avenir glorieux ! Et cette guerre-là sera gagnée dans le but de proposer la Côte d’Améthyste (3) aux touristes filant sur l’Espagne tout en détournant cette même pression de la Côte d’Azur saturée. Le projet permettra par ailleurs de diversifier une économie fragile car liée à une monoculture peu sûre, celle de la vigne. Il peut accompagner aussi l’arrivée des Pieds-Noirs dont une majorité préfère s’installer autour de la Grande Bleue.
 Les humains sont obligés de faire avec les vents mais ne sont pas tenus de cohabiter avec les moustiques : telle est la situation... Les premiers occupants, eux, du moins leurs héritiers pas si lointains, du temps des charrettes, des chevaux, des baraques et des marabouts laissés par les GI’s, adaptés à l’existant, profitaient de la belle saison à la mer. Certes, on peut toujours dénoncer les mauvaises conditions sanitaires de ce séjour estival, l’insuffisance des « cabinets » publics, du robinet d’eau souvent sec ; un point de vue tout relatif par rapport aux conditions de l’époque trop facilement oubliées, marquées par le trou d’aisance familial dans les dunes et le puits d’eau douteuse dans la vigne au pied de la Clape... Cela rappelle ces intégristes de l’hygiène qui se bouchaient le nez pour la cabane au fond du jardin tout en trouvant normal de gaspiller dix litres d’eau traitée pour un petit pipi ! En attendant, le plaisir, le bien-être liés aux vacances à la mer dépassaient de loin les inconvénients dont les piqûres des moustiques, même pour les imprévoyants démunis de fly-tox.
 Au plaisir d’un crépuscule calme, au moment de préparer le carbure pour la lampe acétylène, quand des groupes puis des hordes de femelles déchaînées attaquent en bzzezetant pour attirer les mâles, les locaux relèvent seulement, dans la discussion, comme on parle du temps après le souper et que Paulou Romain, le mégot als pòts (aux lèvres), le béret regardant le ciel, semble poétiser : « Le vent se pose... ». On ne parle pas trop des maladies, à l’époque, le palu c’est pour le légionnaire qui se bat aux colonies, la dengue on ne connaît pas, le chikungunya n’existe pas et la terrible poliomyélite qui fait si peur n’est pas transmise par les moustiques (4).
 La Mission Racine entreprend donc d’aménager en drainant, en assainissant, dans un esprit aussi jacobin que moralisateur, très troisième république, pour le bien de tous cependant. Quant au traitement réservé aux moustiques, s’il ne fait pas l’objet d’information propagandiste (à quoi bon informer la plèbe et puis les médias ne sont pas ce qu’ils sont aujourd’hui...) il s’apparentera néanmoins aux célèbres campagnes passées de santé publique menées notamment par Pasteur. Et pour vendre la Côte d’Améthyste, l’État ne peut s’exonérer de cette croisade, même si la motivation, aux dires aussi ironiques que partiaux des jamais contents, ne serait que de transformer notre littoral en "bronze cul de l’Europe".

(1) Port-Camargue (Gard), La Grande-Motte, Carnon, Le Cap d’Agde (Hérault), Gruissan, Port-Leucate (Aude), Port-Barcarès, Saint Cyprien (Pyrénées-Orientales). 
(2) inclue par la Mission Racine dans l’unité touristique "Gruissan", en théorie seulement. Michelin et l’IGN persistent à écrire « Saint-Pierre-sur-Mer ».
(3) une appellation qui ne prendra pas plus que celle de la « Côte des Roses ».
(4) on les trouve, en nombre aussi, à l’intérieur des terres, au village, dans les vignes, ce qui fit dire à un de nos nombreux philosophes méconnus, « Es una companhià » (C’est une compagnie / Grasseau dit "Benoît", un de nos coiffeurs historiques).

Photo 1 autorisée : wikipedia. 

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