samedi 6 août 2016 - par C’est Nabum

Comme sur des roulettes

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Une main libre, pour quoi faire ?

Nous vivons une époque résolument moderne où chaque progrès s’inscrit dans une volonté de tirer le meilleur parti des travers de nos semblables. Ainsi en va-t-il de l’incroyable évolution du sac de voyage, de la valise et même du cartable d’écolier. On devine l’arrivée prochaine de la télécommande et de la motricité autonome pour ces contenants merveilleux qui font leur chemin comme sur des roulettes.

L’arrivée des petites roues sous la valise a été le détonateur d’une révolution culturelle dont on ne peut mesurer toutes les répercussions. Il faudra des décennies pour comprendre les effets de cette transformation technologique qui appartiendra sans doute à la grande épopée de l’humanité vagabonde. Les roulettes bouclent la boucle de l’évolution, le chasseur-cueilleur est oublié : il sera le rouleur-causeur et n’aura plus un seul effort à réaliser pour porter toute la misère du monde.

Pourtant, les roulettes nous roulent dans la farine. Non seulement, elles accroissent considérablement le poids du sac qu’il faudra bien porter à un moment ou à un autre, mais en plus, elles précèdent notre arrivée d’un vacarme qui couvre en partie le bruit de nos conversations mobiles. Les trottoirs en bordure de gare sont à ce titre devenus infréquentables : un roulement de tambour permanent ponctue les pas-perdus.

Les roulettes s’opposent au relief, aux variations de niveau, aux escalators et et aux escaliers. Elles placent leurs usagers devant une montagne infranchissable. Comment passer l’obstacle sans renoncer à la conversation qui est conduite dans le même temps avec le petit appareil, vissé au coin de l’oreille et vendu sans doute avec le sac à roulettes ? Beaucoup ne peuvent résoudre ce dilemme et comptent sur un quidam mains libres pour venir les suppléer !

Ce qui fonctionne aisément pour les jeunes femmes ne semble pas aller de soi pour toutes celles qui ont un sourire moins ravageur. La pauvre femme ou le malheureux bonhomme se retrouvent devant l’obstacle sans trouver âme qui vive pour l'aider à le franchir. Il faut admettre que tous ceux qui passent, s’ils n’ont pas de chariot à rouler, ont bien le petit ustensile vissé à l’oreille qui leur fait ignorer le monde qui les entoure .

Les roulettes vous ont conduit à forcer sur le poids du bagage, à mettre bien plus que vous n'en aviez besoin. Jusqu’à cette invention démoniaque, le voyageur se chargeait en fonction de la force de ses biceps ; c’était sagesse et raison. Depuis, c’est la course effrénée au volume : la valise enfle à vue d’œil, elle se fait pachyderme blindé, coffre-fort hypertrophié qu’il faut déplacer en le traînant derrière soi.

L’obstacle ne peut plus être avalé, d’autant que vous ne perdez pas une miette de votre conversation lointaine. Vous êtes à l’arrêt, entravant la circulation des autres, le monstre roulant en travers du chemin de la multitude. Vous faites barrage, vous faites pied de grue : une grue qui a toute sa garde-robe entassée derrière elle. Quelle misère que ce monde qui ne peut plus porter son bagage ! Quelle désolation que ces gens qui n’ont de muscles que pour alimenter les salles de gymnastique sans jamais les utiliser pour l’aspect pratique de la vie quotidienne.

 Regardez ces champions qui soulèvent de la fonte à longueur d’entraînement mais qui, le jour du match venu, traînent un sac démesurément grand derrière eux. Leurs biscoteaux ne sont pas là pour une tâche si prosaïque. Ils diffèrent cependant du voyageur ordinaire avec un gros casque sur les oreilles pour se couper d’un monde qui, stupidement, vient donner de l’argent pour encourager ceux qui les méprisent ainsi …

Mais revenons à la valise roulante. Vous finissez par décrocher de votre conversation et, avec les deux mains, vous parvenez à grand peine à franchir ce qui entravait votre progression. Le tour de reins sera la juste récompense de l’opération. Vous avez vu trop grand, trop lourd : vous le payez d’une douleur aiguë qui vous transperce le dos. La réalité finit toujours par vous rattraper.C’est au bord de l’évanouissement que vous trouvez enfin un banc pour vous asseoir et que, grâce au petit appareil qui ne vous quitte jamais, vous appelez une ambulance.

Le brancard arrive et vous constatez, médusé, que vos sauveteurs sont bien plus sages que vous. Leur engin dispose de quatre roulettes : le progrès et la santé sont à ce prix. Il vous faudra changer de sac ou de valise la prochaine fois ou envisager de vous équiper d’un GPS piétonnier qui vous proposera un circuit sans relief, sans trottoir ni escalier ; ainsi irez-vous votre chemin sans risquer l’incident lombaire.

Valisement vôtre.

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4 réactions


  • juluch juluch 6 août 2016 10:16

    Rigolo !!  smiley


    J’ai une valtoche à roulette et effectivement il faut la soulever de temps à autre.

    Sinon je préfère le bon vieux sac.

    merci Nabum

  • exocet exocet 6 août 2016 14:33

    Bonjour, Cenabum, ravi de lire encore un de vos billets, car bien qu’ils s’attaquent à des sujets prioritaires, je les devine sans prétentions....
    C’est celà que certains ont appelé « la valise ou le cercueil » ?


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