Epopée surréaliste de Magritte aux Canaries
Réne Magritte est un peintre surréaliste belge, né le 21 novembre 1898 à Lessines et mort le 15 août 1967 à Schaerbeek.
Son épouse, Georgette, née à Marcinelle, 22 février 1901 et morte à Schaerbeek, le 26 février 1986 , a été le principal modèle de René.
J'ai imaginé les ressusciter après seulement soixante ans de décalage dans le temps en utilisant quelques métaphores. A cette époque, les vacances se passaient à la mer du Nord, peut-être.
Mais ils auraient peut-être voyagé et pris l'avion à cause ou grâce à Georgette, son épouse, plus moderniste et plus entreprenante que René.
Transposer mes propres vacances par celles du couple Magritte.
Je montre Georgette comme quelqu'un de plus amène de traverser le temps et René, plus prisonnier de son passé, obligé d'assumer la modernité qui va trop vite pour lui et qui le pousse à la défensive perdue dans ses routines.
La psychologie des deux personnalités a ainsi rejoint une philosophie d'opposition instructive.
Pour eux c'est un "Back to the future"
Avant les vacances
René et Germaine ont tous deux atteint l'âge de la retraite. René a 65 ans et Germaine quelques mois de moins.
René à vendu quelques œuvres récentes et cela a mis du beurre dans les épinards.
Dans la rue des Mimosas où ils habitent, beaucoup de petits vieux sont entrés dans des maisons de repos et en sont ressortis les pieds devant avec le Covid. Ils n'ont nulle envie d'arriver dans leur sillage sans avoir profité de la vie.
Georgette regarde les brochures touristiques.
Elle doit tenir compte des expositions que René à toujours lors de la reprise des activités après les grandes vacances de juillet et août.
- Que penses-tu de partir en vancances à Gran Canaria, demande Georgette.
- Nous sommes entrés dans l'ère de l'urgence chronique. On ne rend plus le temps au temps. On prend des décisions sans réfléchir. Tout s'écrit sous forme de tweets. Tu connais cela un peu avec tes amies, ma Georgette", répond René en arrivant derrière elle.
- Trêve de badinage, l'enregistrement des vacances de septembre doit se faire assez tôt à l'agence de voyage. Partir ou rester c'est donc kif kif.. Tu es un pantouflard, très conventionnel et même prévisible malgré ton imagination fébrile sur tes tableaux. A notre âge, il faut penser à nous. Nous sommes obsolètes pour les jeunes qui apprennent plus vite en voyageant que nous l'avons fait à leur âge. C'est ça le progrès, mon René.
- D'accord, je suis un vieux crouton adversaire de tous ces trucs de notre modernité mais ce n'est pas moi qui suis malade. C'est la société modernisée. Il nous faut la remettre d'aplomb par l'amour, l'amitié, et la persuasion. Cette année, c'est le rebond et du "toujours plus" qui revient en cheval de bataille. A rechercher à être toujours le premier en tout, on finit par perdre le Nord. L'être humain est le seul être vivant qui ne parvient pas à se réguler par lui-même. Il lui faut des crises pour que rétroactivement, il réagisse. Le commerce et le pognon pour seules attractions avec la corruption en retour de flamme. Être dépendant des aléas, est-ce cela que tu appelles faire partie du progrès ? Tu as raison, je suis peut-être prévisible mais notre monde est bien plus en manque d'imagination.
Georgette n'a pas l'intention d'ouvrir une nouvelle polémique sur le sujet du progrès et du conservatisme. Elle connaît parfaitement les idées de René.
René est un pessimiste de nature et le Covid, il y a peu, était intervenu dans leurs conversations devenues chroniques.
Georgette se targue de lui faire une opposition par un optimisme de bon aloi.
Le modernisme va seulement trop vite pour René.
Georgette devine que son carnet de dessins pris au fusain et son tableau doivent encore exister s'il ne les avait pas vendus depuis. Elle sait que vu la manière de peindre, ils ne doivent pas être très représentatifs comme le sont des photos. Pour lui, les photos ne sont pas des œuvres d'art si elles ne sont pas remaniées par après avec les artifices de l'imagination. Le surréalisme ne laisse pas grand-chose à la réalité visuelle.
Elle est prête à tous les sacrifices. Elle a besoin d'évasion à 360° en 3D alors que René se contente de sa petite toile de 60 centimètres carrés en deux dimensions.
Enfin, après moultes palabres, c'est décidé, ils irons à Gran Canaria.
L'agence où ils se sont inscrits leur a demandé de patienter, de ne pas s'exciter trop vite.
Georgette a utilisé Internet pour aller sur Facebook et parlotter sur ses vacances avec de petites amies qu'elle y rencontre dans l'inattendu des relations souvent restées virtuelles. Elle aime les contacts humains. Pour casser cette virtualité, elle a invité quelques rencontres fortuites en ville pour aller blablater ensemble. Elle a peur que les vacances n'aient, une nouvelle fois, pas eu lieu.
- Nos vacances sont confirmées. Je vais à l'agence, dit Georgette.
- Je ne m'en occupe pas. Va à l'agence. Tu as tout organisé. A toi d'assumer le reste maintenant, dit René.
- T'ai-je demandé quelque chose ? Je te connais depuis plus de 40 ans de vie commune. J'aime le hasard des rencontres et des découvertes. Toi, tu ne cherches que les nouveautés dans ton imagination artistique, répond du tac au tac, Georgette.
- C'est tout l'art du bon goût et de ma philosophie. Peu importe l'endroit où je suis. Je participe à tout sans bouger de mon chevalet, répond René.
Georgette ne répond pas à cette invitation à une nouvelle polémique.
Intelligente, elle sait qu'elle ne parviendra jamais à le convaincre totalement.
"La force des femmes, c'est leur douceur" se dit-elle en elle-même.
Sa logique du surréalisme ne passe pas avec tout le monde. Ce que René veut exprimer sur ses toiles sont parfois interprétées sans lien évident avec le titre que René leur donne.
- Pour toi, je nage seulement dans l'abstraction des objets. J'aime certaines personnes aussi. Ne suis-je pas ton complément parfait comme deux atomes qui ne font rien séparément de bon séparément mais qui, quand ils se rencontrent, créent une molécule comme un vrai bijou, répond René en l'embrassant.
Le départ.
Le soleil est au rendez-vous. La chienne, Loulou, 3ème du nom, a été cédée à une voisine. Laisser la chienne emportée dans la soute à bagages de l'avion, ni René, ni Georgette ne l'aurait jamais accepté. Mais, en plus, l'hôtel RIU Palace Maspalomas ne le permet pas et même les enfants ne sont pas admis.
- J'espère que tu n'as pas oublié l'huile solaire. Un coup de soleil suivi d'un mal de tête m'a forcé à rester en chambre, dit René.
Georgette lève les épaules et les yeux au ciel pour toute réponse.
Tout est prévu en VIP Sélection, même les transports
Le taxi arrive rue des Mimosas et les emporte vers l'aéroport de Zaventem.
Arrivés, ils doivent attendre le moment d'enregistrer les bagages.
Là commence les premières étapes surréalistes.
Les formalités prescrites et rigoureuses une fois remplies, ils se dégagent de leurs valises sur le tapis roulant.
C'est le déshabillage de tout ce qui ne serait pas détecté par l'appareil de surveillance. Ils sont, par nature, l'inverse de terroristes.
Dans l'avion, les places sont déjà fixées. Ce seront les 9A et 9B.
Un jeune homme d'une trentaine d'années est déjà installé à place 9C. A l'autre côté de la rangée, il est engagé dans une conversation avec un autre jeune homme d'une quarantaine d'années.
Avec un grand sourire, l'occupant du 9C se lève, laisse rendre place du côté de la fenêtre. René est déjà de mauvaise humeur. Cela lui prend parfois sans raison. Georgette le sent et engage la conversation avec le jeune homme de la place 9C.
- Je vous remercie, Monsieur, c'est très gentil. Je vais me mettre à la fenêtre et mon mari, René, va peut-être pouvoir converser avec vous. Il peint des tableaux, dit Germaine en donnant un coup léger de pied sur la jambe de René pour l'obliger à changer de tête.
- Ah, votre mari, peint. C'est un artiste, donc. J'aime les artistes. Ce sera un honneur de pouvoir en discuter avec lui, dit le jeune homme.
- Bien, évidemment, dit René avec un sourire narquois forcé.
René ne parle pas avec tout le monde. René n'est pas très social mais parler de ses tableaux, c'est autre chose. Il ne peut pas éviter de faire une pub pour ses œuvres. La conversation s'engage entre René et son aimable voisin. Georgette regarde par le hublot de la fenêtre.
- Mon nom est Bernard Legrand. Est-ce la première fois que vous allez à Gran Canaria ? demande le voisin de René.
- Non, c'est la première fois. C'est mon épouse qui m'y a engagé. Je n'aime pas trop les voyages. Pour peindre, j'ai besoin de me trouver seul devant une toile encore vierge de toutes couleurs. Les idées me viennent dès que j'y dépose le premier trait sans avoir personne en face de moi en dehors de mon épouse, bien sûr, Je peins surtout en associant des objets incompatibles ormalement entre eux.
- Comme c'est intéressant. A Maspalomas, j'y suis allé avec mon ami, plusieurs fois. On y fait des rencontres insolites. On y trouve aussi beaucoup d'artistes.
- Nous partons en vacances surtout pour mon épouse, Germaine, pour qui les vacances sont très importantes. Elles lui permettent d'accorder un tempo aux travaux d'intendance à la maison. Elle a besoin d'exotisme et de ne plus devoir faire la même chose à la maison toute l'année. Quand je veux faire quelque chose à la maison pour la remplacer et lui épargner du travail, elle refuse en disant que je n'ai pas l'habitude et que je ne le ferais pas bien à son idée.
- Les femmes n'ont pas toujours raison de le dire. Je fais tout moi-même chez moi. J'ai mon ami pour le reste. Déléguer n'est pas facile même pour motiver. Je connais cela au bureau où je travaille. Je contrôle une petite équipe et souvent je me dis que je ferais mieux et plus rapidement en faisant le travail par moi-même...
L'attente du décollage commence.
L'heure de décollage est dépassée. L'hôtesse annonce que deux passagers ne sont pas encore embarqués dans l'avion. Il est dit qu'on les attend.
Un quart d'heure après : Toujours personne. Le pilote décide de partir. Mais il y a un problème. Les valises de ces deux passagers sont déjà dans la soute à bagages de l'avion. Il faut les extraire avant de pouvoir partir. Quatre valises sont enregistrées à leur nom et il faut retrouver. Personne n'ose parler de terrorisme ou d'attentat. On est drillé et près à tout subir en Belgique. Les bagages litigieux sont enfin emportés et les autres réintroduits dans les soutes.
14h10 : décollage. Le retard, on soupçonne que cela va apporter quelques inconvénients à l'arrivée mais ni Georgette ni René n'en parlent.
Un peu plus de quatre heures de vol.
La conversation s'arrête net quand l'hôtesse de l'air présente les procédures de secours en cas de catastrophe.
Ce qu'a dit Bernard apporte de l'eau au moulin de Georgette qui continue à écouter la conversation entre René et lui qui ajoute un mauvais point virtuel dans la colonne des statistiques avec René pour entête et un bon point dans son esprit personnel.
La conversation ne reprend pas tout de suite par après.
Bernard prend un livre qu'il a emporté ou parle avec son ami de l'autre côté de la rangée. René se tourne vers Georgette pour lui dire quelques mots en privé.
- Tu ne trouves pas que mon voisin, Bernard, est un peu efféminé. Tu te rappelles des trous dans les dunes, je le vois très bien dans le milieu homosexuel, chuchote René à l'oreille de Georgette.
- Parle plus bas. Il est probablement amateur d'endroits secrets comme terrain de gay cruising, répond-elle.
Aparté inaudible, dépassée par la concurrence du bruit des moteurs de l'avion.
Maspalomas est connu comme un centre des réunions entre « amis du même sexe » et par une zone réservée aux nudistes. René a encore une conception très traditionaliste et l'homosexualité dans laquelle cela fait partie des mythes dont il n'en a pas compris l'ouverture et l'acceptation de la modernité.
- A Maspalomas, ce sont des dunes tellement hautes qu'on peut se croire dans le Sahara. J'ai eu l'occasion de les dépeindre au fusain au fond d'une crevasse. Je regardais le ciel bleu au-dessus de ma tête avec la lune toujours présente et cela m'avait inspiré, dit Bernard.
- Ma Germaine m'a interdit de prendre une toile vierge avec mes pinceaux et mes couleurs. Cela prendrait trop de place dans les valises. Mais j'ai un carnet de dessins qui me permet d'esquisser ce que je peindrai au retour, répond René.
- Les dunes, quels merveilleux endroits naturels pour chercher de l'inspiration à ses rêves. C'est un paysage tout à fait original. Une tranche de désert posée en marge d'une ville moderne. Pas moins de 400 hectares des types saharien sur 4 kilomètres avec certaines bien plus hautes de dix mètres. Une pointe s'enfonçant d'un kilomètre s'enfonçant dans les terres. Un écosystème unique avec une palmeraie et au bout du côté du phare, une petite lagune où viennent se poser des oiseaux migrateurs. L'océan longe les dunes et les marcheurs clapotent pieds nus tout le long de la promenade, répond Bernard un peu en décalage.
- Le phare est un bon repère. J'aurais aimé être un insulaire. Une île reste un île dommage que quand on en a fait le tour, il n'y a plus que l'avion ou le bateau pour changer son horizon. Nous avons une chanmbre dans le RIU Maspalomas à l'entrée des dunes, lance René pour ne pas détruire l'élan poétique de son interlocuteur.
- Je connais cet hôtel. Vous avez raison. Je vais souvent à Gran Canaria. Je n'ai pas beaucoup de bagages à transporter. Je n'aurai qu'une petite valise à récupérer à l'arrivée. Dans votre hôtel, tout est prévu pour le touriste pressé désirant se pavaner au soleil et aller dans les piscines. Un slip de bain suffit. Les Canaries sont appelées "Printemps éternels". Le soleil n'est jamais loin. Il ne pleut que rarement. Le tourisme y existe toute l'année. En hiver, les Scandinaves viennent faire leur cure de luminothérapie. Pour fêter Noël, beaucoup de Scandinaves reviennent pour retrouver la lumière du soleil. Les Canaries apportent un traitement au mal du manque de lumière. Les Père Noël avec de la neige qui pendent aux fenêtres ont alors un aspect un peu bizarre alors que la température dépasse les 25°C. Mais qui s'en plaindrait ?
Les hôtesses viennent une nouvelle fois couper leur conversation en demandant ce que les passagers désirent comme boisson avant de servir les repas dans la classe VIP. Un verre de champagne est servi comme apéritif.
Le repas est bien mesuré avec entrée, plat de résistance et dessert.
Georgette écoute ensuite mais n'intervient pas dans leur conversation qui parle du repas.
Elle est fière de son René, artiste mais elle n'en laisse rien paraître à son entourage. Elle sait que René est comme un enfant exigeant qui, tant qu'il n'avait pas ce qu'il veut, peut être très chiant. Mais il est trop mignon quand il fait la gueule. Dès qu'il dit ce qu'il pense, il désarçonne Georgette qui n'a qu'une solution pour ne pas perdre le lien que de parler d'autre chose sans transition. Elle reste secrète comme son ombre, prête à se dépenser au moment opportun pour remettre René sur les rails, à la rescousse dès qu'une conversation tourne à l'aigre-doux. La confiance, il n'y a que cela qui maintient leur entité "couple".
Le commandant de bord lance au micro que l'avion aborde sa descente. Il faut serrer sa ceinture de sécurité. René se lève une dernière vois en écrasant les genoux de Georgette. Il a envie de chanter la chanson de Brel. Une île.
Arrivé à destination, reculer d'une heure sur sa montre.
La première constatation du premier abord : l'endroit paraît d'abord désert.
Voilà que d'autres voyageurs arrivent en provenance d'Allemagne.
A l'extérieur, 28°C. Entre 100 et 120 km/h, il faut une vingtaine de minutes pour rejoindre l'hôtel qui apparait enfin avec sa façade d'une blancheur immaculée.
L'hôtel a été rénové pendant la crise. Ce qui lui a permis de monter sur l'échelle des 5*.
Tout semble être pour le mieux.
A la réception, la carte d'identité suffit.
L'aventure surréaliste maspalomasienne commence.
Ahora, vamos a la playa de Playa del Ingles
A Maspalomas
Les matins vont se suivre sur le même cannevas. : Après son levé à 07:30, René ne tient plus en place. Il faut qu'il sorte de la chambre avant le petit-déjeuner comme il le fait tous les jours à domicile à la rue des Mimosas. Il laisse Germaine se préparer à son aide. C'est un moment sacré pour lui pendant lequel tout reste calme à l'extérieur.
A l'hôtel, quelques touristes sont déjà à table. D'autres se préparent dans leur chambre. Le grand rush des estivants dans l'effervescence est pour plus tard dans la matinée.
Il fait encore très sombre même si le soleil va poindre sur l'océan. .
Georgette laisse René faire son "tour d'exploration". Celui-ci l'empêche d'entendre les retombées de critiques auxquelles elle ne devra pas répondre.
Très vite, René s'est retrouvé à l'entrée des dunes devant lesquelles il enlève ses chaussures comme s'il entrait dans une mosquée et surtout pour ne pas revenir avec un poids de plus dans chacune d'elles.
Il aime la solitude qu'il retrouve le matin dans ces dunes désertes comme dans un Sahara miniature. Il y a quelques lève-tôt qui attendent comme lui, le lever du soleil à leur sommet. Marcher dans le sable des dunes reste un sport difficile. Chaque pas en avant est susceptible d'en faire un autre à reculons. Il a l'impression de ne pas avancer pour atteindre l'océan qui n'est pourtant pas loin à vue d'œil. Elles sont encore fraîches à cette heure. Dans la journée, elles auront eu le temps d'emmagasiner une chaleur trop importante pour rester pieds nus. Le sable construit des stries avec le vent.
Toujours anticiper les hasards d'une rencontre est cher à René pour se retrouver sous ses pinceaux. Raté, ce ne sera pas encore pour cette fois.
Le soleil apparaît à l'Est enfin vers 07:40. Son rougeoiement progressif permet d'éclairer l'une après l'autre et la lune encore visible, donne encore l'impression de se trouver seul dans le cosmos à l'éveil du monde. Le soir, à l'Ouest, ce sera à peu près à 20:00.
Ce sont les deux moments de la journée que René préfère.
Petit sportif d'occasion, sans aucune envie de compétition, sans sprint de champion, arrivé sur le terrain plus plat de la plage, il se met à courir pieds nus dans l'eau de l'océan, au sortir des dunes dans de grands espaces libres sur l'horizon.
A 09:15, il en revient pour aller prendre un brunch bien complet qui se termine à 10:30. La sudation de la promenade mérite bien deux théières et deux verres d'oranges pressées.
La sortie de l'hôtel pour aller vers le centre de la ville, René le réserve pour la promenade d'après-midi avec Georgette. Pour elle, cela ne lui fait rien de se promener dans des ruelles délimitées par des murs qui apportent de l'ombre ceinturant des hôtels, des bungalows et des habitations louées ou achetées par des touristes. Il y a un quartier de petites maisons toutes identiques qui se différentient par la couleur.
Le Shopping Center "Cita", le premier à partir de l'hôtel date des années 1970, Il semble être endormi et avoir atteint l'âge de la retraite. La plupart des magasins y ont mis la clé sous le paillasson. Plusieurs shopping centers se concurrencent et se partagent les envies de touristes qui ont souvent déserté, malgré les efforts pour les faire revenir. Le Covid des années 2020-21 a changé les habitudes.
Le soir, l'animation va reprendre.
Les circulations de véhicules se limitent aux taxis et aux bus touristiques qui viennent chercher les touristes pour effectuer des excursions dans l'île ou pour regagner l'aéroport.
Les Magritte décident d'effectuer l'aller en promenade et, fatigués de monter et descendre et au retour, c'est le taxi qui est relativement bon marché.
Le soir, autour de l'hôtel, les rues sont désertes. C'est la grande télé numérique pendue au mur qui va combler les vides quand les shows du soir ne leur plait pas.
Deux chaînes mondiales françaises : France 24 et TV5 Monde.
Le tramblement de terre au Maroc et les inondations en Lybie vont alimenter quelques émissions télé.
Les événements du 11 septembre en boucle, vus et revus des dizaines de fois y passent. Cette année en plus l'autre 11 septembre au Chili.
La fiction est parfois tellement plus agréable à regarder mais pas ici.
Lors des promenades sur la plage entre le début et la fin des dunes, les pieds dans l'eau, Georgette et René se retrouvent et discutent des péripéties de la veille.
Ici, il y a des zones réservées aux nudistes. Le coureur de jupons qu'était le père de René, aurait pu être intéressé avec des idées lubriques, mais il n'a plus l'âge de ce genre de folie. Georgette s'arrête et regarde les débats amoureux d'un autre couple. René imagine des corps sans têtes.
Le titre d'un de ses prochains tableaux pourrait s'appeler "La profonde nudité".
Les images nous trompent toujours.
Il a déjà le titre du tableau : « Ce n'est pas une victime » comme il l'avait fait pour "ce n'est une pipe".
On y voit cette fois, une tête de dame sans corps qui parle à un interlocuteur sans esprit.
RAS comme on dit dans le jargon de service.
Illusion, trahison et déception.
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René s'installe sur une dune en face d'eux et observe. Puis, il jette un regard vers l'océan. Il faut y aller. Continuer à explorer.René clapote ses pieds nus dans les vaguelettes qui finissent leur cours paisiblement. Direction le phare qui se détache à l'horizon. Il ne l'atteint pas. Le temps est passé trop vite. S'il continue, il n'arrivera pas à temps pour le petit-déjeuner. Reprendre la même traversée des dunes au retour s'impose.
Après le petit-déjeuner, retour à la piscine. Autour d'elle, un mélange de langues fusionne et séparent les gens. L'anglais et l'allemand prédominent. L'espagnol, bien sûr. Le français, prend plus de temps pour découvrir la langue de Molière. Alors quand par hasard, René entend parler français, il entame la conversation. Ce sont des Alsaciens qui n'ont aucun problème pour alterner le français et l'allemand ;
De petites serveuses circulent entre les transats pour apporter apportent à boire, ce qui est bien nécessaire
- Where you come from, demande-t-elle en anglais à René.
- Belgica, Bruselas, répond-il.
Une petite conversation s'engage dans un anglo-espagnol approximatif (traduit pour l'occasion).
- Quelle langue avez-vous appris à l'école, lui demande René.
- Le russe d'abord. Puis après un passage en Allemagne, l'allemand. Et bien sûr l'espagnol que je préfère. L'anglais, ici, avec les touristes. Le français est trop compliqué surtout pour l'écrire et très peu utilisé.
Georgette et René sont installés sur des transats sous un parasol près de la piscine. Les rayons du soleil traversent les nuages et, avec un effet de loupe, frappent plus dur que dans un ciel sans nuages. Un Hollandais, bon teint bon œil, les interpelle en anglais. Selon lui, il n'y a pas assez d'espace entre son fauteuil et les leurs. Il demande de reculer. René est prêt à lui répondre vertement mais Georgette le retient et recule son fauteuil et, sachant la réaction que René peut avoir, pose un doigt sur sa bouche.
- Tu te rends compte que tu obéis aveuglément à ce con. Il n'avait qu'à demander à son copain à côté de lui, de le faire, souffle René à Georgette.
- As-tu déjà fait l'inventaire des couples autour de la piscine ? poursuit-il.
- Que veux-tu dire. Quelle est la raison de ta question ?
- Regarde autour de la piscine et de l'autre où j'ai remarqué cela aussi. Compte le nombre de couples de même sexe. J'ai fait un rapide calcul et il y a presque autant de couples d'hommes ensembles que de couples hétérosexuels comme nous. Cela même dans la piscine.
- Ce matin, en me promenant le long de l'eau. Un gars se promenait complètement à poil avec pour seul attribut un sac à dos. Je n'étais pourtant pas encore dans la zone de nudisme. Si vous êtes différente dans cette foule. Quelque chose vous distingue de toutes les autres. Merci pour ce petit instant magique, dit René avec emphase.
- Cela rappelle probablement un coup de foudre, non ?
- Et bien, non. Détrompe-toi. Il y a bien un truc auquel il n'a jamais compris, c'est le coup de foudre. Au moins une femme sur dix est vraiment jolie si elle veut plaire et si on cherche au-delà, au moins une femme sur dix ou sur vingt peut-être, est parfaite chacune dans son genre. Le coup de foudre, ça me sidère. C'est troublant aussi, non ?
- Si tu te rappelles nos débuts ensembles. Notre rencontre a été en deux phases. Mais, je ne sais pas où tu veux en venir. C'est de la fiction débordante de réalité.
- Nulle part. Je me demande si entre deux hommes si c'est la même chose. Si le processus de rencontre ressemble ou est-ce plus compliqué ? Aznavour chantait "Comme ils disent".
- Je te l'ai dit, tu es trop conformiste à une certaine normalité qui n'existe que dans ton imagination. L'homosexualité a toujours existé. Considéré souvent comme syndrome par les hétérosexuels, dans nos pays occidentaux, elle ressort un peu plus visible qu'avant. Ils peuvent même adopter des enfants. Nous n'avons pas eu d'enfants. Enfanter est un choix que certains ne comprennent pas. Ta postériorité ne se retrouvera pas dans tes gènes mais dans tes œuvres, dans tes tableaux dont on parlera encore pendant longtemps exposés dans les musées. C'est pour ta personnalité que je t'ai choisi et pas pour autre chose. Tu es mon complément, mon supplément dans beaucoup de choses. Cela crée une force particulière. Je l'ai compris lors de notre deuxième rencontre au Botanique. Depuis, plus de quarante ans se sont écoulées. Il n'y a aucune duplicité dans ton surréalisme et mon réalisme. Qui sait si je n'aurais pas été plus féministe avec une compagne de vie. Les sentiments et l'amour ne se contrôlent pas. Ils se partagent.
- Tu as raison. Nous avons concrétisé notre relation de gosses plusieurs années après, lors d'une rencontre fortuite au Botanique.
- C'est ça qu'on appelle le hasard et que d'autres appellent destinée. De manière plus scientifique, c'est aussi une suite à une émission de phéromones attractifs.
Comme d'habitude, l'intelligence adaptative de Georgette remet les fantômes de René et les aiguilles à l'heure du pragmatisme par la voie de la sagesse. Elle passe plus de temps sur les réseaux sociaux que René et ces points sont souvent discutés. La guerre des ondes se produit au cours d'une liberté d'expression qui poussent les autres à être comme eux avec des alibis qui ne peuvent être généraux. Le risque d'aujourd'hui est que les robots pourraient remplacer la diversité culturelle avec une régulation trop poussée pour construire des clones sans imagination. C'est là que l'homme aura tout perdu de ses personnalités multiples. La guerre en Ukraine nous rappelle les guerres mondiales.
Excursion à Puerto de Mogan que l'on atteint en taxi pour moins d'une trentaine d'euros en longeant la côte Est. Dès qu'on sort de cette ville au Sud de l'île, on retrouve l'aridité et la sécheresse du paysage.
Une plage et un port de plaisance nous y attendent. Autour de celui-ci, cerné par une ribambelle de commerces pour touristes, un quartier agréable traversé par de petits ponts, des ruelles fleuries, bordées de maison blanches bizarrement de style néocolonial construit par l'architecte Raphaël Neville dans les années 80 qui a été appelée de manière exagérée "Venise des Canaries".
Après son jogging du matin, René est entré dans le mini shopping centre devant l'hôtel. En sortant, il tombe nez à nez avec une photo dans un journal local. Elle représente la tête de son voisin dans l'avion qui les a menés par ici, il y a une semaine. Il ne se rappelle plus que de son prénom : Bernard. Le titre au-dessus de la photo "Una gira belga ha desaparecido". Ses connaissances en espagnol sont très rudimentaires, mais il n'a aucune difficulté à comprendre. Il achète le journal et s'empresse de retrouver Georgette avec une excitation à peine dissimulée.
- La police espagnole va certainement le retrouver. Tu ne vas tout de même pas partir à sa recherche. Une enquête, tu peux le faire chez nous, mais pas avec tes faibles connaissances du terrain et dans la langue. Il est probable qu'il se soit égaré et que son ami qui était dans la rangée parallèle de l'avion a signalé sa disparition", répond Georgette plus calmement.
- Tu as certainement raison.
René est resté éveillé une partie de la nuit à rêvasser à moitié éveillé. Sans le dire à Georgette, René a l'intention de faire sa petite enquête dans les dunes. S'il y a un endroit où on peut disparaitre, c'est dans les dunes. Il fait gris dehors. Des nuages noirs inhabituels remplissent le ciel et le lever de soleil est laborieux.
Dans les dunes, une affichette indique un chemin qui demande 45 minutes de trajet pour atteindre la ravine. Il l'emprunte. Il ne rencontre personne. Il arrive aux abords du golf qui sont délimités par des clôtures de cactus. A cette heure, ce sont les oiseaux qui, seules, lui apportent une compagnie. Un bel oiseau sautille et attire son regard. Il le suit en sortant quelque peu du chemin tracé délimité par des poteaux mais aucun corps d'homme.
Obligé de revenir, il reprend le chemin du retour. Le soleil fait des efforts pour ressortir de lourds nuages. A une centaine de mètres de l'hôtel, deux gardes l'interpellent. Il n'aurait pas pu passer par là. Il s'en défend en anglais, prétend qu'il est ornithologue, qu'il est intéressé par les oiseaux. Rien n'y fait. Chacun reprend son chemin avec des idées contradictoires.
Quand il retrouve Georgette dans la chambre, il n'en dit rien. C'est elle qui l'attaque sur un plan inattendu : "Tu as ronflé toute la nuit. Je n'ai pas pu dormir".
- Je vais dormir dans lle deuxième lit. Nous avons une suite autant en profiter, dit René rageur.
La journée commence mal. René n'aime pas qu'on lui reproche de ronfler. Sera-ce une journée avec beaucoup d'images, mais plus de son en écho ?
René se plonge dans son cahier de dessins et fait semblant de bouder. Peindre des choses existentielles, ce n'est vraiment pas son truc. Pour lui, la surréalité est tellement plus porteuse d'imagination avec l'immensité de l'océan comme arrière- plan.
Plus aucune dispute, plus aucun nuage après ce léger différend avec Georgette. Faire semblant de bouder, René n'a jamais pu le faire très longtemps.
La journée s'illumine d'un soleil qui pointe à l'horizon. Le vent de tempête s'est levé et le sable s'est infilté partout. La journée va être radieuse. On le sent. On le veut.
René fait semblant de rien quand lors de leur promenade matinale, il jette un coup d'œil aux informations du même journal local. A la deuxième page, le titre "El amigo de los desaparecidos, llegó a Bruselas, fue detenido". Il se renseigne au sujet de la traduction chez la tenancière de la librairie qu'il sait connaître un peu de français. Elle traduit l'article en grandes lignes. L'ami Robert a été mis en garde à vue.
Plus rien dans la presse locale. L'affaire est devenue internationale. C'est la presse belge qui doit avoir pris le relais. Un passage par la presse belge sur Internet. Robert, l'ami de Bernard, sur le siège 7D à l'allée, est inculpé. En pleur, il a déclaré que suite à une dispute avec son ami Bernard, il l'a poussé, est tombé et Bernard ne s'est plus relevé. Robert a paniqué. Il a indiqué où il a transporté Bernard. L'information, transmise en Espagne, la police l'a retrouvé. Une autre affaire commence pour lui en justice. Bernard n'ira plus à Gran Canaria avant longtemps.
- L'inculpation a été rapide. Je me demande pourquoi je n'ai pas été inquiété et convoqué. J'étais aussi à côté de ce Bernard, demande René à Georgette.
- C'est très simple à comprendre. Tu étais assis sur le siège 9B. Moi, sur le 9A à la fenêtre. Nous étions inscrits ensemble pour le voyage. Comme probablement Robert et Bernard l'ont fait aussi. Cela n'a été d'aucune difficulté pour la police de trouver un responsable potentiel. La suspicion est affaire de réflexion, René. Comme dans tous les couples et les affaires de sexe, il y a toujours des jalousies qui planent. Nous sommes quelque part, un couple de dinosaures. Les couples hétéros se séparent en moyenne tous les sept ans. Si tu te rappelles des "Liaisons dangereuses" tirées du livre de Laclos. Il écrit que ce sont les femmes qui choisissent leur partenaire par la séduction comme artifice et la rondeur de leurs formes comme attribut. L'égalité des sexes est une façade. Une femme doit toujours être plus intelligente que l'homme pour s'imposer. Elle doit utiliser la ruse avec une prise de distance permanente. Pas étonnant, qu'aujourd'hui, elle l'a dépassé et que c'est elle qui, en féministe convertie, prend les rênes avec lucidité, ne dépend plus de l'homme financièrement, inverse les rôles, outrepasse des prérogatives anciennes et devient, elle-même, chasseresse dans une justice sociale. Ce n'est pas le cas entre les homosexuels hommes. La guerre des sexes n'a ainsi pas lieu.
- Comme deux ptérodactyles qui s'aiment d'amour tendre, répond René en riant.
- Nos disputes se terminent par une conciliation. Quand tu t'emballes, je te calme. Mais on ne badine pas avec autant de sarcasmes dans des liaisons dangereuses homosexuelles.
On ne parle plus de l'affaire de Bernard et de Robert. Il faut faire les valises en espérant que tout parvienne à y retrouver une place. Dernière soirée. Dernière promenade autour de l'hôtel qui est même plus étincelant de nuit sous les lumières.
Le taxi arrive à 14:45, un quart d'heure plus tôt que prévu.
Arrivé à l'aéroport, enregistrement des bagages et vérifications de sécurité.
Embarquement dans l'avion dans les temps.
Avant de survoler les Terres, le pilote fait œuvre utile en annonçant au micro les lieux survolés. "A votre gauche, vous avez..., à droite..." La montagne du Teide à Ténérife est visible. Les incendies ont été meurtières cet été.
Dernière vue de l'hôtel à partir du hublot de l'avion.
- Tu ne trouves pas que notre dîner au retour dans l'avion, a été meilleur qu'à l'aller, dit Georgette. Nous avons même reçu chacun deux pralines de Neuhaus, constate-t-elle en attendant les valises entrainées sur le rouleau avec la mention "Gran Canaria" en son sommet.
- C'est pour te remettre de tes émotions et pour te remettre dans l'ambiance de Bruxelles. J'ai reçu un SMS du taximan qui vient nous chercher. Il nous attend à la sortie, répond René. Il l'était en principe mais visible sans son taxi garé à l'étage inférieur. Bien baraqué physiquement, peu dissert, il correspondait parfaitement à l'endroit où est garé son taxi.
Arrivés à la maison à la rue des Mimosas...
- Quelles sont tes appréciations de nos vacances, Georgette. Tu te souviens de cette émission sur TV5 qui, présentait un couple de Français qui avaient tout quitté, tout vendu pour aller vivre à Fuerteventura, une des autres îles des Canaries. Pourrais-tu avoir la même idée un jour ?", demande René à Georgette.
- Je me souviens. Tu sais, j'ai parfois la nostalgie de notre commune Schaerbeek, de nos petits vieux qui y ont habité ou qui y habitent encore. De notre culture et de nos artistes aussi. De notre steak frit. De notre patrimoine. De la variété de nos arbres. D'où l'on vient, il n'y a que des palmiers alors que là-haut dans le Nord, nous avons des chênes, des peupliers, des marronniers qui doivent déjà avoir actuellement quelques couleurs d'automne. On ne trouvait personne au restaurant qui puisse parler français. Je suis contente de partir en vacances, mais aussi contente de revenir. La chanson "Né quelque part" me rappelle que l'on partage certaines racines dans notre esprit. J'avoue, j'ai un arrière-goût de déjà-vu. J'aime découvrir, de toujours trouver autre chose. Dans ce 21ème siècle, tout va trop vite. On n'a plus le temps de vivre. On dit merci à Allusion pour avoir parlé de nous ?
- J'ai les mêmes conclusions. Oui, on lui dit que tout cela nous a changé les idées agréablement, répond René en l'embrassant sur la joue.
- "Back to the past", donc ?
- C'est une bonne idée... Nom d'une pipe
Quant à vous, lecteurs, notre aventure ne se retrouvera jamais d'une manière ou d'une autre ni sur une toile, ni à la télé et ni au cinéma.
FIN