samedi 21 juillet 2018 - par C’est Nabum

La lambrusque

Ce n’est pas en vain qu’on les imite

Il était une fois une étrange liane qui grimpait aux arbres et donnait de petits grappillons. Les humains d’alors, prudents et circonspects attendaient toujours de savoir ce qu’en faisaient les animaux avant que de se lancer dans l’expérimentation. Il est vrai que l’erreur, le plus souvent ne pardonnait guère et qu’avant de tout connaître des prodiges de la nature, il avait fallu accepter quelques pertes parmi les cobayes. C’est ainsi que s’établit progressivement la civilisation jusqu’à ce qu'aujourd'hui, nombre d’entre-nous se complaisent à ne manger que des produits empoisonnés par des substances artificielles. L’humanité est véritablement fort étrange. Mais revenons, si vous le voulez bien à nos grappillons.

Les premiers à montrer la voie furent les pinsons. Ces charmants oiseaux picoraient avec délice les petits fruits gorgés de soleil. Puis, emportés sans doute par une douce et belle euphorie, ils se mettaient à chanter gaiement. Les premiers observateurs de ce curieux phénomène en conclurent qu’il y avait là sans nul doute délice euphorisant qui était de nature à réjouir leur palais. L’habitude fut donc prise de se régaler de ces petits grains délicieux.

Le temps passa avant que les gourmands sachent tirer profit de ce fruit. Il fallut qu’un cueilleur plus gourmand que les autres se mettent en tête de faire des réserves pour s’en régaler à son retour d’expédition à travers le pays. Le temps était venu des grandes migrations et l’homme se muait en chasseur pour pister quelques animaux. Il rangea sa récolte dans une jarre en terre cuite, ayant pris grand soin de la fermer précautionneusement.

A son retour, deux ou trois lunes plus tard, il y avait dans sa grotte une odeur puissante et quelque peu désagréable. Il y avait encore un cochon, animal domestiqué depuis peu, qui avait semble-t-il trouvé le moyen d’accéder à ce trésor et l’avait trouvé fort à son goût puisque l’animal dormait profondément dans sa soule. Manifestement, le verrat avait eu quelques difficultés digestives tant son haleine était chargée.

L’homme, intrigué observa alors le contenu de la jarre. Un liquide en fermentation avait remplacé les petits grains. L’odeur, certes forte, avait un je ne sais quoi d’entêtant et d’attirant. Voyant son cochon se relever et tituber, se lancer dans mille et une facéties, il pensa que ce curieux breuvage devait apporter bien des satisfactions. Il osa le boire à son tour. Naturellement le pauvre homme eut un énorme flux d'intestin mais le plaisir qu’il en avait tiré, valait bien ce désagrément si fréquent à l’époque.

L’année suivante, il chercha à améliorer sa découverte, multipliant les contenants et les expérimentations. C’est dans la plus grosse jarre qu’il avait à sa disposition que se passa la chose qui transforma radicalement le cours de l’histoire de l’humanité. Il y avait empilé les petits fruits gorgés de jus, s'apprêtait à la boucher, quand un énorme coq, prenant sans doute l’endroit pour un poulailler, vint pérorer et fouler de ses ergots, les grains qui se transformèrent en jus. Le fier animal picora tout autant qu’il bu et s’envolant, alla faire le faraud auprès de toutes ses poules.

L’homme en conclut que l’animal lui avait montré la voie. Il écrasa le contenu de toutes ses jarres et laissa le temps faire son œuvre. C’est ainsi qu’il goûta régulièrement le résultat de ses différents flacons et qu’à chaque fois, la tête lui tournait et qu’il faisait tout autant le bravache auprès des dames que le volatile ingénieux. Un grand pas était fait dans la maîtrise de ce plaisir qu’il importait de ne pas fouler au pied.

L’année suivant, il demanda à un potier interloqué, un contenant plus grand encore, profond certes, mais avec assez de largeur à son sommet pour pouvoir y monter. La commande avait de quoi intriguer l'artisan mais depuis deux années, le comportement du garçon semblait totalement incohérent à ses compagnons. Le potier se contenta de faire sans se poser de question.

Une grande récolte fut entreprise. L’homme se mit en demeure d’écraser tous les grains, en tira un jus qu’il débarrassa des rafles pour ne laisser dans la barrique qu’un sirop épais. La transformation se fit et à chaque dégustation l’homme se réjouissait à la fois du goût et au fil du temps des effets de son breuvage sur son humeur. Pour ses voisins, son attitude surprenait grandement, il avait parfois des comportements étranges. On dit rapidement de lui qu’il se comportait comme un âne. En dépit de son ivresse permanente, l’homme écouta cette remarque et pensa qu’il pourrait monter sur le dos de cet animal pour effectuer la fois prochaine une récolte plus importante. La liane avait la fâcheuse manie de grimper toujours plus haut dans les arbres et beaucoup de grains n’étaient pas à portée de main.

C’est ainsi qu’il fit l’année d’après et tandis qu’il cueillait, l’âne mangeait les jeunes pousses de la liane. L’homme n’y prêta tout d’abord pas attention. Il était tout à sa récolte qu’il traita de la même manière que la fois précédente. Il en eut les mêmes satisfactions. Il s’aperçut aussi qu’il avait de plus en plus de mal à se passer de son breuvage tandis que d’étranges modifications apparaissaient sur le bout de son nez. Il s’en moquait éperdument, il était devenu le plus joyeux des hommes et se tapait la cloche avait délectation.

C’est seulement l’année suivante qu’il comprit que son âne qui pourtant ne s’appelait pas Martin avait sans doute eu un effet bénéfique sur la grosseur des raisins. Là où le gourmand avait taillé dans le vif, la liane donnait des fruits plus gros et plus sucrés encore et avantage non négligeable, ne montait pas si haut dans l’arbre. Notre homme qui avait souvent la tête qui lui tournait dorénavant se dit que rester les pieds sur terre était sans doute préférable lors de sa récolte.

C’est ainsi que d’année en année, l’ingénieux et cocasse personnage mit au point les bases de la future viticulture. Il ne put tirer gloire de son action. Le foie le faisait horriblement souffrir et finit par l’emporter sur l’autre rive. Sentant sa fin proche, il confia son secret et ses ustensiles à quelques camarades, désireux de comprendre les raisons de son humeur si joyeuse. Il était toujours gai comme un pinson, faisait parfois le coq et en fin de soirée se comportait comme un cochon mais à sa trogne rubiconde, ils devinaient qu’il avait mis au point le plus merveilleux des nectars.

C’est ainsi que par l’observation de nos amis les bêtes, les humains apprivoisèrent la vigne et mirent au point cette boisson à nulle autre pareille : le vin. C’est bien la preuve que c’est le plus naturel des breuvages. Si vous ne faites pas l’âne, vous ne perdrez pas la tête, il suffit d’en boire avec modération. Vous serez ainsi le plus heureux des hommes.

Œnologiquement sien.



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