samedi 17 août 2019 - par C’est Nabum

La nocturne du duit

Itinérance poétique

C’est un lampion à la main qu’une curieuse troupe remonte une passerelle hésitante, transformant leur progression incertaine en une danse chaloupée. Au crépuscule, les aventuriers de la démarche artistique s’en vont affronter la nuit, une végétation luxuriante, des embuscades inattendues et poétiques. Ils suivent un chemin lumineux, tracé à même le sol par des lampions allumés sans doute par de joyeux farfadets.

L’obscurité dissimule les installations déposées sur cette île artificielle qu’on nomme ici un duit, offrandes d’artistes créateurs, provoquant surprise et réflexion, interrogation et surprise. Qu’importe, il conviendra de revenir en plein jour pour jouir du spectacle. Ce soir, l’essentiel est ailleurs …Nous devons accepter de nous laisser guider, porter au delà de nos oripeaux d’humains formatés, conditionnés, privés de leur imaginaire.

La métamorphose n’est cependant pas aisée. Les maudits portables continuent leur ronde destructrice de la capacité d’admiration. Les irréductibles posent devant une statue ou pire encore, se mettent au centre de la proposition. Il leur faut encore filmer ou photographier tout ce qui passe à leur portée, comme si, admirer n’avait désormais plus d’intérêt. La nuit venue, ils renonceront enfin à leur prothèse pour devenir à leur tour, de véritables acteurs de l’aventure et non point des « Tintin reporter » d’un univers qui n’existe qu’à travers leur écran.

Il y a pourtant tant d’émotions à vivre, simplement avec son cœur et ses yeux, qu’il n’y a pas besoin de truchement numérique. C’est toujours par surprise que surgit une invitation à la pause. Le groupe à la queue leu leu, se fige soudain, le silence (condition essentielle à ce voyage initiatique) s’impose et chacun de considérer comme il l’entend ce qui se présente à son interprétation.

Décrire par le menu les invitations n’a pas vraiment de sens. Chaque nocturne déroule son propre projet, un programme original qui fait de ce trajet, une aventure unique, bien dans l’esprit du créateur de cette merveilleuse folie. Qu’importe les obstacles dressés par l’intendant des généralités, les réserves ou le désintérêt de l’échevin, l’incompréhension de la culture officielle locale, Nano reste fidèle à ses envies, ses désirs et ses convictions.

Il a encore l’immense chance d’être suivi par une bande de bénévoles qui pour une fois est constituée d’un large échantillon d’âges, de conditions, d’origines. C’est encore ce qui fait la richesse de ce moment unique dans la vie d’une cité plus soucieuse de conformisme que de cette incomparable touche d’excentricité créative.

Mais revenons à ce parcours d’un soir, au milieu d’une Loire qui propose des reflets inquiétants certes mais plus encore d’une incroyable beauté, curieusement du reste, sur cette rive oubliée des bourgeois de l’endroit. Un danseur aux membres démesurés , posté sur un tronc d’arbre nous propose la métaphore de la genèse de l’humain. Affranchi de son arbre, il lui faudra encore s’émanciper de ses chaînes avant que d’accéder au langage.

Plus loin, c’est un charmeur de serpent qui enchantera le long périple de notre serpentin lumineux. Sous les piles d’un pont, la musique fait écho, la nuit donne alors à ce moment une dimension fantasmagorique qui ne peut qu’émouvoir ces gens, enfin contraints à l’émerveillement. La magie opère désormais et chaque invite sera acceptée avec cette qualité qui nous fait si souvent défaut sur la terre ferme : « La Curiosité ! ».

Des chorégraphies toujours plus symboliques parsèmeront notre long cheminement plus intérieur qu’itinérant. L’émotion à chaque fois est palpable, les spectateurs hésitant parfois à applaudir tant il apparaît évident que le moment vécu exige respect et admiration sincère. Des artistes se mettent en danger dans la nuit, profitant des arbres pour illustrer le grand théâtre de l’existence.

Parmi ceux-là, une graine va germer. Fragile, elle s’élèvera vers le faîte de son arbre en une danse majestueuse tandis qu’un récitant invisible, en appelle à notre déraison : « Lorsque la peur de déplaire cesse, de la créativité, un individu émerge ! » C’est certainement la leçon d’un parcours unique et magnifique. Vous pouvez vous aussi en jouir, cette année ou bien les années suivantes pourvu que les méchants ne viennent pas entraver ce voyage libérateur.

Le retour sur la rive sud est accompagné de deux danseurs évoluant sur l’eau. Ici, on s’émancipe de toute logique. L’essentiel est au-delà du visible, nous avons été un temps, naufragés du réel, pour notre plus grand plaisir. Merci à tous ceux qui ont contribué à ce moment en suspension, à ce rêve éveillé qui modifie notre perception des choses.

Reconnaissancement leur.

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