Laver la vaisselle
Mieux que le linge sale.
S'il est possible d'affirmer que la machine à laver le linge a transformé en profondeur la société, apportant une forme de libération à celles qui n'étaient jusqu'alors que des femmes au foyer : taillables et corvéables à merci dans les travaux invisibles du quotidien, il n'est pas certain que celle qui lave automatiquement la vaisselle ait apporté un progrès décisif.
La maîtresse de maison, forme élaborée de la première appellation en demeure souvent la gardienne, celle qui en dernier ressort, vérifie ordonnancement dans les entrailles de l'appareil électroménager qui trône désormais à la place d'honneur de la cuisine. C'est du reste dans son remplissage que cette chose provoque les premières scissions quand il y a des invités qui mettent la main à la pâte.
Si débarrasser la table de réception ne pose guère de problème à l'exception notable de tous ceux et toutes celles qui ne peuvent s'empêcher de laisser quelque chose dans leur verre, mettant ainsi en difficulté la logistique complexe de l’empilement, le remplissage du ventre de la machine divise tout autant qu'il établit des distinctions dans les pratiques.
Il y a d'abord les adeptes du rinçage préalable dans l'évier de la cuisine. Ceux-là estiment qu'agir de la sorte, c'est prolonger la vie d'un appareil qui soudainement perd une partie de ses prérogatives. Les autres les moquent, affirmant ironiques, qu'ils mettent de la vaisselle propre dans ce qui ne sera plus qu'un chauffe plat sophistiqué. Cette querelle ne peut se résoudre aisément, elle laissera bien plus de traces dans les esprits que sur la porcelaine.
Puis il y a les maniaques des couverts. Dans un louable souci de ségrégation fonctionnelle, ils séparent les ustensiles, font un panier de fourchettes, un autre de couteaux, une belle brochette de petites cuillères. Les autres, souvent adeptes du Mikado dans leur jeunesse, confient le rangement au hasard en prenant le risque de la plus totale anarchie.
Car il y a aussi l'épineux problème du sens qu'il faut donner à tout ça. Si le débat sur la tête à l'endroit ou bien à l'envers pour fourchettes et cuillères n'échauffe guère les esprits, il n'en va pas de même pour les couteaux. Pointe en l'air ou bien en bas, une véritable guerre de clocher dont les avis sont naturellement tranchés à ce propos.
Pour les assiettes, il apparaît que le consensus s'établit plus aisément même si quelques hurluberlus se moquent de les ranger par taille. Ces derniers démontrent manifestement à tous qu'ils ne mettent que trop rarement la main à l'ouvrage domestique. Les verres sont par contre sujet de controverse, ce qui à leur propos peut sembler paradoxal. Les œnologues avertis poussent des cris d’orfraies quand ils voient leurs beaux contenants disparaître dans l'antre du monstre. Le verre à pied se lave à la main et ils font naturellement des pieds et des mains pour obtenir gain de cause.
De leur côté, les hôtes découvrent avec stupeur que la grande diversité des verres d’apparat ainsi que leur nombre effrayant, vont exiger une tournée rien que pour eux. Ce sont véritablement les rois de la cérémonie, ne manque plus qu'un calice pour que le lavage de la vaisselle devienne un chemin de croix. Là encore, le sens fait débat, uniquement pour les néophytes qui ignorent qu'un verre sur son pied se remplira d'eau stagnante.
Pour le reste, un repas de fête impose une vaisselle manuelle pour ce qui relève de la plonge. Les accessoires du maître queux, dans les bonnes maisons, ont été lavés avant l'arrivée des invités. Il y a souvent une petite main pour jouer la fée domestique à moins que le chef ait fait le nécessaire, ce qui est plus rarement le cas.
La machine ainsi chargée attendra les heures creuses pour tourner durant trois longues heures. Il paraît que c'est le temps qu'il faut pour un résultat optimum sans qu'il y ait consommation dispendieuse d'eau et d'énergie. J'avoue rester dubitatif à ce propos. La seule certitude c'est que ce choix suppose généralement la disparition des invités au moment de l'ouverture d'un monstre encore fumant. C'est ainsi que le rangement ne provoquera qu'un seul débat au sein de la puissance invitante : « Qui s'y colle ? » C'est souvent la même personne d'ailleurs d'autant que son partenaire affirme ne pas savoir où ranger tout ça.
Au bout du compte, la machine à laver la vaisselle aurait, dit-on, apporté confort et bienfaits dans la cuisine. J'ai quant à moi la nostalgie de la vaisselle faite à la main, du ballet des chiffons autour du ou de la plongeuse en chef tandis que parfois, un préposé au rinçage distribue les rôles. Il y a même parfois les navettes des rangeurs de vaisselle qui apportent une belle touche chorégraphique à ce ballet domestique. J'espère que ce billet ne vous aura pas laissé sur votre faim. Il convient parfois de mettre les pieds dans le plat du quotidien et d'en tirer matière à dissertation aussi futile que dérisoire. Quoique... !
Plongement vôtre.