Les fraises à la chantilly
Cette fois c’est le printemps !
Il est des signes qui ne trompent pas, de petits indices discrets qui nous font soudainement basculer du côté du temps qui s’étire, qui alanguit et jouit des variations climatiques. Les lilas ne sont pas encore en fleurs mais le pollen des pins inonde les terrasses de sa poudre jaune. Les températures se font plus clémentes, les salons de jardin vous tendent leurs bras pour les premiers apéritifs extérieurs. Avec un peu de chance, le repas se prendra dehors, les lunettes de soleil seront de sortie, la vie est belle, c’est le printemps !
Pour en être certain, il faut se rendre au marché, faire provision de ces petits riens qui embellissent l’existence, qui redonnent le sourire après un long hiver, les journées grises et moroses. Les saveurs s’offrent à vous, les parfums envahissent l’atmosphère, le sourire irradie les jolies femmes qui ne vont pas tarder à sortir les robes légères.
Les fraises à la chantilly font leur retour fracassant. Sans crier gare, sans avertir de leur venue, elles s’insinuent à votre table, s’imposent à vous et vous réjouissent, pour peu que vous soyez gourmands au-delà de la raison. Le sourire aux lèvres et parfois une petite marque blanche sur le bout du nez, vous regardez la vie sous un nouveau jour, vous chassez les nuages gris et acceptez de prendre quelques kilogrammes superflus.
Le printemps claironne sa joie de vivre et d’aimer, il vous ouvre l’appétit et la bonne humeur, vous titille un peu et se joue de vos hormones. Il fleure bon le renouveau et la joie de lézarder au soleil. Plus de contraintes ; l’heure d’été a sonné le départ des soirées qui n’en finissent pas, des pauses entre amis, des tablées qui ne désemplissent pas.
Vous revivez, vous vous réveillez, vous vous réjouissez. Les asperges vont suivre, apportant leurs phantasmes et leurs délices. Vous allez jouir sans entrave des plaisirs de la table. Les verres vont se remplir de vins gouleyants, les coupes vont se choquer, le bonheur est sur la nappe. Le panier de la ménagère va entraîner quelques ponctions pécuniaires, le légume nouveau a un prix : celui du sourire et de la légèreté. Qu’importe, vous savez que rien ne vaut cette plongée dans l'hédonisme, les fraises sont de retour.
Vous savez pourtant que l’essentiel n’est pas encore présent. Les Gariguettes et autres Mara des Bois ou bien encore Annabelles ne sont que les éclaireuses du printemps. Celui-ci sera en pleine majesté avec l’arrivée des cerises, le temps des révolutions et des chants d’amour. Il faut se garder de trop d'enthousiasme : le temps n’est pas encore aux nuits à la belle étoile, aux escapades friponnes ou aux rêves d’ailleurs.
Prenez ce renouveau comme il vient, profitez de ce bonheur simple. Ce n’est qu’en mangeant des fruits de saison qu’on apprécie pleinement la métamorphose de la nature. Les clients de la distribution mondialisée ne peuvent jouir de ce bonheur simple de calquer leur horloge interne sur le rythme des saisons. Ceux-là ont, depuis longtemps, perdu tout lien avec la nature : ils la plient à leurs désirs sans jamais comprendre sa sensibilité.
Mais laissons là ces sottes gens, ces prétentieux qui veulent que tout se plie à leur volonté. Nous sommes des êtres de chair et de douceur : les fraises nous font savoir que nous allons entrer dans le temps de la gourmandise et de la lascivité. Il y a tout lieu de s’en réjouir, de respirer à pleins poumons les pollens qui vont nous faire éternuer. Il y a toujours un prix à payer pour les plaisirs simples de la nature : pour peu que vous soyez responsables d’un petit bout de pelouse, vous savez également que la ronde des tondeuses se profile à l’horizon.
Mais qu’importe, le temps est venu de croire à la beauté de la nature, d’espérer le soleil et la douceur des jours. Prenez la vie comme elle vient, soyez heureux, gourmands et amoureux ; les fraises à la chantilly sont de retour. Le printemps est la plus belle des saisons ; n’hésitez pas un seul instant et si vous souhaitez faire de ce printemps-ci le plus beau de tous, passez la nuit debout et boutez ce gouvernement hivernal et morose.
Printanièrement vôtre.