vendredi 3 août 2018 - par C’est Nabum

Mon nouvel ami a de grandes oreilles

Samy

Depuis le temps que je prétends n’être qu’un âne bâté, la destinée m’a mis sur le chemin d’un véritable collègue, un âne bien dans ses sabots, belle bête en somme qui avance fièrement dans la vie. Il s’appelle Samy et durant trois jours, il fut mon compagnon de voyage, ne me quittant pas d’une semelle, marchant à mes côtés tout en me tenant conversation.

Il m’a beaucoup appris sur l'existence, se contentant de si peu pour être heureux : un peu d’herbe fraîche, quelques carottes et de nombreuses caresses. Il a bien quelques soucis dans la vie à commencer par les mouches qui l'agacent alors qu’il ne peut les chasser d’un geste de la main. Il trouva un remède qui au début me surprit quelque peu : venant tout contre celui qui tenait sa longe, il donnait des coups de tête salvateurs.

Samy a quelques frayeurs dans la vie. L’eau n’est pas son domaine de prédilection. Il refuse obstinément de mettre le sabot dans la plus petite flaque. Craint-il l’hydrocution ? Il freine des quatre fers à l’approche d’une rivière, ce qui, pour un Bonimenteur de Loire, ne constitue pas un terrain d’entente. Nous dûmes ainsi établir un consensus, l’un et l’autre faisant des concessions sans jamais renier nos valeurs.

L’âne est à ce titre le moins borné des deux. Il se plie bon gré mal gré aux ordres de l’humain pourvu qu’il dispose d’une récompense. Le bâton ne sert à rien, ce n’est pas bonne politique que celle-là. Seule la gâterie lui donne des ailes en dépit d’un bât qui lui martyrise le dos. C’est qu’en devenant mon porteur, Samy a dû supporter le poids de mon bagage.

Pour lui montrer ma bonne foi, j’ai moi aussi assumé un fardeau, un sac à dos contenant quelques effets et mon inséparable ordinateur. Samy se sentait ainsi soutenu moralement dans sa tâche et très souvent venait se frotter contre ce petit bât au regard du sien. Il savait implicitement que les cartes étaient faussées entre nous, que je restais le maître et lui le serviteur zélé. La longe marquant indubitablement cette hiérarchie qu’il n’a presque jamais remise en cause.

Mon camarade a voulu fraterniser. Profitant d’une liberté accordée bien imprudemment durant un repas, il s’est autorisé des privautés que je déplore encore. Le gourmand est venu, non pas me manger dans la main, ce qui eut flatté ma supposée domination, mais bien dans mon assiette, volant ce que je me refusais de lui céder. En brisant ainsi la distance et les conventions, l’âne me signifiait clairement que nous étions embarqués dans la même galère.

C’est fort de ce mouvement d’humeur que le lendemain, il rechigna à être bâté. On devine aisément que le poids du bagage lui pesait sur le dos tandis que la canicule ajoutait à la charge. Il rua, se mit à braire pour exprimer ce qui désormais n’était plus pour lui plaire. Ni la pomme ni les amandes n’y firent, Samy ce matin là était bien décidé à se faire tirer les oreilles. Mais rassurez-vous, au grand jeu du plus têtu, celui qui va sur ses deux pattes arrières ne cède en rien à son ami quadrupède.

Fidèle à ma réputation je finis par emporter la partie. Samy se plia à ma volonté. Nous pûmes reprendre le chemin, main dans la main ou presque. Ce n’était qu’une mauvaise passe, une saute d’humeur que le bel animal, pas rancunier pour deux sous, oublia bien vite. Il avait fière allure, les oreilles au vent, avec ses magnifiques sacoches de cuir sur les flancs. Nous pouvions tous deux battre la campagne, nous avions fait la paix.

Je lui racontai deux ou trois contes mettant en scène ses congénères. Il me souffla quant à lui des récits asiniens qui ne sont pas à la gloire des humains. Je préfère les garder pour moi, il venait de me faire toucher du doigt l’ingratitude de ceux de mon espèce. Je m’en excusai humblement auprès de mon nouvel ami. Samy, bon prince, leva la queue en guise de pardon et déposa sur le sol, une belle offrande pour me signifier qu’il n’en croyait rien.

Bâtement sien

 



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