samedi 22 juillet 2017 - par C’est Nabum

Mon village d’en-France

Suivez le guide !

C'est un village lové au creux de cette rivière impétueuse que j'ai toujours chérie. Un Château-fort qui s'est paré de la délicatesse d'une renaissance discrète, célèbre la Loire en s'en protégeant par des douves paisibles quand jadis il avait les pieds à même son lit. Un pont qui ne fut pas le mien, remplace son prédécesseur, suspendu alors au-dessus de l'eau jusqu'à ce qu'un jour de trop grand gel ne le fasse plonger dans les flots glacés ! Je craignais cet ouvrage d’art, le redoutais plus encore tout en admirant ses lignes.

La belle demeure de Maximilien, le Duc de ces lieux, héberge chaque année un festival de musique prisé du mélomane. Le lundi, c’est tout le canton qui se presse sur les foirails pour un marché foisonnant, grand Capharnaüm de tissus, de bibelots et de nourritures variées. Rien n'empêcherait les gens du Sullias de se rendre à ce rendez-vous inscrit dans les gènes locaux. Même les bombardements de la seconde guerre mondiale qui ont tant blessé la ville, ne furent pas suffisants pour arrêter les gens des campagnes voisines.

Le village est devenu petite ville, il a grandi autour de cet ovale enserré par ses boulevards et sa grande rue commerçante. Le Château et son parc constituèrent l'échappée sage des autochtones en mal de sortie. La Loire se réservait les plus aventureux, son amont y est sauvage, inquiétant et le plus souvent abandonné des hommes. L’aval nous conduit vers le Val d’Or, cet espace dédié aux lumières. Ici débute son classement au patrimoine mondial de l’humanité par l'Unesco. Qui se prolongera jusqu’à Chalonnes.

Porte d'une Sologne toute proche et d'un Berry si peu distant, Sully ouvre le bal à ce Val langoureux qui vous conduira par Saint Benoît et Germigny-des-Prés jusqu'au plus lointain de notre passé médiéval. La levée se dresse, fierté de ce Ministre Royal qui prit nom de sa bonne ville, elle protège des colères de ces crues soudaines et violentes, elle accueille maintenant le cycliste itinérant, sur un terrain si plat, que le grand vent de galerne se prend parfois pour un col difficilement franchissable.

Il ne faut pourtant pas lui tourner le dos. Vous apercevriez alors de vilaines tours crachant la fumée d'une fission nécessaire à une modernité qui a, en ses premiers temps, mis nos mariniers à quai. Des fûtreaux lancent parfois la grand voile carrée pour commérer la lenteur d'un Monde allant encore à son pas. Le gué d’Or se profile vers Ouzouer-sur-Loire, le lit est chargé d'énormes blocs de granit qui rendent la navigation périlleuse.

Le Val est ici si large qu’on peut parfois ne pas en voir ses limites. Lors des grandes crues du dix-neuvième siècle, une masse d’eau s'étalait parfois sur près de 30 kilomètres de large. Il est riche de ses cultures maraîchères. Les asperges y sont en territoire conquis. Plus loin, au nord, la forêt d’Orléans, au Sud la Sologne, offrent de belles escapades forestières et de belles cueillettes de champignons en automne.

J'ai grandi au cœur de ce village, avec une fois par mois par les cris stridents des cochons qu'on négoce. Alors, la boutique se remplissait de paniers qu’on y laissait en garde, de bavardes qui venaient échanger les dernières nouvelles. Les autres lundis, le marché prenait son temps, profitait de la place libre pour s’installer tôt le matin.

La semaine, du début du printemps à la fin de l’automne, c'était la cardeuse paternelle qui réveillait le voisinage pour qu'avant le soir, le matelas de laine puisse accueillir le sommeil des siens. J’aidais mon père à livrer le matelas gonflé comme une outre, visitant ainsi nombre des maisons de la ville. Je n'imaginais pas alors devoir quitter ce bonheur simple, ce village où le temps prenait la vie à l'endroit.

En mon village, le dimanche matin était moment de grande activité : les commerces, le château ou l’église attirant les clients. La ville s'éveillait et jusqu'à l'heure apéritive, elle bruissait des conversations, des rencontres espérées ou occasionnelles. Les gens s'y mélangeaient sans souci des couches sociales, des fonctions ou des origines qui n'étaient pas encore en cette époque si proche, barrières infranchissables.

Je ne suis pas certain que mon village d'antan soit demeuré le même. Il a subi de plein fouet la crise automobile quand les forges fermèrent leurs portes, transformant radicalement la vie locale. Les usines Simca donnaient alors du travail à beaucoup de sullylois. Ce coup fut presque fatal, la ville changeant ensuite profondément de sociologie. Une communauté y élut domicile, bouleversant elle aussi l’équilibre d’alors.

Je vais venir conter dans mon village d’en-France. Je redoute de n’y reconnaître que bien peu de gens ni de trouver écho dans une population qui n’a pas été bercée par ce que je viens de vous décrire. J’espère qu’il se trouvera quelques curieux pour emboîter mon pas et accepter d’ouvrir avec moi la boîte à souvenirs et histoires.

Sulliassement vôtre.



7 réactions


Réagir