Pour qui votent les médecins et les dentistes ?
Il suffit, pour répondre à cette question de pendre place dans leur salle d’attente...
Tout le monde consulte, avec plus ou moins de régularité, un médecin ou un dentiste, sans compter les différents spécialistes dont les bobos de la vie peuvent nous contraindre à fréquenter, plus ou moins assidûment, les cabinets. La porte franchie, et après s’être fait connaître auprès de la secrétaire (« la » parce que c’est toujours une dame, parfois l’épouse du praticien, voire sa maîtresse), l’on est invité à prendre place dans la salle d’attente avant d’être appelé par l’homme (ou la femme) de l’Art.
Rien de plus ennuyeux, surtout lorsqu’on est patraque ou aussi mal bigorné qu’Ouvrard, que ces attentes dans une salle dédiée le plus souvent froide et impersonnelle. La décoration y est en général quasiment inexistante, et ce n’est pas la lecture des quelques conseils de santé ou d’hygiène corporelle punaisés sur l’un des murs qui peut remédier à l’ennui qui se dégage de ce type de lieu, pas plus que les tarifs des consultations et des actes du praticien.
Par chance, médecins et dentistes ont conscience de la nécessité d’occuper l’impatience des patients. Ils déposent donc, à cet effet, une pile de revues périmées sur une table basse où chacun peut se servir pour meubler l’attente et, le cas échéant, tenter d’évacuer le stress qui gagne parfois les personnes venues consulter. Des revues tripotées, malaxées, et parfois inondées de crachouillis ou d’éternuements par des dizaines de patients plus ou moins porteurs de miasmes, et, pour certains, caractérisés par une hygiène des plus douteuses. Des revues qui, à n’en pas douter, se révèlent un excellent investissement pour le corps médical, eu égard aux millions de bactéries et autres bestioles pathogènes qui, de jour en jour, trouvent refuge sur les pages de ces publications et ont de bonnes chances de contaminer les visiteurs.
Quelles sont ces revues, ces magazines, ces hebdomadaires mis à la disposition de leur clientèle par les médecins et les dentistes après qu’ils en aient eux-mêmes achevé la lecture ? Trouve-t-on là L’Humanité-Dimanche et ses revendications sociales, Les Inrockuptibles et leur contenu branché, l’iconoclaste Charlie-Hebdo ? Ou bien encore Marianne et ses indignations, Le Canard Enchaîné et son contenu satirique, ou même l’organe préféré de la gauche caviar : Le Nouvel Observateur ? Inutile de chercher : aucun de ceux-là ne figure sur la table basse.
Sont en revanche omniprésents chez nos praticiens Le Figaro, Le Point, L’Express et Paris-Match. Des titres qui côtoient le plus souvent des magazines féminins comme Elle et Madame Figaro. Il arrive même, en certaines occasions, que se joigne à ceux-là l’hebdomadaire monarchiste Point de Vue. Pour qui votent les médecins et les dentistes ? Allez savoir...
Nos braves praticiens ne s’en tiennent d’ailleurs pas à ces revues et hebdomadaires généralistes. Leur générosité n’ayant pas de limite, ils mettent également à la disposition de leur clientèle les publications se rapportant à leurs hobbies et à leur recherche de confort domestique. Sur ce dernier plan, il n’est pas rare de rencontrer Art & Décoration ou Mon jardin & ma maison, voire le mensuel Antiquités-Brocante. Pour qui votent les médecins et les dentistes ? Allez savoir...
Quant aux loisirs, ils varient selon les goûts. Toutefois, point de magazines sur le football, le cyclisme ou la pétanque. Manifestement, nos hommes et femmes de l’Art ne s’y intéressent guère. Leurs pôles d’intérêt sont ailleurs. Dans l’équitation et le tennis par exemple si l’on en juge par la fréquente présence sur la table basse de numéros de Cheval magazine ou Tennis magazine. Sans oublier le golf pour ceux qui veulent « putter » plus haut que leur trou en se nourrissant de la lecture de Practice ou Golf magazine. Des praticiens qui sont en outre nettement plus à voile qu’à vapeur comme en témoigne la revue Voile magazine, très présente notamment chez les toubibs exerçant en région littorale. Pour qui votent les médecins et les dentistes ? Allez savoir...
Par chance, il arrive que l’on trouve un exemplaire de Géo ou de Terre sauvage. Dommage que le reportage sur les fjords de Norvège et les superbes photos de léopards soient respectivement envahis par des streptococcus pyogenes et des escherichia coli qui n’attendent qu’une occasion de vous niquer !