lundi 18 avril 2011 - par SELLIER

Le MP3 prépare-t-il un monde d’autistes ?

 Avec le développement ultra rapide des technologies et la miniaturisation extrême des appareils portables, plusieurs phénomènes étaient déjà bien connus :

 Par exemple l'automobiliste qui estime infiniment plus important de téléphoner, voire d'écrire un SMS (il faut quand même en être capable !), que de regarder si une maman traverse la rue en poussant un landau, ou si une mamie s'engage sur un passage protégé à la vitesse d'un escargot.

 Par exemple le fondu de jeux vidéo qui passe quinze heures par jour devant sa console, et finit par ne plus savoir très exactement où commence le monde "réel" et où s'arrête l'univers virtuel.

 Par exemple la joggeuse qui effectue son footing quotidien le long de la chaussée, aspirant à pleins poumons les bienfaisants résidus d'Elf ou de Total, écoutant la dernière création de Mylène Farmer ou le tube interplanétaire de Madonna, ce qui, convenons-en, est tout de même plus agréable que de subir le son infernal des scooters débridés à échappement libre.

 Par exemple le frimeur au volant de sa Béhème neuve, plus ou moins achetée, écoutant sans imploser les cent quarante décibels de son autoradio, qui font frémir les vitres des appartements proches.

 Tous ces phénomènes sont devenus tellement naturels qu'il est inutile de s'appesantir sur eux.

 Mais, jusqu'à une période récente, subsistaient encore quelques lieux dans lesquels Monsieur ou Madame Durand pouvait échanger quelques mots avec ses compatriotes. A savoir les magasins.

 Bien sûr, la technologie y avait déjà effectué une double percée évidente : d'une part la musique "d'ambiance" (parfois infernale au point de faire fuir le client potentiel), que l'immense majorité des boutiques se croit obligée d'asséner à longueur de journées à ses occupants. D'autre part le syndrome du téléphone portable qui permettait à chacun de nous de profiter des conversations intimes et des mensonges en direct ("Chérie... oui, je suis à Nantes"... Tiens, je croyais que j'habitais Antibes... Il faut que je consulte sans tarder. Sans doute un début d'Alzheimer...).

 Bref, toutes ces petites gâteries de la technologie nous étaient devenues familières, et, malgré leur envahissement progressif, il était encore possible d'écouter le client exprimer ses besoins.

 Désormais, cette dernière communication, cet ultime et fragile contact par la parole avec notre frère (ou sœur) humain (e), devient progressivement impossible.

 Pour reprendre le titre d'un film de Danièle Thompson, sorti en 2009, "Le Code a changé". Voici la nouvelle donne :

 La porte du magasin s'ouvre. Un être humain paraît et s'avance. Par nature autant que par habitude, nous proférons un accueillant "Bonjour". Pas de réponse. Le client, ce doit en être un puisqu'il a franchi le seuil, s'étant approché, nous constatons la raison de ce mutisme. Deux écouteurs sont hermétiquement vissés dans ses oreilles et un bruit tonitruant nous parvient malgré l'isolation phonique. Ah bon, ce n'était donc pas de l'impolitesse (le cas se rencontre de plus en plus fréquemment, et bien souvent chez des personnes d'un âge "certain"), mais simplement une surdité programmée. Rien de grave ! Ce brave bipède aime la musique et celle-ci, chacun en est conscient, adoucit les mœurs. Les préliminaires facultatifs ayant été zappés, nous attendons la demande. Mais, à notre intense stupéfaction, aucune main ne se dirige vers un écouteur pour l'extirper pendant trois secondes, histoire de répondre à notre stupide question : "Que désirez-vous ?". En revanche, un doigt se dirige vers un objet, afin de nous faire comprendre que son acquisition était le but recherché.

 Deux cas se présentent alors. Soit la transaction s'effectue sans complication, et le bipède quitte le magasin, comme il était entré, sans un mouvement de lèvres et sans que nos regards se soient croisés, même une fraction de seconde. Soit un infime grain de sable se glisse dans la finalisation de l'achat, nécessitant un question de notre part. Question qui peut nécessiter, cela va sans dire une voire plusieurs répétitions à un niveau sonore de plus en plus élevé, afin de couvrir le maelström musical. Deux yeux furieux se tournent alors en notre direction, une main le lève rageusement pour déboucher une écoutille, tandis que fuse un "Hein ?" particulièrement agressif, histoire de nous faire comprendre l'indécente incongruité de notre interrogation. Les deux ou trois mots indispensables jaillissent, et la main s'empresse de réinsérer l'écouteur, afin de perdre le moins de décibels possibles...

 Allez, je l'avoue, ce n'est pas encore la majorité des clients qui nous fait vivre cette nouvelle relation humaine. Mais depuis quelques années, le pourcentage ne cesse d'augmenter. Aussi serait-il urgent d'interroger les voyants de tous bords afin que nous puissions nous préparer aux changements radicaux qu'ils visualiseront pour demain. Mais, au fait... Avaient-ils prévu, lors de cette nouvelle année 2011, les innombrables drames qui endeuillent la terre depuis le premier janvier, entre tremblements de terre, tsunamis, révolutions en tous genres ? Ne prenant jamais connaissance de ce genre de fumisteries pseudo-astrologiques, la réponse ne m'est pas connue...

 Pour ma part, je vois bien, d'ici une décennie, cinq milliards d'humains déambuler dans les rues, le visage chaussé de lunettes- écran hermétiques afin de se plonger tranquillement dans l’univers d’"Avatar 6". Comment feront-ils pour se diriger ou éviter les obstacles ? Sans doute aurons-nous alors développé un GPS interne capable de programmer nos allées et venues sans l'utilisation totalement anachroniques de ces deux sens que sont l'ouïe et la vue. Mais, comme le déclare chaque matin Jean-Pierre Gauffre aux auditeurs matinaux de France Info, avec la délectable ironie qui le caractérise, "Vous n'êtes pas obligé de me croire"...

Bernard SELLIER

http://www.imagesetmots.fr



23 réactions


  • Suldhrun Suldhrun 18 avril 2011 11:21

    Excellent article sur le somnambulisme ... les autruches sont depassées , avec leur bac a sable ...
    Le sable se médicalise en cette époque de l informatique .

    Tout est permis , tout est possible .

    Est ce raisonnable !

    Oui en dit la galère des hommes

    A vous lire encore , giridhar


  • Cocasse Cocasse 18 avril 2011 11:31

    Il ne faut pas voir que les mauvais cotés.
    Grâce à la numérisation de la musique, il est aujourd’hui possible d’avoir une culture musicale beaucoup plus riche qu’avant.
    Alors que dans les années 80, il fallait avoir le disque vinyl, ou courir dans des médiathèques pour élargir ses horizons, et enregistrer laborieusement tout ça sur des cassettes magnétiques, la musique numérisée permet d’avoir accès à quasiment tout.


    • Emmanuel Aguéra LeManu 18 avril 2011 14:05

      En dehors de toutes considération sur l’autisme avéré des « branchés par les oreilles »...
      Au délà de l’extraordinaire chance de la diffusion de tous vers tous au travers de la toile...
      Il reste que si écouter du mp3 est une chose, définitivement, écouter de la musique en est une autre.

      Le MP3... la musique compressée pour cons pressés.

      C’est le progrès, que voulez-vous. Pendant que le « putain, bon son ta chaîne ! » est devenu « putain, 487h de musique dans ce petit truc ? », le son, lui, est devenu de la merde.

      Et c’est ça mon problème... j’ai dû me tromper de site...


    • foufouille foufouille 18 avril 2011 16:32

      il y a d’autre format que le mp3
      ogg par exemple
      le taux de compression compte aussi


    • Cocasse Cocasse 18 avril 2011 17:15

      Avec du 320, du 256, voir parfois du 192, cela reste honnête.
      Cela dépend du style du morceau.
      Évidemment, une œuvre classique sera plus exigeante, et il vaudra mieux l’écouter chez un voisin ou parent disposant de matériel.
      Pour du Jazz le mp3 reste correct. Pop-rock, funk et variété s’en accommode encore mieux.
      De toute manière, quand tu écoutes au casque, les fréquences inaudibles ne servent pas à grand chose, ou si peu.
      Au format numérique, il y a aussi le rendu CD complet (format à graver EAC).


    • perlseb 18 avril 2011 19:57

      Merci Foufouille, enfin un connaisseur. Faut-il rappeler que le format mp3 est propriétaire ? C’est-à-dire que les systèmes d’exploitation qui lisent ce format doivent payer une redevance.

      Oui, le format ogg (conteneur) est libre et peut donc être utilisé sous tout Linux en toute légalité (bien sûr, vous pouvez lire du mp3 sous Linux, mais vous n’êtes pas en règle si votre Linux est gratuit). Bref, le mp3 est pour les retardataires piégés par les licences alors que des solutions libres (et gratuites) d’aussi bonne qualité existent. C’est vrai qu’il y a tout un tas de petits gadgets qui ne lisent que du mp3, mais a-t-on besoin de tels gadgets ? C’est vrai aussi que par défaut, Windows ne sait pas lire du ogg, ni ne sait exécuter un script perl (normal, ils ont leur produits de merde à vendre à la place de produits gratuits meilleurs).

      « Quand on pense qu’il suffirait que les gens ne les achètent plus pour que ça se vende pas » Coluche.


    • Guy Liguili Guy Liguili 18 avril 2011 22:43

      Lorsque tu écoutes les enregistrements d’Armstrong dans les années 20, le son est pourri mais la musique est bonne et c’est le principal.


  • Keuss 18 avril 2011 12:31

    « Par exemple le fondu de jeux vidéo qui passe quinze heures par jour devant sa console, et finit par ne plus savoir très exactement où commence le monde »réel« et où s’arrête l’univers virtuel. »


    C’est bon, pas la peine d’aller plus loin dans l’article, un ramassis de telles inepties nuit grandement à Agoravox.

    Le titre parle de mp3 pourtant, vous savez, ce format révolutionnaire, qui a permis même a la classe basse de notre société de se faire une culture musicale, et de remplir nos salles de concert. Les maisons de disques en chiales, mais les artistes qui ne vendent pas 100000 cd par ans sont content de jouer dans des salles pleines.

    • roro46 19 avril 2011 09:58

      Ah oui, ah oui, super. Ils sont tous content ; on est tous content.
      On vend plus de disques, on joue de moins en moins, et les montants des cachets se sont réduits à peau de chagrin. Génial.


  • Alois Frankenberger Alois Frankenberger 18 avril 2011 13:46

    Il va surtout y avoir énormément de ... SOURDS !


  • Jiache 18 avril 2011 14:13

    Bonjour,

    A mon gout, il y a du bon et du moins bon dans cet article.

    Premièrement, l’utilisation du mot « autisme » me déplait beaucoup : c’est faire assez peu de cas de cette maladie et cela participe à l’utilisation inappropriée des mots, pratique utilisée aujourd’hui dans toute la presse.

    Deuxièmement, ce n’est pas le MP3 qu’il faut mettre en cause mais les baladeurs audio.

    Je vous rejoins sur le point de l’utilisation des baladeurs. Tous les adeptes de ces gadgets assourdissants me semblent d’ailleurs frappés de troubles neurologiques : balancement de la tête, frappe des pieds et des mains, le tout dé-coordonné et surtout pas en rythme, les faisant ressembler dispraxiques (et encore le mot est faible).

    J’ai longtemps eu envie de filmer ces débiles moteurs et rythmiques volontaires pour leur montrer leur ridicule. C’est certainement le manque de courage qui m’en a empêché.

    Un petite anecdote pour la route : il y a peu de temps une jeune femme m’a demandé son chemin. Je lui ai répondu aimablement sans avoir remarqué ses écouteurs. N’ayant pas entendu (écouté) mes indications, elle a ôté ses écouteurs et m’a demandé de répéter, ce que je n’ai bien sur pas fait. Hélas pour elle, je pense qu’elle n’a pas compris la raison de mon refus.


    • NeverMore 18 avril 2011 16:34

      Pour ma part, j’ai donné une mandale à un mec qui m’a insulté dans la rue. En fait, il engueulait méchamment sa femme avec son portable (et écouteurs Bluetooth) . Du coup je lui ai remis un coup de pied dans l’entre-jambes. Non mais ... 


    • Cocasse Cocasse 18 avril 2011 17:41

      LAULE ! smiley
      C’est vrai qu’ils ont tous l’air complètement autistes avec leurs portables ou leurs kit sans main, comme des mabouls qui parlent tout seuls à voix haute.
      Des fois, je tombe aussi sur des scènes d’engueulade, c’est tout bonnement ridicule.


    • roro46 19 avril 2011 10:01

      d’accord avec Jiache, sauf sur le cas du mp3. Sa qualité est telle que si, bien sûr, qu’il faut le remettre en cause. On n’(enttend tellement plus que ça qu’on est pas foutu capable de se rappeler la qualité d’un bon enregistrement analogique, ou même d’un .wav.


  • Guy Liguili Guy Liguili 18 avril 2011 22:39

    En même temps grace au lecteur MP3 on peut enfin se promener dans un magasin sans être obligé de supporter le vendeur qui nous demande ce que l’on désire tous les 1,5 m. On peut regarder, choisir et enlever le casque si l’on a une question à poser, puis le remettre s’il cherche à nous vendre quelque chose que l’on ne désire pas. C’est peut-être dommage mais si l’on estime que les 9/10è des propos de vendeurs sont du baratin, c’est un progrès !


    • storm storm 17 juin 2011 01:12

      pour ma part un « merci, je regarde, je vous appelle si j’ai besoin d’infos complémentaires » a toujours fonctionné ; )

      par contre votre message confirme l’autisme décrit dans l’article

      "On peut regarder, choisir et enlever le casque si l’on a une question à poser, puis le remettre s’il cherche à nous vendre quelque chose que l’on ne désire pas« 

      et un »non merci, ça ne m’intéresse pas", c’est pas plus civilisé ?

      Ah non c’est vrai, les échanges relationnels profonds sont réservés aux animaux et aux sauvages  smiley


    • storm storm 17 juin 2011 01:15

      ’profond’, je m’avance un peu là, disons ’échange structuré’


  • amipb amipb 19 avril 2011 04:17

    Effectivement, c’est bien la mode des balladeurs audio dans l’espace public, voire parfois l’utilisation de casques HiFi, qui est critiquable. Sans parler, parfois, de celles et ceux qui utilisent leur portable comme ghettoblaster. Cela ne crée pas une génération d’autistes, mais plusieurs générations d’asociaux narcissiques, toutes les classes d’âge étant touchées.

    Concernant la qualité audio, le problème ne tient pas forcément à la compression liée au MP3, mais bel et bien à celle effectuée dans les studios d’enregistrement, qui dénature totalement les œuvres.

    A voir, un grand classique : http://www.youtube.com/watch?v=3Gmex_4hreQ
    Et son explication et critiques : http://en.wikipedia.org/wiki/Loudness_war


    • roro46 19 avril 2011 10:04

      "Concernant la qualité audio, le problème ne tient pas forcément à la compression liée au MP3, mais bel et bien à celle effectuée dans les studios d’enregistrement, qui dénature totalement les œuvres."

      Pas totalement d’accord la dessus. Comparons déjà un original sur un CD actuel avec sa version deezer ou musicme ! c’est affligeant.

      Après, la qualité des enregistrement actuels en studio, ça se discute. Y a du bon, et moins bon (du formaté commercialement)


    • amipb amipb 19 avril 2011 22:30

      Depuis quand écoute-t-on Deezer sur son baladeur ou téléphone ? La qualité est effectivement mauvaise sur les sites de streaming, bien souvent limités à du mp3 en 128 kbits.

      Le pire est que, dans 90% des cas, les morceaux écoutés ont été compressés en studio (normalisation + loudness), puis que ces morceaux passent au travers d’une compression avec pertes type mp3 ou aac. Le résultat est effectivement un ersatz de musique, qui peut d’ailleurs être mauvais pour l’appareil auditif de l’auditeur.


    • roro46 23 avril 2011 16:18

      « Depuis quand écoute-t-on Deezer sur son baladeur ou téléphone ? »

       ????? !! Bé, comme si c’était nouveau !
      mon fils enregistre des milliers de trucs sur deezer (ou autres) et les rebalancent sur son mp4, et voilà.
      Et je crois savoir qu’il n’est pas tout à fait le seul à faire ça !!!!!!!
      sans compter qu’on peut aussi chopper deezer sur un portable


  • karpediem karpediem 19 avril 2011 20:10

    Comme bcp , je trouve hélas l’article sans interêt et apprécie davantages les digressions du forum.

    Si l’auteur veut bien se souvenir que le même discours a été tenu dans les années 60 avec les transistors portables, dans les années 70 avec les boites de nuit, dans les années 80 avec les lecteurs portables (en sacs à dos) de cassettes audio, dans les années 90 avec les lecteurs portables (en ceinture) de CD ... Bref, lorsque ce que l’on a à dire n’est pas plus beau que le silence .... autant se taire.  smiley


  • storm storm 17 juin 2011 00:55

    salut,

    un symptome de l’autisme me marque particulièrement : ce geste devenu si rapidement banal qui est de lever une main tenant un boitier électronique à l’écran allumé d’un côté et la caméra de l’autre ; colonisation rapide, trans-générationnelle et mondiale des us et coutumes sur notre planète.

    Ridicule (et flippant)


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