Ça, c’est Palace !
En différé de ma Segpa
Une matinée dans le collège neuf …
Pour la première fois de l'année, je me retrouve avec quelques élèves dans ce collège neuf qui nous est interdit le reste du temps. C'est un monde nouveau pour moi, les élèves y viennent deux demi-journées par semaine pour y retrouver des professeurs de collège qui ne sont sans doute pas désireux de se déplacer dans notre taudis ….
Je dois venir de bonne heure. Je ne dispose pas du boîtier électronique qui permet d'accéder au garage sous-terrain. Fort heureusement, j'arrive alors que le portail est encore ouvert et je me glisse comme un voleur avec mon deux roues (plus tard, j'apprendrai qu'il est en panne ). Le collège est vide, seule la principale est à la loge, elle remplace au pied levée un agent blessé.
C'est elle qui me remet son passe afin que j'ouvre la salle qui nous est dévolue. C'est la plus éloignée et la plus petite sans doute. Ce n'est pas un problème puisque pour cet examen blanc, je n'ai que 9 candidats : les meilleurs de nos élèves auxquels on propose de tenter le brevet professionnel.
Sur le chemin, je salue un surveillant fort étonné de me voir ici. Il s'exclame : « Vous n'êtes pas à la Segpa aujourd'hui ? » Je devine que ma présence est une totale incongruité en ce lieu. J'en ai la conviction en croisant une professeur qui ne me salue pas et un autre qui me regarde avec étonnement, se demandant ce que fait cet étranger ici.
Je suis agréablement surpris d'entendre la sonnerie battre le rappel. C'est un doux carillon d'aéroport, bien loin des 87 décibels de notre alarme qui nous arrachent les oreilles quand nous sommes juste en dessous. Par la suite, je découvrirai qu'il existe aussi un système de message sonore avec une tonalité tout aussi suave. Nous ne sommes manifestement pas dans le même monde.
Dans la salle de classe, c'est un choc ! Des murs parfaitement lisses, pas de cloques ni d'écailles. Des fenêtres qui ne laissent passer aucun courant d'air. Des volets roulants qui fonctionnent, des radiateurs discrets qui ne gênent pas les élèves. Un sol parfaitement plan et des tables qui ne branlent pas. Ainsi donc, dans ce collège, il est possible d'avoir des conditions normales d'accueil et de travail !
Dans cette classe ordinaire, il y a un rétro-projecteur, un téléviseur équipé d'un lecteur DVD, un ordinateur relié à internet. Pour beaucoup d'enseignants, ce sont des équipements de base, pour moi, c'est désormais loin de mon quotidien depuis que j'ai intégré mon espace de relégation. Je sais que notre bon Conseil Général a promis de câbler nos classes et de passer une couche de peinture, ça ne donnera certainement pas ce doux sentiment de confort ouaté que l'on trouve ici.
Je suis à côté du Cendre d'Information et de Documentation. Je dois de vous faire un aveu. J'enseigne le français mais je n'y ai jamais mis les pieds avec mes élèves (ni même à titre individuel) cette année. Un kilomètre trois cents, c'est une bien grande distance quand on veut venir consulter une référence ou bien emprunter un livre. Il faudrait alors organiser un déplacement spécifique et je me demande si nous y serions vraiment les bienvenus.
Je ne pourrai juger de la salle des professeurs dont la plupart me sont inconnus. Nous allons vivre en décalage avec le collège. À l'heure de la récréation, mes chers élèves seront encore en train de plancher. Je n'aurai pas à justifier de ma présence alors que c'est mon collège d'attachement administratif. Le lien est si distendu que d'attachement il n'y a pas. Je suis totalement étranger en ce lieu et j'ai le sentiment que mes élèves ne s'y sentent pas à leur place non plus.
Voilà le résultat d'une politique de ségrégation voulue et menée par le Conseil Général du Loiret pour ce seul établissement. D'autres Segpa sont intégrées dans des collègues neufs, pas la mienne. Je n'ose comprendre les motivations qui ont prévalu à cette discrimination honteuse. Je devine que le prochain rafraîchissement de notre taudis (promis pour janvier et tout juste commencé) mettra un terme à l'espoir fou d'être intégrés. Nous serons définitivement à l'écart, parqués comme des malades contagieux. Ce sera sans moi, monsieur le Président Sénateur, je ne peux admettre plus longtemps cette injustice qui est de votre seule responsabilité.
Contagieusement votre