Depardieu : Mon royaume pour un scooter
La scène : Un champ de betteraves, où un homme, ployant sous le poids d’un magot tout autant que des ans, se hâte de passer la frontière.
Au loin, les vagues d’Ostende, un peloton cycliste passe, à belle vitesse, tout comme les nuages, poussés par le vent
Le vent court dans les cheveux de l’acteur, et dessine des ombres terribles sur son visage.
Ambiance : « Cuirassé Potemkine » ou « Ivan le terrible »
L’homme s’arrête enfin près d’une baraque à frites.
« Le plat pays », de Jacques Brel, passe à la radio
Acte 1, scène 1
DEPARDIEU :
Ah, me voici enfin arrivé
Waterloo n’est pas aussi triste que je pensais
Ici on m’attend à bras ouverts
Ah ! Je sens que je vais ici me plaire
Et payer bien moins cher que de l’autre coté
Au vendeur de moules-frites
« Tenez, mon brave, donnez moi de quoi manger
J’ai bien besoin de me retaper, après toute cette marche
Qui m’a fait ressembler, de loin, à ce pauvre roi Lear
A qui Shakespeare faisait payer trop de taxes ! »
LE VENDEUR DE FRITES :
« Ah, sire, mais je vous reconnais
J’ai votre nom sur le bout de la langue
Et ne me souviens que de cette particule : De, quelque chose
Qui fait toute votre noblesse
Mais ça y est, je vous remet
N’êtes vous pas Louis Capet ?
Je vous croyais à Varennes
Mais où sont la reine, et le petit boulanger ?
DEPARDIEU (fâché qu’on ne l’est pas reconnu, il s’apprête à faire son Cyrano ! )
Ecoute un peu, et écarquille les yeux :
« Regarde moi, mon cher
Et dites moi quelles espérances
Pourrait me valoir ces flatulences ! »
Il pête sans vergogne…..
LE VENDEUR DE FRITES :
Ca y est, je vous remet !
Quand je raconterais aux copains que j’ai vu Le Gérard
Il n’en reviendront pas
Mais sans vouloir médire
Votre ramage ne vaut guère mieux que votre plumage
Qu’êtes vous venu faire ici
J’espère pour vous que vous avez un bon fromage !
DEPARDIEU :
C’est la colère qui me guide et qui m’a fait fuir
De ce pays derrière que je ne saurais qu’honnir !
Ah, mais, ces cuistres de socialos me font chier !
Tant pis pour eux, ces gens ne me méritent guère
C’en est fini de l’Obélix
De toute façon j’en avais plein le cul
De donner de la tête dans les barriques à vin
Et d’empiler les casques de romains !
Ah, ah ! Je me sens en génie, donnez moi le la !
Si vous voulez je vais vous faire Tintin
Et surtout le capitaine Haddock
Mille tonnerres de Brest
Qu’on me donne une bouteille et une casquette de marin
Je m’en vais à ces australopithèques
Leur composer par lettre une bordée d’injures
Qui paraîtra dans toutes les gazettes du matin
LE VENDEUR DE FRITES :
« Tenez je n’ai qu’un bic, un bout de papier gras
Et un torchon pour essuyer vos doigts
Et pour les frites, je vous les sert comment
Voulez vous de la mayonnaise, ou du ketchup
Pour tremper votre plume et votre courroux ?
DEPARDIEU :
« Il me faut quelque chose de plus fort
La moutarde qui me monte au nez
Comme venin, m’ ira très bien ! »
Il écrit :
« Ah, que n’ai je trop souffert de cette infamie
Me voici parti comme Hugo l’avait fait avant moi
Pour après tant de mérites et de taxes
Echapper aux percepteurs et aux cuistres
Ah ! Les misérables
Mais on ne me laisse pas le choix !
Tant pis, c’est dit, je me ferais Belge
C’est un rôle de composition comme un autre
Qui m’ira comme un gant, pourvu qu’on relâche un peu les coutures
Autour du ventre et des épaules
Pour un homme de talent et d’envergure comme je le suis
Cela me sera bien plus facile
Que de jouer Cyrano, Danton, Raspoutine, l’Obélix
En encore ce pauvre type
Obligé d’aller chercher sur sa moto ses feuilles de paye
Aux quatre coins de la France
Pour toucher sa retraite.
Ah, je ris ! Comment fera t’il
Quand je serais parti, pour remplir son écuelle !
Ah ! mais c’est trop
(il crache par terre)
Ce mot de France m’écorche maintenant les lèvres
Bien plus que le sel de ces frites si bonnes en mon palais
Je ne vous parle pas de celui que je laisse derrière moi
A Paris, pour quelques millions d’euros !
C’est simple je ne veux plus en entendre parler
Et vais remettre sur l’heure mon permis de pèche
Mon passeport, et ma carte du Fouquet’s
Quoique, à la réflexion, finalement
Je garde celle ci !
Qui peut encore servir !
Au cas où le bon roi Sarko serait de retour
Avec la caravance publicitaire du tour !
Car on ne sait jamais comment une pièce finit
Avant les derniers couplets
Avant les derniers verres !