Dura lex, sed CASTEX
Nous ne sommes que du bétail.
« Pas question de lâcher la bride ! »
Notre bon premier éleveur en chef à l’accent rocailleux vient de trahir le fond de la conception du pouvoir vis à vis du peuple. En déclarant benoîtement qu’il n’est pas question de lâcher la bride, il reconnaît clairement que nous ne sommes au mieux que des ânes bâtés, au pire du bétail qu’on envoie à l'abattoir. Il faut espérer que l’association L214 filmera les exactions qui nous sont promises afin d’alerter la conscience publique de nos frères les animaux.
La bride, le lascar a dû interroger grandement les citadins patelins qui ignorent tout du langage des éleveurs. Il a cependant fait un grand pas dans la précision du vocabulaire puisque depuis le début de la crise, ses collègues vachers ou bergers ainsi que le grand fermier général se refusaient à user du terme adéquat pour un élément incontournable de la stratégie du grand élevage national. En effet, au lieu de désigner ce que les animaux portent sur le museau sous son vocable officiel de muselière, on leur servait du masque, terme qui n’avait ni queue ni tête.
Voilà qui est plus clair. La bride reste fermement fixée autour de l’encolure. Les animaux disposent cependant, libéralité extraordinaire d’une heure de débourrage au manège. Il n’est d’ailleurs pas question de les laisser trotter en liberté en pleine nature, le risque serait trop grand qu’ils prennent le maquis ou la clef des chants révolutionnaires. Non, un manège circulaire d’un kilomètre de rayon est largement suffisant.
Pour le nourrissage, le pouvoir n’a pas trouvé assez de personnel pour remplir directement les innombrables râteliers. C’est donc aux bêtes à manger du foin elles-mêmes, de se rendre à la queue leu-leu dans les grandes coopératives de la mal bouffe. Elles disposent pour ça d’un râtelier à roulettes dans lequel elles jettent en vrac le fourrage, les croquettes, les compléments alimentaires pour bien engraisser avant l’abattage.
Les soins vétérinaires exigent une surveillance drastique des têtes de bétail. Un test a été mis en place pour aller fouiller au fond de leurs naseaux afin d’y débusquer un agent viral qui serait de nature à souiller la viande et à attaquer les poumons. Les vétos ont d’ailleurs la tâche simplifiée puisque les bœufs, les ânes, les cochons, les moutons se rendent d’eux même au contrôle hygiénique. Un tampon violet leur sera imprimé sur le bras quand ils auront été soumis au vaccin obligatoire.
Contrairement à ce qui se disait dans les élevages modèles, la culture est contre-productive pour la qualité de la viande. Il convient de ne pas cultiver des plantes rares et originales afin d’en nourrir les futurs sacrifiés. Il a été remarqué des difficultés de digestion, des flatulences, des maux de tête parfois. C’est une bouillie prémâchée qui sera distribuée par des tuyaux médiatiques parfaitement contrôlés.
Pour éviter le coup de pied de l’âne, une autre mesure a été adoptée. Tous les comices agricoles, les foires à bestiaux, les concours hippiques et autres animations concernant des animaux domestiques se passeront désormais en l’absence de toute bête. Seuls les responsables politiques viendront pérorer devant les caméras devant des boxes vides. On désigne cette curieuse pratique sous le nom de huis-clos.
Pour tenir la bride ou la longe, il est recommandé aux responsables de l’ordre de se laver fréquemment les mains. Il se peut qu’il y ait des bavures, des déjections, des ruades. Il est important de ne jamais perdre de vue les bestiaux, de les avoir toujours à l’œil en restant face à eux. Tous les moyens seront mis en oeuvre pour enclore davantage cet immense troupeau : hélicoptères, drones, escouades sanitaires, caméras de surveillance. Jamais élevage n’aura été aussi bien gardé que celui-là.
Bestialement leur.