vendredi 12 mars 2021 - par C’est Nabum

Espèce à éradiquer

 

De l’hégémonie à l'infamie

Il fut un temps où mes semblables prétendaient dominer le monde, imposer leurs règles, leurs codes et leurs puissances à tous ceux et toutes celles qui devaient se plier sous leurs mains de fer. Il n'y a pas lieu de s'en réjouir ni même d'éprouver une quelconque nostalgie pour ce pouvoir détestable, exercé alors. Les pires abominations ont été couvertes que ce soit dans la sphère publique ou dans l'espace privé pour que puisse s'exprimer une domination alors sans partage.

Puis soudain, les mouches ont changé d'âne. Tout a basculé, subrepticement au départ puis de manière de plus en plus spectaculaire. Ne pensez pas qu'une nouvelle domination a pris le témoin, imposant à son tour, la loi d'un nouveau plus fort. Les choses ne sont pas si simples. L'union des dominés n'a pas eu lieu, chacun agit pour son compte avec cependant cette idée qu'il faut tailler des croupières aux derniers représentants de l'ancienne espèce dominante.

Mais auparavant, il fut nécessaire d'établir une liste, la plus exhaustive possible, des tares attribuées à ces ultimes spécimens avant élimination définitive. Un comité s'est donc réuni pour dresser le portrait-robot de la bête à abattre, du nuisible à éradiquer, de la pourriture à détruire. Il y avait tant de ressentiments, de haine même que les représentants des minorités passées n'y sont pas allées par le dos de la cuillère.

La liste s'étirait, devenant une peau de chagrin qui mettrait fin au terme de son déroulé aux privilèges de ceux qui allaient devenir les parias de la Planète. Il fut convenu bien vite qu'être un mâle, blanc de surcroît, c'était avoir pactisé avec le diable. Il était ainsi possible de leur coller sur le dos toutes les tragédies de l'histoire de la Terre à l'exception de la disparition des dinosaures.

Puis il fut demandé d'affiner un peu les critères pour ne pas avoir trop de morts sur la conscience. Très rapidement l'hétérosexualité sembla de nature à expliquer bien des crimes commis contre l'autre moitié de l'humanité. Il y eut des débats sur la manière de punir cette tare. La castration fut évitée de justesse afin de laisser une chance à quelques sujets de changer de bord.

Les congressistes ne se sentirent pas bien dans leur assiette. Il convenait de mettre les pieds dans les plats de ces monstres. Les carnivores furent mis au ban de la nouvelle société. Une commission se chargeant même de réfléchir à la plus sûre manière de les mettre à mort s'ils remplissaient les différents critères à définir encore.

Les représentants de toutes les minorités jadis réprimés pensèrent qu'il fallait sérier un peu plus leur définition de l'homme à éliminer de la surface de la Terre. Des nouveaux critères furent débattus. Parmi ceux-ci et bien que nombres des acharnés puissent entrer dans cette case ?, l'imberbe devint un personnage à la face hideuse. On y ajouta les individus dépourvus de tatouage, de piercing et de boucles d'oreilles. Ceux qui cumulaient toutes ces tares démontraient à l'évidence leur ancrage dans la norme passée.

Puis les chevaux ayant été lâchés, le conseil d’éradication songea à ajouter un nouveau critère. Le débat fit rage entre ceux qui voulaient supprimer les sportifs et ceux qui pensaient s'en prendre aux intellectuels. Pour ne pas faire de jaloux, il fut convenu de retenir les deux catégories en déterminant des définitions précises. Le sportif fut le pratiquant d'un sport collectif non mixte et l'étiquette d'intellectuel fut accolée à celui qui lisait encore des livres papier.

Le consensus atteint, c'est dans l'allégresse générale que la nouvelle fut transmise sur tous les réseaux sociaux. Le premier acte fut le déboulonnage des statues en la mémoire des illustres personnages correspondants à ce portrait-robot. Il y a eu une controverse à propos de Vercingétorix. Des voix prétendaient que ses belles bacchantes pouvaient mettre en doute son hétérosexualité. Les monuments à sa gloire furent épargnés, une notable exception dans le génocide des grands-personnages sur piédestal. Quant à votre serviteur, comprenant que son sort était désormais scellé, il attend patiemment qu'un décret lui impose l'écriture inclusive pour se mettre un peu de plomb dans la tête.

Minoritairement vôtre.



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