La déconfiture du Rugby français
« Confit » de génération.
Il est des petits détails qui vous font comprendre combien vous êtes désormais déconnecté d’un monde toujours en mouvement, qui avec un malin plaisir, court à sa perte pour le seul profit de quelques marchands. C’est ainsi que j’ai compris, non sans m’en trouver fort marri, que je n’avais plus rien à voir avec la génération montante. Il me semble nécessaire de vous éclairer sur cette lente descente aux enfers qui me valut d’entrer de plain-pied dans la grande cohorte de ceux qui sont désormais hors circuit.
Tout a commencé sous une douche alors que j’entraînais encore de jeunes gens, rugbymen de leur état, et résolument au parfum de la cosmétique onéreuse. Moi, le presque vieillard, je n’utilisais pour me libérer de la crasse récoltée durant l’entraînement qu’un modeste et unique savon de Marseille, remplissant toutes les fonctions. Mes jeunes amis, se présentaient quant à eux, sous la poire de douche avec une trousse de toilette. Shampoings, parfums, gels de lavage, crèmes hydratantes et autres produits, tous plus chimiques les uns que les autres, transformaient le lieu en une parfumerie douteuse.
Je n’étais pas au bout de mes irritations olfactives. Dans le vestiaire, après s’être bien séchés, mes joyeux lascars se répandaient par tout le corps du déodorant, tandis que leurs cheveux réclamaient des produits incertains, collants et brillants. L’envie d’éternuer me faisait toujours quitter précipitamment l’endroit tandis que la séance de maquillage masculin se prolongeait durablement.
Le buffet nous attendait. Pratique rituelle au rugby, là encore je découvrais que les valeurs avaient changé sans que je n’en susse rien. C’est ainsi qu’au milieu de la table trônaient des monceaux de couenne de jambon. Voilà donc un aliment qui sort du cadre, il y en a d’ailleurs beaucoup d’autres. C’est ainsi que lors de nos trajets, je découvris rapidement que nos joyeux consommateurs ne préparaient plus de panier repas avec force charcutaille et bonnes bouteilles. Ils se contentaient d’acheter des sandwichs en triangle lors de nos escales autoroutières, l’expression même de l’insipide, du mou et de mauvais goût. Pire encore, le vin était détrôné par des boissons incertaines, énergisantes et sur-vitaminées.
Je ne reconnaissais plus les valeurs du rugby. J’allais plus encore les perdre à tout jamais au retour des matchs. Le Ricard avait depuis longtemps tiré sa révérence lors de la réception d’après match. Le vin résistait vaillamment pour les dirigeants qui parfois ne crachaient pas sur quelques bulles tandis que nos jeunes amis se ruaient désormais sur la bière, véritable phénomène de société.
Le retour en car voyait alors surgir des sacs, des boissons à forte teneur en alcool. La vitesse de le griserie l’emportant désormais sur le plaisir de la dégustation. Je n’avais décidément plus ma place dans ce milieu d’autant plus que ce sport se prenait de plus en plus pour une épreuve de force, brisant des hommes qui passaient leur temps à soulever de la fonte plutôt qu’à perfectionner l’art de l’esquive et de la passe.
Il me fallait déguerpir de l’endroit. Je n’avais plus un seul terrain d’entente avec eux. Je n’osais pas discuter spectacle ou bien littérature. Rien de ce qui constituait mon univers ne leur était connu. Nous évoluions dans des mondes distincts, hermétiques les uns aux autres. Même ma manière de parler échappait désormais à leur compréhension. Il était temps pour moi de prendre ma retraite sportive !
J’étais devenu une vielle baderne, un gars bon à mettre au clou - même si cette expression devenue obsolète échappait à leur compréhension. Pire que tout, le portable avait détrôné les discussions interminables durant lesquelles chacun refaisait le match. Même s’ils s’encanaillaient et bien plus encore que nous pouvions le faire jadis, les joueurs ne quittaient jamais leurs chères copines, leurs épouses ou bien leurs compagnes de l’heure. Même dans le vestiaire, à quelques minutes du coup d’envoi, certains préféraient leur écrire discrètement plutôt que d’écouter le discours du vieux con. Oui, vraiment il était temps de raccrocher les crampons, ce que je fis sans regrets. Cet univers m’étant devenu totalement étranger.
Ovalement leur.