mercredi 10 mars 2021 - par C’est Nabum

La fée ménagère

 

La théorie de l'évolution.

Conte ménager

 

Tout a commencé, il y a bien longtemps de cela, dans un coin reculé de notre belle Sologne. Josette en bonne femme d'intérieur avait le souci de laisser sa masure propre. Mais pour son plus grand tracas, son homme avait la fâcheuse manie de convier quelques larrons au retour de la chasse pour casser la croûte avec des manières de gougnafiers. Le sol jonché de croûtes de pain, de reliefs divers et de crachats de chique avait de quoi rebuter la bonne dame d'autant que son gredin cuvant son excédent de vin, ne levait jamais le petit doigt pour l'aider.

Ce jour-là, Josette prit le cerf par les bois ou plus exactement eut une formidable intuition qui allait changer la face du monde domestique. Elle regarda par la fenêtre et vit que le genêt était en fleur. Quel caquesiau la piqua alors ? Nul le pourra vous le dire, toujours est-il que notre commère se dirigea lentement vers ce bosquet, s'appuyant lourdement sur le bâton noueux qui lui servait des canne.

Elle coupa une brassée de genêts, revint chez elle pour s'agenouiller sur sa terre battue et repousser les immondices de son gredin de bonhomme. Le résultat était du plus bel effet, de fines rayures agrémentaient sa poudre de sable et d'argile qui constituait son sol. Elle était ravie de son initiative jusqu'à ce qui lui faille se relever. Ce fut alors une autre paire de manches, ses vieilles douleurs lui rappelant les incontournables lois de la gravité. Josette s'appuya sur sa canne pour se remettre debout.

La dame regarda la brassée végétale à ses pieds, observa interrogative son bâton, revint vers le genêt, se perdit les yeux au plafond, le regard dans le vide. Soudain, son attention se porta sur une corde lieuse qui pendait là, accrochée à une poutre. Une formidable mécanique intellectuelle se mit en branle, elle alla de la lieuse à la canne pour se focaliser sur la brassée de genêt ; quand soudain la connexion se fit tandis que l'humanité allait effectuer sans le savoir un grand pas.

Josette attrapa la lieuse, prit sa canne et y noua solidement les brindilles. Elle venait sans pouvoir le nommer d'inventer le balai bien que son nom ne fut jamais associé à cette immense découverte. Il est vrai que son genêt à balai était dépourvu d'épine, elle ne pouvait prétendre au concours éponyme. Elle resta à jamais dans l'ombre d'autant que sa proche voisine tira sans tarder la couverture médiatique à elle.

Dame Irène avait vu la chose, elle avait admiré la perspicacité de sa voisine tout en émettant des réserves sur son choix. Pourtant le balai de genêt connu un franc succès des siècles durant et permit une bien modeste prospérité dans la région. Toujours est-il que de son regard critique Irène déplora les fleurs jaunes qui parsemaient le sol ainsi épousseté. Elle en fit la remarque à son bonhomme en lui disant : « Archimède va me chercher du bouleau ! ».

La demande fut prise comme une agression par ce brave fainéant, cossard devant l'éternel. Il se défendit en affirmant qu'il n'existait pas encore de filiale de Pôle Emploi dans ce petit secteur si tranquille. Irène vitupéra : « Grand nigaud qu't'es ti bête. Va me chercher des branches de bouleau, tu vas voir ce que tu vas voir ! » Archimède s’exécuta et bien lui en prit, sinon il aurait été sans doute le premier mâle homo-sapiens à recevoir un coup de balai sur le dos.

Irène, sa requête satisfaite s'empressa elle aussi de fabriquer un balai, de bouleau cette fois. Elle fit ses premiers réglages, satisfaite du résultat quand une curieuse sensation lui chatouilla le divertissoire de sa caboche. Elle qui était une herboriste émérite, capable de jeter des sorts et de préparer des potions, elle sentait comme un appel étrange, une pulsion mystérieuse, à aller plus loin encore.

Irène sortit de sa demeure, enfourcha son balai de bouleau et bien avant Icare, grand usurpateur de renommée devant l'éternel, elle pratiqua le premier vol humain de toute l'histoire. L'affaire fit grand bruit. Josette dépitée déclara que naturellement Irène en faisait toujours plus tandis que d'autres sorcières de Sologne se mirent en quête de réglages pour améliorer les performances de l'engin.

C'est Houlippe, la fée qui habituellement s'élevait dans le ciel derrière deux cygnes noirs qui apporta une innovation que l'on peut qualifier de révolutionnaire. Elle avait remarqué que des compagnons chaumiers posaient de la paille de seigle sur le toit d'une belle demeure. Elle s'empressa de reprendre l'invention d'Irène en substituant le chaume au bouleau. Ce fut un coup de génie. Houlippe s'envola elle aussi et franchit le mur du son. L'aventure aéronautique des sorcières et des fées pouvait débuter…

La suite constitua un véritable embouteillage dans le ciel de Sologne et du Val de Loire. Les plus grandes concentrations de birettes aériennes se trouvèrent du reste en Berry du côté de Châteauroux. Ce fut la course à l'armement, les baptêmes de l'air eurent un énorme succès. Il fallut diversifier la production, rechercher des matériaux plus légers et des coûts de production plus serrés. C'est vers le lointain Tonquin que ces dames allèrent quérir le bambou pour produire des balais bon marché. Les prix s’effondrèrent tandis que les vols connurent de nombreux trous d'air.

L'usage du balai volant se perdit véritablement, les générations suivantes pensèrent que ce n'était que sornette de conte de fées. Le balai se résolut à demeurer bien sagement dans les maisons même si leur usage demeura longtemps l’apanage des femmes. Sans doute de manière inconsciente, les hommes redoutaient le risque de se trouver brutalement mis à la porte et envoyé au diable avec cet objet domestique.

C'est curieusement non loin de la Sologne, dans la toute plate Beauce que se déroula de nos jours un nouvel épisode de cette épopée. Jean-Pierre et Josiane, un couple uni pour le meilleur et parfois le pire coulait des jours heureux dans leur ferme. Chaque année, à l'occasion de la fête des mères, Jean-Pierre se fendait d'un cadeau qu'il pensait original pour son épouse. Il y a deux ans, il avait choisi une sorbetière. Josiane le remercia avant de lui glisser qu'elle aurait préféré des fleurs ou un bijou. Elle utilisa une fois l'appareil pour ménager la susceptibilité de son homme puis la remisa pour l'éternité au fond d'un placard.

L'année suivante, incapable de retenir la leçon Jean-Pierre retourna dans le même magasin et fit une nouvelle dépense pour sa femme. Il revint cette fois avec une yaourtière. La pauvre Josiane, allergique aux produits laitiers, s'arracha les cheveux et fit remontrances amères à son inélégant compagnon. Le gros paquet fut déposé au grenier sans même avoir été ouvert.

Cette année, pour la fête des mères, Jean-Pierre se promit de ne plus commettre pareille sottise. Il se garda bien d'acheter une cafetière ou une théière, la rime semblait déplaire à sa chère compagne. Il fit preuve d'imagination en optant pour un énorme appareil, inventé par un sujet de sa très gracieuse majesté qui connut de constantes améliorations avant que d'être mis sur le marché européen après un succès fou en Amérique.

Josiane fut surprise par la taille du paquet. Cette fois, elle prit la peine de le déballer se doutant malgré tout que ce ne soit ni des fleurs ni des bijoux. Elle découvrit un appareil étrange, une sorte de ventre sur roulettes équipé de gros tuyaux. La marque « Électrolux » lui était inconnue. Pourtant, la ménagère eut une intuition. Elle envoya son bonhomme chercher l'immense rouleau électrique qui servait pour l'entretien des extérieurs.

Elle déroula tout le câble, elle brancha l'aspirateur puisque tel était le nom de cet appareil et après avoir pris le soin de s'installer dans la cour, Josiane enfourcha ce que nos amis canadiens nomment une balayeuse électrique. Elle s'était souvenu intuitivement qu'il y avait des birettes dans sa lignée, Josiane s'envola pour ne plus jamais remettre les pieds dans cette maison où elle servait de bonniche.

Depuis la dame se trouve en vol circulaire au-dessus de ce coin de Beauce. Son époux pour éviter une panne d'électricité qui lui serait fatale, fit installer d'immenses éoliennes sur ses terres et un groupe électrogène pour pallier au manque de vent. Passez donc par cette ferme pour admirer ce prodige. Josiane tourne encore à l'heure où j'écris une histoire à écouter les yeux au ciel.

Ménagèrement vôtre.



6 réactions


  • Gégène Gégène 10 mars 2021 09:57

    c’est quand ces messieurs étaient trop manches que ces dames en étaient réduites à chevaucher des balais smiley


  • juluch juluch 10 mars 2021 11:59

    La journée de la femme n’etait pas loin apparemment !

    Les appareils ménagers sont à éviter pour les anniversaires, fêtes, Noëls etc....pas bonne idée !

    sinon pour le balaie, Harry Potter n’a qu’à bien se tenir !!


  • Jjanloup Jjanloup 10 mars 2021 16:36

    Bonjour Nabum.

    Pallier est transitif direct (Pallier le manque de vent et non au manque de vent)...

    Mais, par pitié, continuez à nous enchanter et surtout ne me répondez pas <<du balais !>>

    Respectueusement vôtre...


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