jeudi 24 février 2011 - par velosolex

La vente de l’hôtel de la marine, ou comment rembourser la dette

Juin 2040  

 Est-ce pour oublier les événements graves que notre pays traverse, ou pour tenter de les comprendre, mais aujourd’hui j’ai passé mon temps à feuilleter tous ces vieux journaux jaunis, les magazines à l’actualité fanée parlant d’un temps révolu.

 Je suis tombé sur un article de Février 2011. Comme c’est loin, mais si près à la fois ! Ce jour là les gens découvraient avec effroi que le patrimoine était à vendre. L’hôtel de la marine, joyau inestimable du patrimoine, ayant cour sur la place de la concorde à Paris, était mis aux enchères avec 1700 autres biens nationaux. Des trusts privés se pressaient déjà aux grilles.

 Une telle chose semblait alors impensable. Même si elles nous font maintenant sourire, tant on a vu d’autres ! Mais à l’époque, les gens se mobilisèrent partout dans le pays. En vain, ou pas assez ! Ils ne rencontrèrent que des responsables politiques qui leur firent la leçon, leur rappelant que la dette de la France s’élevait à 1600 milliards d’euros. Le remboursement coutait la somme colossale de 130 millions d’euros par jour au pays.

Il fallait regarder les choses en face !

 La dette ! La dette ! Combien faudrait-il vendre d’hôtel de la marine, de tour Eiffel, de châteaux de Versailles et d’arc de triomphe pour s’en sortir ?

Les gens avaient entendu pendant des siècles parler de la menace divine, et à peine s’en étaient-ils libérés, que c’était la menace de la dette qui les rattrapait. C’était un dieu encore plus méchant que l’autre, qui leur promettait non le paradis au ciel, mais l’enfer sur terre, s’ils continuaient à perséverer dans leurs erreurs.

 C’était une onde de choc qui secouait bien des pays, une sorte de tsunami qui laissa les gens à demi noyés. En Grèce, en Irlande, à la même époque, les brigades financières du FMI firent des descentes mémorables, dignes de celles d’Eliott Ness à l’époque de la prohibition, jugeant que les réformes structurelles devaient être encore « accélérées » et « étendues ».

 Depuis, tout ce verbiage économique a fait florès. Tout le monde sut rapidement décoder ce véritable système de ventes à la découpe des biens publics, où l’on finissait pas de « dégraisser » le pauvre animal qui n’avait plus que la peau sur les os, et toujours trop de fonctionnaires sur le dos.

 Le mot fonctionnaire était devenu une injure. On le présentait en rond de cuir, triste et grincheux, remplissant des bordereaux inutiles, frappant du tampon au fond d’un bureau oublié. Il fallait le virer !

La caricature est toujours payante. Car les gens auraient été bien sur plus sensibles au sort des infirmières ou des professeurs dont ils savaient que la qualité de leur vie dépendait.

 La dette était une sorte de moloch avide où toutes les forces vives des pays semblaient disparaitre, sans que le monstre ne soit jamais rassasié. Certains se demandaient si tout cela n’avait pas été fait délibérément, une sorte de légitimation de l’expropriation, le retour à la féodalité. Mais on les jugeait mauvais esprits, menteurs, paranoïaques, de même facture que ceux qui dénonçaient l’obsolescence programmée, cette foutue thèse qui osait insinuer que les industriels fabriquaient délibérément des objets fragiles, pour continuer à en vendre des neufs aux gogos dont ils se foutaient éperdument.

 Tout fut bon pour tenter de rembourser cette foutue dette, pareille au tonneau des danaïdes. La privatisation de l’état n’eut jamais de limite avant qu’il ne disparaisse, et le symbole de cette dérision fut sans doute la sponsorisation de son drapeau par un grand groupe sportif, ornant dorénavant les trois bandes de son logo.

 A l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais où je serais demain, ni ce que demain sera fait. Je ne sais même pas pourquoi je continue à tenir ce journal, car je doute qu’il sera lu un jour. Tant bien même quelqu’un le trouverait, il faudrait qu’il déchiffre le Français, langue qui semble maintenant autant condamnée que jadis la langue inuit.

 Ceux qui n’utilisent pas la langue des vainqueurs se condamne de facto. Une conviction qu’avait mon grand père Breton, quand il s’imposait de parler français devant son fils, afin pensait-il de lui préparer le meilleur avenir possible.

Je ne sais plus trop qui a un jour acheté les droits de notre langue. On tout cas on sait bien que c’est le gouvernement qui les a vendu, afin et toujours à seule fin de dégonfler le poids de la dette. Ceux qui tentèrent de s’opposer se virent taxer d’archaïques, ou pire, injure suprême, de populistes. Il fallait être absolument moderne !

Comme on nous avait défendu d’échanger entre nous nos graines de tomates, afin de ne pas porter ombrage aux trusts qui s’étaient accaparé les brevets du vivant, on nous a imposé l’achat d’une licence, pour parler une langue qui était auparavant la notre. Celle qu’on appelait la langue des lumières, et qui était fournie gratuitement à la naissance et de façon scandaleuse par des parents aimants.

L’achat prohibitif de la licence commerciale permettant d’être locuteur français, a laissé dans la détresse la grande majorité des citoyens ( un mot interdit, je devrais dire « client ») . La police de la langue veille, il est vrai de moins en moins, tant il n’est même plus besoin de contrôler. Les infractions sont rares. La débilisation de la population est patente ! Je n’entends plus depuis longtemps que ce créole anglo-chinois riche de pas plus de trois ou cent mots, la nouvelle langue permise et gratuite, mais à peine suffisante pour exprimer ses besoins essentiels, et toujours sur le mode de l’achat compulsif.

« J’achète, donc je suis ! » Qui est derrière ce slogan ? Par quel mécanisme en est t’on arrivé là ? Des questions qu’on a du se poser à l’époque du régime soviétique. Sans doute au départ il y eut des gens persuadés qu’en œuvrant à la dérégulation et à l’ouverture tout crin des marchés, ils faisaient avancer la consommation, le bonheur, l’intérêt général, que sais-je encore.

Bien qu’au fond je n’en suis pas si sûr. Beaucoup trop de carriéristes, de démagogues habiles, prompts à trouver les ficelles pour avantager leur famille ou leur clan. Ceux-ci maintenant ont sauvé leur peau !.

A qui la faute, tout ça ? Les analystes ces dernières années ont tous surenchéri les uns les autres, tentant de trouver un coupable à la crise.

La crise ! C’est à mourir de rire. Voilà bientôt 80 ans que la crise est au premier plan. Une crise se caractérise pourtant par son accès aigu et temporaire. Je suppose qu’on s’est simplement habitué à appeler ainsi les choses, pour masquer notre embarras.

Comme on appelait l’année 1940 la drôle de guerre !

Peut-être aurait-il fallu nommer notre époque la drôle de paix ?

 Mon père m’a raconté la crise du pétrole de 73, avec ces autoroutes totalement vides de voitures. A bien y réfléchir, c’est à partir de là que les choses ont commencé à mal tourné.

Cette année là, le président Nixon a permis aux etats-unis de s’affranchir de l’étalon or, et de permettre au pays de régner désormais en maître, à la fois joueur et banquier du monopoly international qui se mettait en place. Le pays pouvait désormais vivre à crédit, sur le dos de la planète. Le scandale du watergate et de ses micros cachés n’est rien à coté de celui-ci. Les économistes ont pris définitivement la main sur les politiques, qui sont devenus rapidement les valets du marché, légitimant toutes les mesures d'austérité et le partage inéquitable des richesses.

En France, monsieur Pompidou, ancien directeur général de la banque Rothschild, et président de la république depuis 69, a interdit par une loi à la banque de France de faire crédit à l’état ( l’article 25 de la loi 73-7 du 3 janvier 1973 appelée loi Rothschild). Etat qui devra désormais emprunter aux banques privées, à des taux nettement moins avantageux qu’auparavant, puisque l’état se subventionnait alors lui-même, en battant monnaie.

C’est à partir de là que la dette de la France va exploser. 

  Tout le jour j’ai vu passer devant ma porte des cohortes de réfugies, ceux qu’on appelle les expulsés, et qui sont tous maintenant comme autant d’apatrides. Apatride est un mot je le sais non politiquement correct, car même le mot politique est devenu interdit, susceptible d’entamer des poursuites judiciaires, pour incitation au désordre public. Seuls les mots de l’économie ont le droit de cité. Ce sont nos seules lunettes, pour expliquer et rationnaliser les choses. Les citoyens sont devenus les clients d’un état qui est devenu simplement une grande entreprise multinationale. Voilà une chose que les gens ont fini par admettre, à force de flatter leur propre capacité d’entrepreneur, une façon élégante pour leur dire qu’ils n’avaient qu’à se démerder.

 Et sans se douter qu’un jour on pourrait les foutre à la porte de leur propre pays !

Trois injonctions ont été donné par les bailleurs, nous sommant de rembourser notre dette dans les plus brefs délais, ou de déguerpir, en laissant les clés du pays sur la porte !

 Ils semblent tous accepter leur sort, comme s’ils étaient coupables d’un mauvais choix. Ils vont droit devant eux, même pas révoltés, terriblement honteux de leur situation. Et je me souviens de cette vieille émission TV, qui s’appelait le maillon faible, et dans lequel le groupe s’accordait pour éjecter le bouc émissaire, rendu coupable de ne pas être assez malin et compétitif.

 Toute la violence de la société exorcisée par un transfert, avec la complicité des victimes.

Déjà, dés cette époque, le vers était dans le fruit !

 Mais qui, il y a encore à peine vingt ans, aurait pu soupçonner une telle décadence ?

Où sont-ils, tous nos brillants analystes, chantre de la mondialisation ? J’aurais beau hurlé ma question à tous les vents, parcourir les plateaux de télévision déserts, je sais bien que je ne trouverais personne pour me répondre.

 Il y a bien quelques ilots de résistances, des squatters comme moi qui se barricadent chez eux, attendant la suite des événements, après avoir déchiré la lettre d’injonction notarié leur disant qu’il n’avait plus que huit jours pour partir, quitter ce pays qui était auparavant le leur, et qu’en cas de refus il s’exposait aux conséquences….Sans les nommer. Ce qui ouvre la porte à tous les phantasmes et aux spéculations les plus affreuses. Car le tableau général offert par le pays ressemble à celui d’une maison qu’on vient de vider et qui attend ses nouveaux occupants.

 Juste cent ans après l’exode de 40, en voilà un autre. Et même pas de général De Gaulle à l’horizon de Londres !

 Je sais

  Sans doute n’aurait-il pas fallu céder.

Ne pas laisser vendre l’hôtel de la Marine !



11 réactions


  • jpm jpm 24 février 2011 12:47

    Bel article... et bel exemple d´indignation. On dirait du Stéphane Hessel smiley Mais maintenant, qu´est ce qu´on fait ? Une petite proposition pour remédier à tout cela ?


  • dawei dawei 24 février 2011 15:45

    l’hotel de la marine, mais il est déjà vendu depuis un petit bout de temps le paquebot !
    http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2009-05-01/front-national-le-paquebot-vendu-aux-encheres/917/0/339827


  • Leplat 24 février 2011 15:51

    Rassurez vous, l’Hôtel de la Marine n’est pas à vendre. Il a été question de le louer mais la Marine ne veut pas décamper et fait tout pour rester dans ses boiseries dorées au frais du contribuable. Résultat : une commission présidée par Valéry Giscard d’Estaing va enterrer tout projet.

    On peut être sur de crever sous le poids des dettes avant que l’Etat ne bouge !


    • karpediem karpediem 24 février 2011 17:43

      MERCI à l’auteur et bravo pour votre style !!

      @LEPLAT, comment comprendre votre réaction : dommage que n’argumentiez en rien et puissiez supposer que VGE ( à quel titre ???) puisse annuler ce projet. C’est bien regrettable.  smiley


  • mclerc 24 février 2011 16:54

    Mais, cher ami, il fallait gueuler quand ces connards de « goche » dépensaient le fric sans compter puisque c’était à crédit ! Et, maintenant, il faut commencer à payer ... bien sûr. Et ça vous gêne ? Et c’est la faute à Sarkozy, ce pelé, ce galeux, qui n’en fait jamais d’autres ! Plus tard, vous le regretterez le Sarko, mais alors vous aurez Ségolène et, avec elle, ça ira mieux, bien mieux.


  • Robert GIL ROBERT GIL 24 février 2011 17:13

    L’argumentation de la dette publique n’est qu’un prétexte pour justifier de nouvelles privatisations. Un gouvernement qui baisse les impôts des plus riches et qui multiplie les cadeaux sans contrôle ni contrepartie, ne peut s’étonner de la hausse du déficit de l’Etat. Plus de 45 milliards d’euros transitent chaque année des finances publiques vers les caisses des banques ou des individus qui détiennent des bons du trésor. Voir cet article pour comprendre l’arnaque de la dette publique...

    http://2ccr.unblog.fr/2010/10/16/la-dette-de-la-france/


  • TSS 25 février 2011 00:36

    l’hotel de la Marine n’est pas vendu ,il est loué par un bail amphitheotique de 99 ans !

    Qui se rappellera dans 1 siècle qu’il n’etait que loué ?


  • ARMINIUS ARMINIUS 25 février 2011 08:36

    Ouf, j’ai cru qu’il s’agissait de la propriété des Le Pen, héritée d’un frontiste fils de famille, un peu fin de race et alcolo grave.Tout va bien pour eux contrairement au « paquebot » siège du FN qui lui a coulé, les cloisons financement étant devenues étanches entre les deux entités.
    Comme quoi les gars de la Marine ne sont pas tous logés à la même enseigne (de vaisseau ?)


  • lloreen 25 février 2011 10:01

    Le propre de l’argent-dette, c’est à dire l’escroquerie érigée en système de gouvernement c’est justement d’échanger de l’argent virtuel (billets) contre des biens matériels.


  • lloreen 25 février 2011 10:03

    Vous croyez que c’est un hasard si tous les tyrans qui se débinent (c’est un virus ces derniers temps...) partent avec un stock d’or ?....Les billets, c’est pour leurs larbins, l’or c’est pour eux....


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