samedi 24 septembre 2022 - par C’est Nabum

Le roi de la Bourde

 

Berlaudiot, coursier de Loire.

 

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Le pauvre Berlaudiot, garçon fort sot au point qu'il était impossible de lui confier une tâche digne de ce nom sans encourir une catastrophe, était la risée de toute la contrée. Toutes les tentatives se montrèrent infructueuses pour le mieux, calamiteuses la plupart du temps. Pourtant, il s'est trouvé des plus aventureux, pour tenter l'impossible en lui confiant une fûtreau, un bateau léger pour aller sur la Loire afin de rendre ainsi de menus services dans le pays.

Il se trouve que notre bredin, tout idiot qu'il était, avait une connaissance intime de la rivière et un art consommé de la navigation à la bourde, une forme de don du ciel pour un malheureux fort dépourvu en matière de qualités. Ses camarades du reste, non sans ironie, disaient toujours à la cantonade : « Pour la bourde, c'est un expert. Il n'a pas son pareil pour la manier ou en commettre ! » Naturellement, le gentil benêt ne saisissait pas l'ironie de la saillie, ne prenant toujours les choses qu'au premier degré.

On lui avait donc confié un bateau afin de rendre gracieusement menus services à qui le solliciterait tout en sachant qu'il convenait de prendre moult précautions quant à la demande formulée. Mieux valait d'ailleurs l'accompagner pour s'assurer qu'il ne comprenait pas tout de travers. Pour un gars, la plupart du temps, chargé de servir de passeur d'un bord à l'autre de la rive, on ne pouvait mieux dire. L'essentiel était qu'il fut occupé là où il risquait le moins de provoquer une catastrophe. C'est du moins ce que les gens de ce bourg espéraient

Tout pourtant prit des allures qui auraient relevé de la farce si tout ceci n'avait été que galéjade ou facéties oiseuses. Prenez donc la peine d'embarquer avec moi sur le bateau de Berlaudiot. Tout ceci n'est malheureusement que l'exacte vérité, parole de bonimenteur.

Notre gentil garçon, habitué jusqu'alors à transporter des gens se vit un jour solliciter pour un service inhabituel pour lui. Le pêcheur de l'endroit lui demanda de pousser un peu plus loin son trajet habituel afin de porter des poissons vivants pour l'élevage qui avait ses bassins à un peu plus d’une lieue en amont.

L'affaire fut rondement menée pour ce garçon fort habile dans l'art de remonter le courant. Hélas, quand il arriva à destination, les poissons avaient rendu l'âme pour peu qu'ils en possèdent une. Notre pauvre crétin ignorait que son fûtreau fut aussi une bascule munie d'un vivier pour cet effet. Le pisciculteur de le sermonner vertement et de lui expliquer qu'il convenait d'enfermer les animaux dans la trappe destinée à cet usage. Le niaiseux promit de retenir la leçon.

Quelque temps plus tard, il eut à nouveau une demande animalière. Il avait pour mission d'emporter des volailles pour le marché du lundi. Le paysan ayant trop à faire pour se charger lui-même de cette course. Notre gentil garçon, toujours serviable accepta de s'en charger …

Pour son malheur, les bêtes ne supportèrent pas la claustration dans la bascule et se noyèrent toutes dans la panique qui fut la leur. Livrer ainsi des poules mouillées et sans vie ne fut pas du meilleur effet tandis que la femme du fermier, chargée de la vente, lui expliqua que la prochaine fois, il n'avait qu'à les attacher avec une ficelle aux pattes et les laisser sur le pont. Berlaudiot fit promesse de s'en souvenir à l'avenir.

Pendant un certain temps, il n'eut qu'à faire office de passeur, activité dans laquelle il excellait tout particulièrement. Les gens d'ici avait oublié les deux mésaventures passées quand survint la foire primée. Cette fois c'est un troupeau de moutons qui lui fut confié, un jour de hautes eaux. Nul ne s'inquiéta pour ce marinier émérite, il était capable de dompter les flots tumultueux de l'heure.

Le pas malin tenta de se souvenir du dernier conseil. Il attacha ses moutons par les pattes afin qu'ils ne s'envolent pas tout en se gardant bien de les enfermer dans la bascule. Persuadé d'avoir appliqué comme il fallait les conseils précédents, il se lança dans la traversée. La rivière grondait, il eut grande peine à trouver une bourde à la bonne longueur pour prendre appui sur le fond. Pire encore, il n'avait plus le moindre repère pour accoster sur l'autre rive, tant les eaux venaient lécher des berges habituellement au sec.

Par malheur, il posa son fûtreau sur un bac de pierre recouvert par la Loire qu'il ne vit naturellement pas. Lorsqu'il descendit de son bateau pour l'amarrer convenablement afin de descendre les bêtes entravées, son poids fit basculer l'embarcation de telle manière que les moutons roulèrent dans le puissant courant. Incapables de se mouvoir, les pauvres caprins périrent de la plus horrible manière.

Berlaudiot avait encore commis l'irréparable mais comment le lui reprocher ? Personne ne songea à lui donner de conseil, le mieux était de ne jamais lui demander un service en dehors de la présence du quémandeur. C'est ainsi qu'il continua de servir de passeur, uniquement pour les gens et ceci sans le moindre incident, durant toute son existence.

La seule exception notable fut cependant le transport d'un brave mulet que parfois il changeait de rive, suivant la nécessité de ceux qui en avaient besoin. Mais là, nulle inquiétude, Berlaudiot était en quelque sorte en sympathie avec l'animal à qui jamais il n'arriva malheur. Il se murmure du reste que c'était uniquement lors de ces voyages que notre gentil crétin, tenait grande conversation avec son passager à moins que ce ne fut le passager qui lui donnait des conseils. Nul n'a tendu l'oreille pour démêler ce mystère.

Berlaudiot, qui n'était pas si sot qu'on veut bien le dire, continua de remplir son ouvrage, utilisant toujours le vivier pour y garder au frais une ou deux bouteilles de sauvignon qu'il ne manquait jamais de partager, uniquement avec le mulet du reste. Tout ceci pour vous dire, que malgré sa réputation, il avait parfois de la suite dans les idées !

À contre-ordre.



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