vendredi 7 mai 2021 - par C’est Nabum

Les trois petits cochons…

 

 Ce monde est trop injuste.

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Un verrat un jour convola avec une truie. Une belle histoire d'amour qui trouva son aboutissement dans la naissance de trois petits porcelets, mignons à croquer. Les autres couples se gaussèrent d'une portée si petite, dans l'espèce, il était de coutume de donner naissance à une flopée de bambins. La truie s'en moquait éperdument, elle savait qu'elle allait pouvoir mieux se consacrer à leur éducation. Il était d'ailleurs grand temps que ces congénères pensent elles aussi, à la régulation des naissances. Quant à papa verrat, il se doutait que les moqueries provenaient encore d'une entourloupe provenant des humains, si prompts à se payer la tête des cochons.

Il se mit en quête de comprendre ce qu'il y avait de si drôle dans la naissance de trois petits cochons. Il devait y avoir un loup, mais comment le savoir quand on ne dispose pas de la télévision dans la porcherie. Vraiment, l'éleveur était fort mal nommé, nul souci d'éducation dans son travail, la simple volonté d'un engraissage forcené. Le couple décida de mettre les bouts, fuyant dans le même temps les moqueurs et le gaveur.

La petite famille prit la poudre d'escampette un jour de contrôle vétérinaire. Une opportunité qui ne se présente pas souvent, il fallait la saisir. Les gamins avaient déjà le jarret ferme, ils pourraient tailler la route sans problème. Le verrat qui était un remarquable reproducteur avait eu le privilège de quitter maintes fois l'exploitation pour aller saillir contre son gré, des femelles isolées dans des fermes sans mâle. Et dire que ce sont les humains qui nous traitent de gros cochons, se serait dit en aparté ce pauvre géniteur malgré lui.

Il avait repéré quelques chemins de traverse, des sentiers qui longent la grande route à l'abri des regards. Il prit la tête de l'expédition tandis que sa truie fermait la marche pour voir si les petits ne se prenaient pas les pieds dans des obstacles. C'est à la queue leu-leu qu'ils progressaient ainsi pour gagner le maquis. Mais si pour un animal ordinaire, se suivre ainsi ne pose aucun problème, pour les cochons il en va tout autrement. Ils avaient la fâcheuse tendance de tourner en rond et sur eux-mêmes à cause précisément de la forme de ladite queue.

Comprenant le péril, maman truie conseilla aux petits de marcher côte à côte. Une bonne solution qui s'avéra particulièrement efficace. Ils purent ainsi griller les étapes et se trouver au plus vite en territoire sécurisé. C'est alors que débuta la lente éducation des petits en qui les parents voyaient les futurs nouveaux prophètes d'une révolution porcine. Ils fondaient en effet de très grands espoirs en ces gamins à la tête bien faite et aux oreilles attentives.

La mère se chargea des cours de maintien. Elle enseigna à ses rejetons un port de tête altier, une diététique irréprochable pour ne pas faire trop de lard, une hygiène corporelle exemplaire pour repousser les remarques dégradantes de ceux qui vont debout sur leurs pattes arrière. La cuisse légère et la tête bien faite dans un corps sain, tel était l'esprit de cette éducation.

Monsieur mit en garde les petits sur le vocabulaire qu'il importait de ne pas mettre entre toutes les gueules. Ainsi les adjectifs : « Gros -Vieux - Sale » furent prohibés. Des expressions furent elles aussi mises au ban : « Tour -Tête - Saigner - Manger ». Les petits apprirent désormais qu'ils avaient acquis un peu de culture qu'il fallait qu'ils se revendiquent Porc pour prendre le large et s'octroyer de la distance vis à vis d'une réputation parfaitement injuste.

La Truie se chargea de la dimension spirituelle de la formation de ses petits porcelets. Elle les mit en garde contre les superstitions qui collaient à la peau de leurs congénères. Elle leur inculqua les valeurs de la tolérance et l'ouverture d'esprit. Elle leur enseigna la mythologie de la Grèce Antique, une connaissance que doit maîtriser tout cochon qui se respecte.

Le Verrat pensa nécessaire de leur donner les rudiments de l'art culinaire, pensant ainsi leur éviter de se retrouver sur le grill. C'est en virtuose de la chose qu'il les initia à la cuisine végétarienne, seule garante de leur tranquillité future. Ils se firent du reste tous trois les plus grands spécialistes des préparations à base de truffes tant ils avaient l'odorat développé.

Un jour vint où les deux parents pensèrent qu'il était temps de laisser partir leurs petits qui étaient devenus grands et savants. Ils savaient qu'ils allaient se faire du mauvais sang, que l'aventure pouvait tourner en eau de boudin mais c'était là le risque à courir et l'incontournable loi de la nature. Ils quittèrent le maquis pour tenter de conquérir le monde.

Bien mal leur en prit. Les humains étaient sur les dents, ils connaissaient une de ces terribles disettes qui troublent leur capacité de raisonnement. En dépit des cris de protestations des trois malheureux porcs, ils passèrent à la casserole sans autre forme de procès.

Quand les parents apprirent ce terrible épilogue, ils en perdirent le goût de vivre. Ils allaient dépérir quand la pauvre mère eut une idée pour que jamais ne se reproduise pareille horreur. Elle lança sur le réseau une campagne médiatique, créa un hashtag et fit la Une des médias. Bientôt des millions d'animaux suivirent son initiative et tous se joignirent à elle derrière ce slogan porteur de la rébellion animale : « #Dénonce ton humain ! ».

Il n'est pas dit que le monde fut meilleur pour autant, il en gagna cependant en sérénité.

Porceletement leur.



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