jeudi 21 octobre 2021 - par C’est Nabum

Les valeureux invités du ponton

 

Il y flotte comme un parfum de privilège

 

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Il n'est désormais plus possible lors d'une manifestation d'échapper au phénomène de caste. Il y a le commun, les cochons payants, les gueux du petit peuple qui ne disposent pas de coupe-files, de cartons d'invitation et de privilèges quelconques et les seigneurs fréquentant le sommet de la pyramide sociale qui quant à eux, se refusent à côtoyer les premiers.

Toutes les structures ségrégatives sont envisagées pour parquer les uns et offrir le meilleur aux autres, loin de cette foule inquiétante, bruyante, malsaine. L'imagination en ce domaine est féconde, de la loge au ras du spectacle, avec barrières de protection, sièges confortables et menus services en sus, au balcon capitonné, sorte de véranda suspendue dans laquelle coule à flot le champagne tandis que l'alcool est prohibé dans les gradins plus bas.

Il y a encore les fameuses rangées de fauteuils réservés dans les salles de spectacle où ceux qui ne paient pas leur place ont le bonheur d'être les mieux placés à la condition qu'ils se déplacent et surtout qu'ils restent jusqu'au terme de la représentation. Pour cela, il convient de leur prévoir une petite réception copieusement arrosée après le baisser du rideau. Si la culture ne les touche guère, leur appétence les incitera à honorer l'invitation.

Le V.I.P. dispose encore de menus avantages qui le place naturellement au-dessus de la mêlée, de ces pauvres gens sentant la sueur et la misère qu'il leur faut absolument éviter. Les organisateurs prévoient tout naturellement un parking pour leur seul usage, si possible le plus proche de la manifestation. Il s'agit là de ne pas mélanger les berlines avec des voitures ordinaires et non le désir de leur éviter des efforts inutiles. Ils ont droit à un accès sécurisé, plus fluide avec des cerbères qui en la circonstance savent se montrer aimables. Loin d'eux l'envie de fréquenter les interminables files d'attente où des gens mal embouchés expriment leur impatience en des termes détestables.

Le V.I.P. n'a pas la même constitution que le contribuable de base. Il doit boire excellent, manger raffiné, être servi sans faire la queue ni rester debout. Il appartient à la crème de la République, cette nouvelle forme de noblesse à laquelle on accède par l'élection, l'héritage ou la cooptation. L'égalité se fracasse devant les attentes de ces nouveaux ci-devant, toujours plus avides de traitements de faveur. Le phénomène a sans doute trouvé son apothéose avec la constitution d'une terrasse flottante, installée sur la Loire, équipée de transats et de tables, pour offrir aux V.I.P. en goguette, après un tour sur la rivière, dans l'un des bateaux privatisés, un espace à l’écart des manants et des vilains, au soleil et sous le regard envieux de la foule des déshérités et des humbles.

Mais cette fois, au lieu de crier à l'injustice, au traitement de faveur, au déni de justice sociale, au retour de l'ancien régime dans la ville du Duc d'Orléans, nous devons nous incliner devant leur courage. La Loire était haute, très haute, le ponton instable, mouvant, sujet aux effets des batillages nombreux. Nos V.I.P., en la circonstance, se muèrent en valeureux invités du ponton, mettant en danger leur existence pour montrer au peuple, en sécurité sur le quai, combien il est difficile et risqué de bénéficier de mesures d'exception.

Nous devrions nous extasier devant leur courage et cette abnégation à vivre ainsi une expérience qui se généralisera peut-être au commun et à la plèbe, l'édition suivante. Fort heureusement, aucun n'a chaviré dans les flots, n'a connu l'humiliation de sombrer dans la Loire (à défaut du ridicule) devant la foule aux aguets. La terrasse flottante sur ponton instable a en tout cas démontré la fragilité de nos démocraties et sa lente et inexorable dérive vers une monarchie de la finance et des élites.

Gloire à ces êtres d'exception qui sont soigneusement préservés des saillies honteuses d'un bonimenteur infréquentable. Le ponton flottant est un havre de paix, dangereux certes, mais bien moins que les propos séditieux de cette canaille, indigne de divertir cette noblesse ligérienne.

Irrespectueusement leur



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