jeudi 28 novembre 2019 - par C’est Nabum

Ma déclaration

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Sans exonération.

Elle est mon trésor, ma perle, mon joyau. Je ne peux garder plus longtemps ce secret qui taraude mon cœur, trouble mon esprit tout autant qu’il bouleverse mon existence. Il me faut le faire savoir au monde entier, car c’est ainsi désormais que se jouent les émois de l’intime. La toile, qui jadis enfermait pudiquement les amants dans leur lit à baldaquin, exige une transparence qui frise souvent l’indécence.

L’envie irrépressible de lui déclarer ma flamme s’impose. Qu’importe les risques, le qu’en dira-t-on, les regards des amis et voisins, la terre entière doit savoir combien je l’aime. Je me lance, j’ose d’un seul clic, annoncer à qui voudra bien le lire, que j’éprouve une passion folle pour une gente dame, que sans vergogne, j’expose par un cliché indiscret.

Mon geste n’est pas sans conséquence. La vérité ainsi exposée, le retour de bâton est immédiat. Je regrette déjà ce secret qui me brûlait les doigts. Le clavier n’est plus mon cher complice qui me permettait en toute discrétion de lui avouer mon amour sans que nul ne le sache. Désormais, je ne peux plus dissimuler ce que maladroitement, j’ai exposé. Je suis pris au piège d’une société parfaitement impudique.

J’attends des réactions de mon entourage. J’en suis pour ma peine, personne ne bronche, chacun pensant que c’est l’une de mes nouvelles facéties. On ignore superbement cet aveu que je ne pouvais contenir plus longtemps. Viennent-ils seulement lire mes écrits sur cette face de bouc qui me fait devenir chèvre ? Je n’en sais strictement rien.

La belle à qui le message était destiné s’exonère elle aussi de répondre ou plus simplement de glisser un cœur en guise d’acceptation. Je suis déconfit, parfaitement désappointé. J’ai pris un risque sans le moindre résultat si ce n’est que passer pour un guignol auprès des gens raisonnables, ceux qui ne s’aventurent jamais à exposer leur intimité sur ce maudit réseau asocial.

Soudain, cependant, une réaction vient changer la donne. Ma déclaration a été prise en compte par les gendarmes de la toile, ces espions à la solde de l’administration fiscale. Un moteur de recherche a repéré les mots déclaration, trésor, joyau. Il n’en fallait pas plus pour déclencher la terrible mécanique répressive. Je suis maintenant en proie à un redressement, non pas une réaction intime provoquée par une passion folle, mais bien à une mesure vexatoire tout autant que largement pécuniaire.

Le percepteur veut connaître les dessous de la chose, il inspecte, « introspecte », demeure circonspect devant mes multiples dénégations. Il se montre dubitatif quand je lui explique qu’entre elle et moi, ce n’est pas une affaire d’argent. J’ai beau mettre la main sur le cœur pour jurer mes grands dieux que ce n’est qu’une histoire d’amour, la passion que voue ce personnage pour la transparence fiscale et le trésor public a raison de mon compte en banque.

Je suis mis à découvert sans vergogne. Mon crédit change de couleur, me voilà débiteur. L’administration me fait cracher au bassinet, je me retrouve la bourse vide, sans espoir de me refaire la cerise. Ma belle, me voyant ainsi sans ressource me tourne impitoyablement le dos. Elle me sait sans le sou, garde ses dessous pour un autre, qui saura se montrer moins imprévoyant. Le rideau tombe sur mes espérances folles !

Je retiens la leçon. Jamais plus je ne me hasarderai à la plus petite déclaration en public. Il est des mots à éviter. Proclamez votre passion si ça vous chante, affichez-la sur le net qui prend tant de cœurs dans ses rets, mais de grâce, évitez les mots trésor et joyau, perle et diamant, la vigie fiscale veille au grain sans pitié.

Confusément sien.

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