Peut-on rire de tout ?
Saillie ou insémination
Un grand homme vient de mourir. Tout le monde médiatique bruisse d’éloges et de commentaires tous plus flatteurs les uns que les autres. Il est vrai que personne n’a été surpris de la triste issue ; chacun avait pu fourbir son discours hagiographique tandis que les gens de la rue réagissaient avec leur cœur, ce qu’ils font toujours dans pareil cas.
Dans ce concert unanime, est-il possible de glisser une plaisanterie comme le fit jadis l’hebdomadaire satirique Hara-Kiri avec son impertinent « Bal tragique à Collombey : 1 mort ! » ? J’ai le sentiment que les frères Kouachi ne se sont pas contentés de briser les vies de deux policiers et des quatre dessinateurs de presse de Charlie-Hebdo : Cabu, Tignous, Wolinski et Charb, ils ont également assassiné l’esprit de dérision dans ce pays.
J’ai eu le malheur d’écrire une petite farce pour rompre avec cette litanie insupportable de commentaires mielleux bien plus que respectueux. Pour rester dans l’esprit de ce personnage dont l’humour était pourtant légendaire, j’ai écrit le rouge au front :
« Une rumeur circule entêtante depuis hier midi. Le prochain salon de l'Agriculture du 22 février au 1 mars 2021 serait annulé en hommage au défunt Président Chirac. Outre l'immense deuil dans le monde agricole, une pétition circule parmi les taureaux reproducteurs sur la manière déplacée dont certains de ses successeurs ont de leur flatter la croupe. »
C’est d’un parfait mauvais goût je vous l’accorde mais aucune attaque contre celui qui a tiré sa révérence. Bien au contraire, un clin d’œil discret sur sa capacité à comprendre le monde agricole lui qui fut député de Corrèze tandis que les suivants se sont contentés de l’imiter sans rien y entendre. L’homme à l’humour piquant aurait ri de cette saillie qui relève il est vrai de l’insémination.
Mais voilà, la bien-pensance agit désormais comme un rouleau compresseur, une manière d’être qui ne suppose plus aucune fantaisie. En dépit de la multiplication des espaces de communication, celle-ci doit impérativement rentrer dans les clous sinon vous êtes joyeusement étripé par les pisse-froids et autres scrogneugneux, toujours prompts à tirer sur ceux qui dérogent à leur morale de compassion.
Baissez la tête, rangez-vous derrière le troupeau bêlant, plus aucune dérive ne sera tolérée dans ce monde étriqué et privé désormais de l’esprit guêpin. Humour, dérision, ironie, satire sont des formes qui ne sont acceptées que si elles touchent les petits gens ou se focalisent sous le dessous de la ceinture. Avoir de l’esprit n’est plus à l’ordre d’un jour nouveau et martial. On obéit à l’injonction moralisante ou on se tait.
Je ne retire rien à cette modeste plaisanterie et je conchie joyeusement ceux qui se sont étranglés d’indignation à sa lecture. Le persifleur ne pouvait rester de marbre dans cette avalanche de propos dithyrambiques qui à force d’unanimité finissaient par ne pas rendre compte de la complexité d’un défunt, drôle, gouailleur, subtile, contradictoire, maniant lui-même l’auto-dérision.
Les guignols auraient-ils été interdits d’antenne ce jour-là ? On peut le craindre tout en comprenant pourquoi justement cette émission a été retirée de l’antenne. Sous des allures de démocratie, nous sombrons dans une dictature de la pensée et il y a lieu de s’étrangler en avalant un trognon de pommes.
Je n’ai ni manqué de respect à sa mémoire ni outragé ses proches. Je me suis contenté d’évoquer ce qui fit sa réputation et en partie sa grandeur. L’homme d’immense culture asiatique qu’il était, aurait peut-être ri jaune à ce trait d’esprit mais ne s’en serait pas indigné. Il me fallait répondre à mes fidèles contempteurs, une fois encore, ils n’ont rien compris.
Humoristiquement vôtre.