mercredi 11 août 2021 - par arax

Prague Inter (27/10/1983) Le telefoničko sonne : « L’épidémie américaine : ce que l’on sait. »

Pour une meilleur compréhension de la réalité tchécoslovaque et de cette seconde émission il est conseillé de lire auparavant : Prague Inter (21/08/1969) Le telefoničko sonne : « un an après, quelle normalisation ?  »

 

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Zelena Posta

 

Ceci est une parodie

 

- Bonsoir à tous et toutes, vous écoutez Radio Prague Inter(national) en français et ce soir au Telefoničko sonne nous allons débattre de la situation sanitaire préoccupante face à cette épidémie venue des États-Unis d’Amérique, le SIDA, Syndrome Invertisseur Décadento-Américain, pour ne pas le nommer. 

 

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virus HIV

- Bonsoir, Fabianka Sintesová , nous saluons nos auditeurs francophones qui seront ravis d’apprendre que la Tchécoslovaquie, toujours en pointe - regardez une carte - a d’ores et déjà pris des mesures pour circonscrire cette épidémie inédite.

- Toutafé Klaroučka Servajanová, et pour débattre de ce que l’on sait, de ce qu’on devrait savoir et de ce que nous saurons bientôt, nous avons invité Lazare Varanek, adjoint-chef au sous-secrétariat du département des maladies infectieuses du ministère de La Santé ; Fiona Pikouzová, infirmière en chef à l’hôpital de Pilsen ; Gustav Retrohrad, pharmacien homéropathe, ancien ministre de la Santé et président d’honneur de la Slovensko-Česko-Sovietská Lekárničká Fundacia ; Erik Zamourček, éditorialiste dans le quotidien Sanitaro, pour qui l'Allemagne revancharde et sudétiste se cache derrière ce virus sorti de l’autre côté du garde-fou socialiste ; le professeur Dud’iar Rahouč, directeur régional du SZUT, Státní Zdravotní Ústav Trnavy (Institut National de la Santé de Trnava), et enfin František Behrů, secrétaire général du Parti Démocrate Socialiste (PSD), et, depuis 10 jours, vice-ministre en charge de l’industrie recyclo-gummicole en Moravie et notre habituelle caution de pluralité politique, ce soir, tout comme hier ou demain. »

- Avant de prendre un tout premier appel au standard, Camarade Retrohrad - puis-je encore vous appeler Monsieur le Ministre ? - vous qui avez un aperçu sanitaire de ces dernières décennies, pouvez-vous nous faire un petit rappel historique concernant ce… cette pathologie yankee ?

- Certes, La maladie s’est révélée, selon nos sources, il y a environ deux ans en Californie, dans le ghetto des moustachus, bien connu sous le nom de “Village Popaul”. Comme il y a peut-être des enfants qui nous écoutent en buvant leur verre de lait vespéral, je ne rentrerai pas dans les détails ; sachez simplement que la perversion capitaliste s’y déploie en toute quieutude. Et bien sûr, aucune prophylaxie, sauf quelques casquettes en cuir, bien inutiles présentement.

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Village People 1978

- D’accord, mais avons-nous affaire à une bactérie capitaliste ? Un virus anglo-saxon ? Un microbe du Vatican ou bien à un champignon titiste ? Monsieur Retrohrad, votre opinion ?

- Nous nous grattons encore la tête, voyez ces rougeurs sur mon crâne dégarni, puisque la cause n’en est pas claire. Cependant, à ces personnes déviantes, notre fondation propose une pommade miracle à l’eucalyptus du Šumava et au saindoux dégraissé, à s’appliquer dans le fondement, matin et soir, et je vous l’assure, apres l’avoir essayé moi-même, cette crème n’a aucun effet secondaire connu. Je l’ai baptisé le SlowVaks.

- Ce remède, le… heu…comment dites-vous ? Le KlowWasser... sera-t-il aussi disponible aux États-Unis ?

- Le SlowVaks !? Ecoutez, la Croix-rouge tchécoslovaque affrète aujourd’hui même un Iliouchine 62 de la ČSA à destination de Cuba. Ensuite, l’acheminement vers Miami, New York ou San Francisco est du ressort des autorités états-uniennes…

- Quelle fierté d’être tchécoslovaque et d’être parmi les premiers à combattre cette épidémie, en empoignant le mal à la hampe !

- Nous allons prendre une première question. Allô, bonsoir, présentez-vous !?

- Bonsoir Camarades, bonsoir Madame Fabianka, je m’appelle Lukaš Ottokar-Ferryž, arrière-arrière-petit-fils de l’inventeur de l’arrière-train de l’armée Austro-Hongroise. Arrière-train qui eut une importance décisive dans la retraite élastique et coordonnée des troupes lors de la célèbre déf... bataille de Sadowa, en 1866

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Philosophe du dimanche

- D’accord, Monsieur… Monsieur Blablakar-Ferryž, votre arbre généalogique est passionnant, mais quelle est votre profession ?

- Je m’occupe d’un stand de tir aux canards jaunes, à la foire du Faubourg Saint Matěj. Mais, hors-saison, je donne des cours de philosophie aux pigeons sur le Pont Charles.

- Et donc, votre question ?

- Voilà, je suggère que l’on interdise purement et simplement les mauvaies nouvelles. Pas de mauvaises nouvelles, bonnes nouvelles. Ne parlons plus de déviants, d’invertis et vogue la péniche socialiste sur la Vltava (Moldau)…J’ai tout bon, là ?

- Je vois le camarade Zamourček du Sanitaro qui s’agite sur son fauteuil ; vous désirez répondre à ce monsieur ?

- Non-non-non et non ! Nous faisons fausse route, keuf ! keuf ! keuf ! Excusez-moi, j’ai un schwartzkatze en travers de la gorge ; oui, je vous disais, rien ne sert de nier l’invasif ou de se pommader la bien-pensance ; le problème est au contraire de nommer les choses, de voir d’où vient cette agression sanitaire ! Par où rentrent les idées perverses et permissives en Tchécoslovaquie ; hein ? Je vous le demande ? Par les frontières teutonnes, bien entendu ; et dedans j’inclus la frontière autrichienne qui, comme chaque Slovaque le sait, se trouve à un rebond de Škoda des faubourgs de Bratislava. Ne voit-on pas, à la faveur de la soi-disante détente avec l’Ouest, des autocars Mercedes, pleins de moustachus en culotte de peau à bretelles, faire une excursion d’une journée, pour soit-disant visiter les beautés naturelles ou architecturales de notre beau pays, alors qu’en fait, ils mitraillent, photographiquement parlant, les postes frontières et blockhaus... qui sait ? en prévision d’une future invasion de l’OTAN... Mais surtout, ils profitent de ce bref séjour, pour assécher nos brasseries et s’encanailler dans d’innommables bouges sodomites forestiers, tenus par des membres de leur communauté, qui, déguisés comme des danseurs de Polka, n’ont malheureusement pas été expulsés avec les autres en 1946. De sodomite en ghom...gummis, on descend ainsi des Monts de Bohême jusqu’à Prague, où de nombreuses boîtes de nuit diffusent cette musique de sauvage, dénommée “disco”, et où les invertis teutons se vautrent dans des actes totalement immoraux, diffusant toujours plus de contamination dans le bon peuple tchèque qui, naïf, ignore encore l’étendue de la corruption germano-bourgeoiso-capitaliste !

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Sanitologue

- Mouiii... Avant de prendre un nouvel appel et ensuite d’entendre le camarade Varanek, qui, pour cause d’état d’urgence sanitaire, n’a pu venir dans notre studio, nous voudrions écouter la camarade Pikouzová, qui vient tout juste de nous rejoindre après son service nocturne de 12 heures à l’hôpital de Pilsen. Madame, quelle est la situation du syndrome américain dans votre établissement ? Y a-t-il de nombreux cas ? Sont-ils hospitalisés dans un service distinct ? bactériologique ? Quelles mesures prophylactiques ont été prises ?

- Pfffiiiouuu. D’abord, je prendrais bien un verre d’eau minérale, car après un court somme de 4 heures, le repas de 11 heures, le linge, la sortie d’école des gosses, les devoirs, le repas de 17 heures, la bière et la saucisse-moutarde du mari, près de 2 heures 45 en train, puis 45 minutes de tram et métro, je dois vous dire que je suis un peu sur les genoux. Ah merci... gloup, gloup, gloup, aaah…Voilà, les malades de la chtouille ricaine, comme on l’appelle chez nous, sont pris en charge dans le département des drogues et alcooliques, au fond du parc, derrière le hangar à ambulances. Douche froide et aspirine trois fois par jour, régime strict sans patates, ni quenelles ; carpe trois fois par semaine ; une saucisse, uniquement le dimanche et sans moutarde, cela va de soi. Nous portons blouse cirée, masque chirurgical et gants en latex, bien entendu. Nous avons présentement trois cas, dont deux depuis la Rentrée. On gère encore la situation, mais nous n’avons plus que deux lits disponibles et ils sont déjà utilisés le weekend par les familles des alcooliques.

- Je vois, ça n’a pas l’air très règlementaire tout ça. Enfin, on imagine que vous faites pour le mieux avec les moyens du bord…

- Nous sortons justement d’une grève de deux semaines pour réclamer plus de moyens, notamment des antidouleurs et des masques. Finalement après séquest… hum… invitation ouvrière d'une matinée du camarade-directeur dans le cellier de la brasserie Urquell, nous avons obtenu gain de cause.

- Nous n’étions pas au courant de cette dure lutte, n’est-ce pas, Klaroučka ?

- Non, Fabianka, et pourtant, chaque matin, nous parcourons le Figaré Pravo, le Mondé Slovo et Liberaciá Fronta à la cafèt de Radio Prague Inter

- Justement, je voulais protester sur le fait que...

- Tutut, vous avez vos masques, donc tout va bien maintenant !?

- Nous avons un mois de réserve et pour le personnel seulement. Ensuite, ces masques au rabais, qui nous ont été fournis en urgence, sont produits en Bulgarie et tout le monde connaît le mystère des voix bulgares après usage intensif de ces mêmes masques en tabac tressé des Balkans… Nous aimerions plutôt nous fournir en masques molletonnés double épaisseur, suédois ou suisses, bien plus efficaces et confortables contre les virus et les microbes…

- Enfiiiin, camarade Fionová, vous savez bien que seuls les masques du CAEM (Conseil d'Assistance Économique Mutuelle) sont homologués en Tchécoslovaquie… Il se trouve que seules la Bulgarie et la RDA (République Démocratique Allemande) fabriquent ce genre de masque. Or, la RDA est en rupture de stock depuis six mois, à cause d’un sabotage à Berlin, par des agents de l’Allemagne ploutocrate…

- Chez nous à Pilsen, il se dit que le précédent Plan quinquennal est-allemand a simplement oublié la fabrication de 5 millions de masques

- C’est du complotisme, ce que vous nous dites-là. Vous savez que selon la nouvelle législation en préparation, vous pourriez être poursuivie pour diffusion de fausses nouvelles pouvant nuire à la sûreté de la Tchécoslovaquie et des Pays frères ?

- Etats soeurs ?

- Hum... bon, Madame Pikouzfinová, la sortie est par là, et nous en profitons pour passer le bonjour à nos auditeurs de l’Ouest. Ouest tchécoslovaque s’entend.

- Je vois que le Professeur Rahouč, s’impatiente depuis un moment en tripotant son stylo-bille Černobik et sa montre Svač… Monsieur le directeur régional du SZUT, qu’est-ce qui vous tracasse ? La situation décrite par la camarade Pikfionouzová est-elle identique dans votre centre de Trnava ? On rappelle pour nos auditeurs que votre institut suscite déjà de nombreuses réserves en Slovaquie, et pas seulement à cause de votre chevelure à la Želená Pošta (groupe slovaque de pop psychédélique) ni de votre chevalière qui n'est guère socialisto-bienséante...

- D’abord, merci de m’inviter sur la radio nationale, car à part une interview sur Radio Hautes Tatras, l’antenne des Carpathistes alpinistes et campeurs, et un bref article dans Pif Gadžet, édition slovaque bimensuelle, (mais pas dans la tchèque, elle aussi bimensuelle), on peut dire que j’ai été plutôt boycotté jusqu’à maintenant !

- Tutut… allons, Professeur, pas d'auto-persécutionisme à deux couronnes ; votre notoriété est étonnante chez nos compatriotes d'Outre-Moravie : depuis les clubs de tennis de Bratislava jusqu’aux salons de danse de Košice, on ne parle plus que de vous. Nous avons fortement hésité avant de vous donner la parole. Vous savez que votre réputation de complotiste anti-socialiste, de conspirationniste pro-autrichien, voire d'agent américano-tiste vous précède…

- Ecoutez, tout ça ce sont des bobards d’Estebaks (agents de la Sûreté d’État) après un apéro-saucisses bien arrosé à la bière… Moi, ce que je vois dans mes graphiques, vous voyez je les retourne dans tous les sens, je les lis même à l’envers, au travers d’une table lumineuse, pour être ne pas être pris en défaut… Donc...voilà, c’est que, certes, épidémie il y a... avec quelques cas probables en Tchécoslovaquie. On n’a pas encore de tests fiables, donc... bon, à partir de là, on extrapole… Moi, c’est pas mon job… Enfin… je veux bien le faire pour vous, si vous me laissez cinq minutes…

- Camarade Rahouč, arrêtez de vous lisser la barbe, c’est terriblement agaçant. Surtout que moi et Klaroučka nous ne pouvons en faire autant.

- En vous entendant, trois célèbres barbus, Marx, Engels et Lénine, doivent se retourner dans leur tombe !

- Hum…bon, Professeur, nous venons d’apprendre, il y a quelques minutes, qu’il y a déjà trois cas à l’hôpital de Plzen. Chez vous, à Trnava, en Slovaquie - je précise pour nos auditeurs étrangers - combien en avez-vous ?

- Écoutez, vous savez les chiffres, ça va, ça vient…

- Mais des lits occupés, vous en avez bien quelques-uns !?

- Ecoutez, chère Madame, chez nous au SZUT, on soigne les gens à domicile avec de la Zamédandlaglycin, un antipyretik diuretik analgesik made in ČSSR ; créé en 1931, chez nous donc, à base de tiges de courge violacée et de colchique tubéreux de Silésie : moins de contamination, moins de frais, aucune grève du personnel et peu d'effets secondaires…

- Mais, comment est-ce possible ? De la Zamédandlaglycin ? Ce médicament de la République bourgeoise d'avant 1948, introuvable en pharmacie et prohibé par la commission de santé socialiste de la dernière assemblée pleinière du CAEM ! Recevez-vous des fonds secrets de Vienne ? Faites-vous de l’import-export clandestin de pilules entre les deux rives du Danube ?

Moi, vous savez je n’y prête pas attention ; tout ça ce sont des ragots de journalistes de la Pravda (principal quotidien slovaque) en mal de sensations. Bientôt, on m’accusera de déterrer des cadavres, tel un nouveau Doktorrr Frrrankenššštejjjn…

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Pan Doktor Raouc

- Vous assumez donc le fait de ne pas respecter les décrets du gouvernement concernant la cht… la pathologie US ? Vous nous confirmez ici, ce soir, sur ce plateau, que vous agissez hors-la-loi en Tchécoslovaquie ?

- Ecoutez, moi ce que je vois, et j’ai ici la Constitution de la République socialiste de Tchécoslovaquie (ČSSR) de 1960, le Code civil, toutes les lois votées depuis la fin de la guerre et même celles d’avant, en vigueur lors de l'authorisation de la Zamédandlaglycin, ce que je vois c’est que, déontologiquement, rien n’interdit nos pratiques et, qu’au contraire, quand se concluera cette épidémie, je compte bien recevoir une ou deux médailles. D’ailleurs, beaucoup de camarades de la jaquette du Comité Central du PCT (Parti Communiste Tchécoslovaque) m’appellent d’une cabine pour consultation discrétionnaire. Ce que je leur dis à tous, c’est que le gummi (capote), c’est pas que pour les aventures d’un soir, mais aussi quand ils rentrent dans leurs foyers. Vous saisissez ? Je vous aurais prévenues, Mesdames. J’espère que quand le SIDA fauchera les premières femmes tchécoslovaques, vous aussi viendrez lécher mes nouvelles baskets italiennes, jaune canari.

- C’ est incroyable Fabianka d’entendre ça, sur Inter Prague, à une heure de grande écoute ! Du complotisme à l'état naturel !

- Toutafé Klaroučka, du conspirationnisme désinhibisé, saupoudré d’un ton narquoix et misogyne. Docteur, vous êtes seul responsable de vos propos, desquels nous nous désolidarisons préventivement.

- L’heure avance, Fabianka, avons-nous un auditeur, une auditrice en ligne ?

- Ouais, c’est Josef de Smichov… Moi franchement, j’sais pas si le chose, le truc il est ploutoricain, albaniais ou croâte de nez, mais j’vais vous dire qu’en tout cas y vient pas des chiens, ma parole ! Parce que l’ autre jour à la téloche, y a un expert, comm’y disent, qu’a dit que cette saloperie de SIAD… [on entend un pet sonore peu discret et probablement malodorant] ce porc SAÏD… enfin ce foutu palindrome, y v’nait p’tête ben des chenils mexicains ; ouais des chiens-ouah-ouah, des mini-chiens, quoi, ceux qu’on peut chourav… heu… ranger dans la poche de son veston. M’enfin, faut pas déc… dire des bêtises, si le machin-truc y vient des chenils, moi je descend de l'Austrohongaropithèque !

- Je crois que notre camarade-auditeur a dû staropramer un peu trop longtemps à la buvette de la gare de Smichov

- Pas du tout, j’suis toujours sobre, moi, ma parole ! Mais j’aime pas qu’on prenne les Tchèques pour des crét… enfin… pour moi quoi !

- Merci et bons vents ! Klaroučka, le discours un peu confus du camarade Josef, nous interpelle cependant : cette pathologie est-elle apparue naturellement à la faveur d’un invertissement accidentel entre chien et loup ou bien a-t-elle été conçue par une officine otanesque ? un possible laboratoire de type PAR12, dissimulé en Californie ?

- Eh bien justement, Fabianka, nous avons le camarade Varanek, en duplex, depuis le Ministère de la Santé … Monsieur Varanek, m’ entendez-vous ?

[bruits de fond avec jets d’eau et enfants qui rient]

Je crois, Klaroučka, que nous avons des petits problèmes techniques…. Camarade Varanek, Monsieur l’adjoint-chef au sous-secrétariat du département des maladies infectieuses, nous entendez-vous ?

[orgue de barbarie dans le lointain, clochette de marchand de marrons, redoublement de cris d’enfants]

- A vrai dire pas très bien, mais maintenant bien mieux.

- Très bien, nous percevons une certaine frénésie autour de vous ; s’agit-il de vos collaborateurs qui préparent un plan quinquennal pour juguler l’épidémie états-unienne ?

- Non… enfin, oui, pas tout à fait… heu… je dicte à ma secrétaire un rapport en 17 exemplaires qui sera adressé au Comité Central du PCT, tandis que mon collaborateur prépare un café cubain pour la nuit… heu… enfin le contraire… bref, ça n’intéresse personne….

[bruit de carillon]

- Tiens, ce clocher me rappelle quelque chose…

- Camarade Zamourček, il s’agit probablement du cloître Na Slovanech qui jouxte le Ministère de la Santé, Place Palacky

- C’est bizarre, je crois me souvenir qu’il ne sonne pas toutes les heures… Non, on dirait plutôt un clocher de l’Ouest de la Bohême… Kladno  ? Most  ? Non plus à l’ouest…

- Camarade Zamourček, on vous sait pointilleux ; voire enficheur de fantacoléroptères ; cependant, il n’est pas ici question de cloches, quoiqu’on nous reproche souvent, à moi et à Fabianka, de sonner faux, mais plutôt de virus…

- Encore plus à l’ouest…

- Vous l’êtes totalement, camarade ! Revenons au camarade Varanek : vous nous disiez que ce virus aurait été créé par la main de l’homme…

- Je ne disais encore rien, mais oui, je mettrai les pieds dans le plat à halušky (spécialité slovaque) : auditeurs d’Inter, ce virus est une création humaine et j’en ai les preuves

- Vous parlez sérieusement ? Les services secrets américains, donc ?

- Je ne peux rien vous dire pour le moment, mais j’ai ici avec moi, une foll...fiole que j’agite présentement devant le combiné téléphonique. Voyez, enfin... l’entendez-vous gicler ? Eh bien, cette fiole contient ce virus – car oui, c’est un virus ! – et il est extrêmement dangereux. D’ailleurs je porte un cache-col et un bonnet avec oreillettes fourrées pour vous parler. Oups… Ježiš Maria

[bruit de verre]

- Allo, Monsieur Lazar...Varanek, êtes-vous toujours avec nous ?

- Do p.č. ! (insulte interslave très grossière visant un organe féminin)

- C’est à nous que vous parlez, Monsieur l’adjoint-chef au sous-secrétariat du département des maladies vénériennes ? Vous parlez présentement à deux camarades de sexe féminin et de genre socialiste et, si nous en croyons nos oreilles, cette grossièreté est une insulte à toutes les travailleuses du Czechs et du Moruave !

- Do severa, à l’ouest, voyons, do severa, plus à l’ouest

- Voilà que le camarade Zamourček déraille encore, Fabianka. Et pas moyen de le débrancher…

- Ca y est, ça y est, j’ai trouvé, Eurêka ! C’est le carillon de Karlový Vary (Carlsbad) !

- Quel cinéma, vous nous faites, Erik Zamourček, puisque vous nous évoquez les sources thermales, allez vous éponger aux toilettes, vous suintez littéralement !

- Ma foi, c’est vrai, j’y vais de ce pas… mais n’oubliez pas : Karlový Vary ! Ha ha ha ! Karlový Vary ! Tralala oh oh oh ! [voix sortant du studio]

- Hum... Nous remercions le camarade Varanek qui a bien voulu nous donner un peu de son… de son temps, en direct de K… heu… du Ministère de la Santé, qui se trouve bien à Prague comme chacun sait, n’est-ce pas, Fabianka ?

- Certainement, Klaroučka, il est toujours utile de le préciser pour nos auditeurs de l’extrême-Slovaquie, qui sont bien loin de la Capitale.

- Depuis l’épisode des salopettes bleues*, Fabianka, nous nous efforcons de réconcilier Prague avec ses banlieues ou ses lointaines provinces, en faisant de l’éducation populaire à chaque instant sur Radio Prague Inter.

Nous sommes fières, Klaroučka, de réconcilier ainsi quotidiennement le peuple avec ses élus, malgré les tentatives des ennemis de l’extérieur et de l’intérieur pour briser l’unité des paysans, ouvriers et fonctionnaires et de saper la confiance entre Tchèques et Slovaques.

Bien, après avoir lu ma petite note faxée par “le Château”, Fabianka, nous allons prendre un der…

- Klaroučka, il me semble que nous avons oublié de laisser intervenir le camarade Behrů, du Parti Social Démocrate !

- Oh pardon, alors puisque nous vous tenons, Monsieur le Ministre nouvellement nommé, parlez-nous de cette activité gummicole ; en quoi consiste-t-elle et de quelle manière peut-elle nous aider dans la lutte contre le virus d’Outre-Atlantique ?

- Merciheu de m’avoir invité sur votre antenneheu. La dernière fois, c’était il y a fortheu longtemps, plus de douze ans*, et depuisheu mes tempes sont devenues grisonnantes, même si un petit garnement va-nu-pieds a essayé deheu…

- Il me semble, Monsieur le Ministre, que votre léger défaut de prononciation a presque disparu…

- C’est tout à fait vraiheu. J’ai suivi une autocritique orthodophoniqueheu, il y a environ... tiens juste après votre précédente invitation ! Je suis d’ailleurs étonnéheu de vous voir encore en place à Radio Prague Inter, après toutes ces années de normalisation !

- Même pas peur de la ménopause  ! Il nous suffisait de signer deux ou trois autocritiques pour obtenir un certificat de normativité socialiste nous délivrant du même coup un passe sanitaro-spirituel pour un poste dans les médias ; je suis étonné que vous n’ayez fait de même…

Si fait, si fait ; mais étant au PSD, dit le parti de secours, j’étais suspect d’office de déviance idéologiqueheu, je perdai dans la foulée de la normalisation mon portefeuille des Eaux et Forêts* et je futeheu écarté des affaires pendant tout ce temps. Je m’occupais une dizaine d’années de ma modeste municipalitéheu de Modemy Nad Belbejm ; 436 habitants en comptant les canards boîteux et les oies blanches. Mais aprèsheu cette traversée du désert de Moravie du Centre-sud, me revoilà à nouveau à la tête du principal parti de coll... d'opposition !

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Modem Nad Belbejm

- Et donc, quid de la gummiculture ?

- Oui, j’y viens, à mon rythmeheu. Il s’agit pour le prochain Plan quinquennal de développer une filièreheu autonome de préservatifs authentiquement tchécoslovaques. Ayant des difficultés d’approvisionnement en provenance d’URSS et surtout une sérieheu d’atroces irritations dues à la rigidité du caoutchouc d’Outre-Ruthénie ; et ayant eu un refus poli de la part de la Hongrie qui gardeheu tous ses condoms joliment colorés, au cas où le rideau serait partiellement tiré

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Sovietsky Kondom

- Toujours les mêmes à aller à contresens de la solidarité socialiste au sein du CAEM, mais je dirais même plus, à contresens de l’histoire…

Toutafé Klaroučka, d’ailleurs nos encombrants voisins ont une langue incompréhensible et on se demande bien ce qu’ils font dans le CAEM. Dommage, que le traité économique entre pays socialistes n’ait pas prévu de procédure d’exclusion… un Magyarexit en quelque sorte.

Je sais de bonne source, Fabianka, que notre pays, ainsi que la Roumanie désirent prendre des sanctions contre Budapest ; cependant la Pologne et l’Union Soviétique s’y opposent ; la RDA restant prudemment neutre dans cette histoire…

Évidemmentheu - désolé de vous interrompre Madame Servajanová - puisqueheu je vais vous révéler que nous avons récemment découvertheu avec stupéfaction que la RDA a remplacé subrepticement les masques par des préservatifs dans son dernier plan quinquennalheu, et que Berlin s’apprête à les exporter hors-CAEM pour récupérer des devises fraîches ; et bien sûr sans l’accord de Prague, ni des autres capitalesheu ! Un autre futur scandale à en ébranler les fondements de l’ Europe démocratique et socialisteheu ! Si le camarade Zamourček était encore dans le studio, il frétillerait comme une carpeheu, à l’idée d’un Germanoexit ! un heu...n'ayons pas peur des mots : un SAXONRAUS ! Et à mon humbleheu avis, personne ne les regretterait au sein du CAEM ; et je vais vous décevoirheu : contrairement aux Hongrois, qui, outre le fait de nous offrir une capitale un peu plus souriante pour nos weekends en Škoda, sont, en plus, les seuls à savoir correctement cuisiner dans cette pétau... dans la famille socialisteheu.

Camarade Behrů, ce que vous nous apprenez à l’instant est sensationnel ; êtes-vous sûr de sortir couvert ? Car si c’était faux, vous risqueriez un poste de plombier dans une scierie dans les Tatras, et si c'était vrai, vous risqueriez un poste de découpeur dans une centrale hydro-électrique, sur le Danube. Je vous souhaite un ni oui, ni non !

- Mais non ! Oupsheu... perdu…

- Nous venons de recevoir un fax du Ministère de l’information, Klaroučka. Il assure de la plus profonde solidarité avec nos camarades hongrois et allemands, de l’indéfectibilité de la construction européenne socialiste au sein du CAEM, qui ne parle jamais que d’une seule voix et de l’éternelle amitié avec notre plus fidèle allié dans le Pacte de Varsovie, à savoir l’Union Soviétique ; et il est ajouté au stylo-bille, qu’à la prochaine incartade, les deux nanas sautent. Bien, hum, hum. C’est vraiment pas la journée de la femme socialiste, aujour...

- Fabianka, je t’interromps car un coup de téléphone nous apprend que le camarade Behrů est invité à remplir l’autocritique DQ20 et à se présenter d’urgence au Bureau de distribution des tâches.

- Hé bien, nous vous disons "à dans dix ans", Monsieur Behrů , et puisque nous sommes gratin… gratifiées aujourd’hui, voici justement le dernier appel pour ce soir, et c’est une auditrice ! Madame, présentez-vous et posez votre question !

- Voila, je m’appelle Martina Mekmilová, je suis étudiante en technologie du béton armé, option vitraux abscons, à l’Université de Nový Trukradek. Je m’inquiète car, cet été, j’ai passé une semaine aux rencontres des jeunes communistes à Berlin. Or, ayant une confiance saine et naïve dans les échanges entre peuples socialistes, j’ai… heu… enfin… comment dire…

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Le chemin de la victoire, brochure, RDA 1975

- Vous voulez nous dire, chère Martina, que vous n’êtes plus revenue aussi fleur bleue qu’à votre départ de Prague ?

- Heu… c’est à peu près ça.

- Pourquoi donc auriez-vous peur d’avoir contracté la cht… hum, le syndrome américain ?

- Mais... parce qu’à Berlin, on dit que la maladie touche aussi les femmes !

- Ah, vous voyez ! Alors on complote aussi en RDA !

- Camarade Rahouč, s’il vous plait, laissez s’exprimer cette jeune fille !

- Je ne suis plus une jeune fille ! ... Je suis une femme...

- Mais enfin… et de toutes façons, il ne s’agit que d’une aventure, certainement instructive, mais sans lendemain. De quel pays venait ce charmant élu de votre cu… coeur ?

- Il était cu... cubain. Beau comme Ernesto, qui lui ne l'était pas. Enfin... celui qui m’écrit des lettres enflammées en espéragnolanto que je déchiffre avec deux dictionnaires en cachette. Parce que les autres y étaient moins engageants au petit matin : soit boutonneux de la Vistule, soit rachitiques du Prout

- Vous voulez nous dire qu’il y en a eu plusieurs ?

- Oui… [sanglots] Maminka, Tatinek, désolé, si vous m’écoutez !

- Ne vous inquiétez pas, ne croyez pas toutes ces rumeurs, Cette maladie ne concerne que les gens menant une vie dissolue.

- Ben…

- Les hommes menant une vie dissolue.

- Ben…

- Hum, les hommes menant une vie dissolue non conforme !

- Ben !?

Enfin, ma chérie, comprenez-moi, vous n’êtes en rien con-cernée… et puis le socialisme est un bon vaccin contre la corruption et la décadence de l’Ouest à qui il faut tourner le dos. Je parle de l’Ouest du continent.

[sanglots]

- Vous êtes toujours là, ma mignonne ?

- Fabianka, je crois que notre jeune auditrice a raccroché !

- Et bien, c’est à croire que notre petite Martina au camp d'été socialiste a lu dans nos pensées, puisqu’il est justement l’ heure de rendre l’antenne.

Toutafé Klaroučka, et demain, chers auditeurs d’Inter Prague, nous fêtons les 65 ans de la création de la Tchécoslovaquie ! Nul doute que notre pays survivra à l’éradication de l'épidémie américaine et à la chute finale du capitalisme, car nous sommes le camp du bien et ça fait du bien de le marteler quotidiennement dans son propre camp. Comme le disait le grand psychologue poldave Emil Kui Kuo Kue : “l’avenir du genre humain appartient à l’autosuggestion socialiste”.

 

* voir Prague Inter (21/08/1969) Le telefoničko sonne : « un an après, quelle normalisation ?  »

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Le chemin de la victoire, RDA 1975

 

Articles précédents :

Remaniement au Gouvernement Laval V, Le téléphone décroche, Radio Nationale Inter (07/09/1940)

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/remaniement-au-gouvernement-laval-229721

Prague Inter (21/08/1969) Le telefoničko sonne : « un an après, quelle normalisation ? »

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/prague-inter-21-08-1969-le-219412

Francois Asselineau à la matinale de France Inter (03/04/2019)

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/francois-asselineau-a-la-matinale-213995

Edouard Philippe au Téléphone sonne, France Inter (09/03/2019)

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/edouard-philippe-au-telephone-213291

Emmanuel Macron invité à la Matinale de France Inter (24/10/2018)

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/macron-invite-a-la-matinale-de-208843

Peut-on rire de tout ? Le Téléphone sonne, France Inter (18/11/2016)

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/peut-on-rire-de-tout-le-telephone-186650

La matinale de l'été (les attentats, ce que l'on sait), France Inter (15/09/2016)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/la-matinale-de-l-ete-france-inter-184608

La Norvège, 22 ans après le non à l’Europe, Le téléphone sonne, France Inter (13/07/2016)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/la-norvege-22-ans-apres-le-non-a-l-182766

Géopolitique II, Poutine et le Caucase, France Inter (11/04/2016)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/geopolitique-ii-france-inter-179805

Boomerang - France Inter (22/03/2016)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/boomerang-france-inter-179088

La Russie, le grand jeu dangereux, 7/9 de la semaine, France Inter (27/02/2016)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/la-russie-le-grand-jeu-dangereux-7-178176

7/9 du dimanche, France Inter (8/02/2016)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/7-9-du-dimanche-france-inter-177412

Sarkozy invité de la Matinale, France Inter (19/12/2015)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/sarkozy-invite-de-la-matinale-175603

Valls invité de la Matinale, France Inter (24/11/2015)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/valls-invite-de-la-matinale-france-174526

Géopolitique I, France Inter (27/10/2015)

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/geopolitique-france-inter-173390

 



1 réactions


  • arax arax 12 août 2021 07:27

    Petites précisions pour ceux qui ne connaissent pas bien la Tchécoslovaquie du temps où elle faisait partie des « Pays de l’est », au sein du Pacte de Varsovie :

    Il y a avait bien trois partis autorisés depuis 1945, ceux qui n’avaient pas collaboré avec les Nazis : le PCT, le PSD et le Parti National Social (d’Edvar Benès), qui n’avait aucun rapport avec le Parti National Socialiste du grand voisin. Cela a perduré pendant des décennies, bien que les deux autres partis soient restés des benis oui-oui au Parlement (toute ressemblance avec un parti en Bayroute étant fortuite smiley.

    Il y avait une certaine liberté de critique dans les médias, sauf en ce qui concerne : l’intégration au sein du CAEM

    l’appartenance au Pacte de Varsovie

    le socialisme d’Etat comme système politique

    (toute ressemblance avec un système médiatique actuel étant fortuit smiley.


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