Propos fumeux
Coup de tabac et autres billevesées
Nos nobles académiciens se sentent une lourde responsabilité. Ils doivent servir de filtre entre la langue et le Palais, là où se prennent les grandes orientations politiques. La conformité à la loi s'impose désormais à l'usage d'expressions qui avaient trouvé leurs racines dans une autre époque. Il convient désormais d'éradiquer le mal à la racine et de pourfendre la formule même si elle est chique et que certains en usent avec assuétude. Les personnalités prises la main dans le sac de la blague seront mis au ban, l'usage de « Coup de Tabac » pour désigner un gros coup de vent en mer est désormais totalement prohibé et qui dorénavant se nommera « Coup de vapoteuse » d'après nos augustes lettrés.
L'actualité récente a même contraint nos gardiens du temple des mots de se mettre rapidement au travail ce qui n'a jamais été dans leurs habitudes. C'est ainsi qu'une demande du ministère de la santé leur est parvenue avec l'injonction d'agir immédiatement au risque de prendre une contre-danse. Les « habits-verts » se sont réunis en respectant les gestes barrières pour régler son compte à une expression devenue équivoque. Il est inutile de tourner en rond ou de se cacher derrière son petit doigt, le « Bal masqué » a fait long feu, il conviendra désormais de dire « solo chorégraphique grimé ». On peut craindre que certains se prennent la langue dans les pieds avec une pareille formule.
Dans le même temps et pour confirmer l'usage de la rue et surtout de la toile, les lexicologues de L'Institut de France se sont penchés sur l'orthographe d'un mot qui a été particulièrement malmené depuis une année. Soucieux de coller à la pratique populaire quand celle-ci prend le pas sur la graphie officielle tout autant que désireux malgré tout de montrer leur indépendance avec le pouvoir, les vénérables grammairiens ont validé cette nouvelle graphie pour « MasQuarade ». Ce choix ayant entraîné une protestation officielle venue du Palais sous la forme d'un commentaire sur un réseau social bien connu ce qui confirma les immortels dans leur décision.
Leur travail s'est heurté à une difficulté de taille pour l'expression suivante. La division a du reste régné dans la docte académie, se transformant parfois en bataille de chiffonniers. Ces hommes (et ses quelques femmes) de papier ne pouvant se mettre d'accord que sur un point : l'expression « Gestes barrières » relevant pour le moins de l'oxymore inadapté. Un geste leur semblant à juste titre en totale contradiction avec l'immobilité de la barrière. Mais morbleu, par quoi remplacer cette absurdité ?
Les uns s'en prenant à ce Geste qui leur déplaisait fortement tandis que les autres déploraient la faiblesse de ce Barrière qui ne fait guère obstacle. Les protagonistes de cette formidable controverse se mirent enfin d'accord pour en changer les deux termes. « Attitudes de protection individuelle et collective » tint un temps la corde mais elle s'avéra raide et fort longue. Une fois encore, le bon Freluquet qui se mêle de tout leur adressa un message : « N'oubliez pas que nous sommes en guerre ! ». Nos amis de la langue bien pendue se dirent alors que « Postures forteresse » marquait un pas décisif dans le belliqueux. Puis la raison l'emporta et se donnant enfin la main dans une concorde revenue, ils retinrent « Comportements remparts ! ».
C'est alors que survint la formulation défaillante qui mit le feu aux poudres. C'est le premier ministre en personne qui déclencha la première étincelle en souhaitant que l'on trouve mieux que ce « Couvre-Feu » moyenâgeux. Le feu couvait déjà depuis la séance précédente et ce fut là, l'occasion d'un embrasement des esprits. Comment rendre compte simplement de la notion d'enfermement, de contrainte par corps, de la confiscation des libertés individuelles ? Les Académiciens y perdaient leur latin.
« Claustration domiciliaire » était la forme la plus proche de la réalité. Des voix s'élevèrent dans l'assemblée pour douter de la compréhension des deux termes dans la population. On leur donna raison. Un nouveau tour de table fut nécessaire, les idées fusaient de toute part ce qui en la circonstance n'était pas très conforme à l'esprit de la lettre. Il fallait du lourd et du pesant pour tenir la bride un peu plus serrée. C'est le secrétaire perpétuel qui eut les mots de la fin, promettant à ses confrères et consœurs que c'était là la dernière concession que l'Académie Française consentirait à cette crise qui mettait à mal notre langue bien plus par l'éruption de termes anglo-saxons que par l'usage de mots valises en ces temps d'interdiction des voyages. Il se leva et proposa : « Embastillement des consciences ».
Académiquement leur.