samedi 1er mars 2014 - par C’est Nabum

Se lever du pied gauche

À ne pas prendre par-dessus la jambe

Ainsi, notre vocabulaire et les expressions qui lui sont associées font la part belle à ce qui est droit, blanc et conforme à la ligne directrice. Il voue aux gémonies le gauche, le noir, le courbe, le retors, le gros ou le vieux pour ne citer que ces balourdises supposées les plus répandues .

Il faudrait marquer d'une pierre blanche cette belle journée où ce jeune homme s'est levé du pied droit quand elle sera noire et triste pour cette vieille femme qui, percluse de douleurs, a posé son pied gauche en premier et qui plus est, sur une déjection canine. Les images ont la vie dure et le bien et le mal se partagent aisément la représentation du monde.

Ne cherchons pas à changer notre lexique, il s'impose de manière inconsciente ; il forge une lecture si commode et qui profite toujours aux mêmes, renvoyant les autres à leur terrible chemin de labeur, de douleur et de frayeur. Il faut avoir eu la chance de naître du bon côté, dans la bonne famille, au bon endroit. Les apparences ne sont pas seulement sauves, elles vous sauvent de la misère ou vous y condamnent avec une impitoyable rigueur.

Celui qui est blanc comme un linge passera sa vie dans de beaux draps. Il lui restera à se refaire une petite santé en prenant le soleil et en respirant à pleins poumons l'air de la campagne. Son voisin un peu rougeaud, sera habillé pour l'hiver, porteur du terrible soupçon d'ivrognerie et catalogué dans l'ordre des imbéciles. Si l'habit le fait pas le moine, le faciès condamne plus facilement au délit de sale gueule que les haillons.

Alors, si les cordonniers sont les plus mal chaussés, il leur faut quand même éviter d'aller nu-pieds. Pieds noirs ou pieds ailés, la chaussure évite de vous découvrir tel qu'en vous-mêmes vous êtes réellement : un petit pied ou un pied plat, un homme qui n'avance pas à grand pas sur les sentiers de la vie. Si le soulier n'est pas verni, son porteur ne risque pas de l'être. Qu'il traîne savate ou qu'il ose s'en passer, le voilà rabaissé au rang des damnés de la terre.

Quant à la main , on peut tout aussi bien la passer que la brandir haut, en faire un symbole politique ou bien un outil précieux. La main file tant et si bien qu'elle se fait courante. Elle vous décrypte au travers des lignes qui sillonnent sa paume sans que ce soit un jeu. Elle se dresse pour prêter serment, s'insinue quand elle se fait friponne. Pour le joueur, elle peut être chaude, même glacée ou dans un gant de fer. Elle est inquisitrice ou accusatrice tout en évitant d'appartenir à un camp ou à un autre. La main n'a pas de couleur, nous pouvons l'en remercier.

C'est le cheveu qui stigmatise le plus. Il défrise ceux qui l'ont plat et ne supportent pas les crépus. Les cheveux manquent cruellement à celui qui les perd tout en honnissant ceux qui se refusent à les couper. Ils se colorent de toutes les fantaisies possibles, se portent dressés ou bien en crête et en font voir de toutes les couleurs aux chevelures strictes et ternes, allant même jusqu'à se gonfler en perruque quand la puissance avait besoin de cet artifice pour rendre la justice. Inutile de les couper en quatre, ils sont les premiers marqueurs de la distinction tout en voulant définir les règles de cette même distinction.

La taille vous fait rentrer ou non dans l'ordre des gens bien. Gare à l'embonpoint : il n'est plus de saison. La bedaine est déplacée, la maigreur est délaissée. Il faut du galbe et du muscle, un corps parfait pour avoir le droit de l'exhiber sans quolibets. Pire encore pour les dames qui subissent, en la matière, une dictature de la sveltesse qui ne fait jamais grâce à la rondeur.

Nous sommes des bêtes de foire, jugées à notre croupe, notre pelage et nos frisettes. Nous ne pouvons sortir du rôle que nous assigne notre apparence, terrible préjugé du paraître. Le fameux paraître à la mode est, à ce titre, un prescripteur tout autant qu'un imposteur. Il limite le jugement à ce qu'on donne à voir d'une enveloppe charnelle si peu spirituelle. L'être est ailleurs mais qui s'en soucie dans ce monde factice ?

Alors quand vous posez le pied sur le sol au petit matin, prenez bien garde de ne point vous tromper. Vous êtes pris au piège d'une série de jugements imbéciles et trop rapides, de points de vue programmés par des gens qui n'ont d'autre ambition que de vendre du vent. Être dans le vent, seuls les marins devraient s'en préoccuper et je peux vous assurer qu'eux se fichent bien de leur apparence.

Piedgauchement vôtre



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