jeudi 6 mai 2021 - par C’est Nabum

Sésame couvre-moi !

 

L'épineuse question de la crécelle.

 

Désormais pour que les portes s'ouvrent, il faudra se fendre d'un passeport sanitaire, le précieux Sésame qui déterminera dans quelle réserve vous ranger. À ma droite, les chevaliers de la Seringue, ordre monastique pour lequel tous les adeptes ont été oints du saint baume miraculeux. À ma gauche, les mendiants, les gueux, les déclassés qui n'ont pas été soumis à la chose.

Le débat a fait rage parmi les membres du comité d'experts. Comment distinguer le bon grain de l'ivraie ? Il fut un temps envisagé d'imposer aux seconds, ces réfractaires à la cause pharmaceutique de s'équiper d'une crécelle lors de tous les actes de leur vie publique. L'idée avait fait son chemin, elle avait le mérite de s'inscrire dans l'histoire des fléaux tout en étant d'une application extrêmement simple.

Mais voilà, la France, un des plus grands pays désindustrialisés, ne dispose d'aucune entreprise capable de fabriquer entièrement cet objet, pourtant d'une technologie rudimentaire. Toutes les études prospectives sont tombées à plat. Le tissu industriel français est strictement incapable de répondre à cette demande.

Il est bon me semble-t-il de revenir avec précision sur les freins qui ont rendu impossible cette distinction des individus. Fabriquer ce petit instrument en bois, à première vue, ne pose pas des problèmes insurmontables. Il demeure encoredans cette nation en voie de dépendance totale en matière d'objets manufacturés, des ouvriers capables de travailler le bois. Il serait d'ailleurs bon d'en réduire encore le nombre afin de ne plus avoir ce potentiel qui fait désordre dans le paysage artisanal.

Le manche et la partie qui tourne autour du premier sont donc encore susceptibles d'être estampillés « Fait en France » mais pour que cet ingénieux dispositif puisque fonctionner il faut lui adjoindre un engrenage, une roue dentée assurant tout à la fois une rotation et un frottement émettant ce bruit strident si caractéristique qui a pour objet de permettre aux braves gens de fuir ou de s'éloigner à l'approche d'un lépreux des temps modernes.

Le Président en personne s'est fermement opposé à la fabrication sur le territoire national de cette pièce métallique cranté. Ses arguments, il convient de l'avouer, ont laissé sans voix les membres de son cabinet rapproché. Cependant, comme nul n'ose contredire le grand Homme, il a fallu renoncer irrémédiablement à ce merveilleux dispositif.

Notre ami Freluquet premier a prétendu que la période actuelle a mis ses braves et pour la plupart, loyaux sujets à cran. Introduire une roue dentée n'aurait pas été, dans un pareil contexte, du meilleur effet. Certains individus, souvent vêtus de jaune, auraient perçu là une provocation de plus. D'autre part, le climat politique n'est pas serein. La Crécelle peut être le déclencheur d'une révolution. Les choses auraient pu mal tourner. La conseillère personnelle du président lui aurait confié sur l’oreiller, qu'il n'était pas question de mettre le doigt dans l'engrenage.

Ce fut là, l'arrêt de mort de cette solution, qui je l'avoue, aurait eu ma préférence. Mais voilà, nulle possibilité de profiter de dessous de table juteux, ni de contrats à grande échelle qui permettent de détourner un peu d'argent afin de préparer la future campagne, la fabrication artisanale de la crécelle étant un obstacle majeur pour retenir cette option.

Enfin, le porte-parole du gouvernement aurait déclaré que le risque majeur de la chose eût été dans l'utilisation détournée de la crécelle, lors des prises de parole de tous les soutiens de l'actuelle majorité. Il est vrai, et c'est Madame Bachelot en personne qui sonna l'arrêt de mort de cette solution qui ne manquait pas de charme en expliquant que l'instrument était présent dans l'œuvre de Carl orff : les Carmina Burana. Le chœur des esclaves mécontents, voilà qui eût été du pire effet …

Mécaniquement sien.



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