jeudi 4 septembre 2008 - par Dancharr

Le savant joyeux et l’atterré

Je m’occupe en cultivant mon jardin secret. Depuis quelque temps, je m’aperçois que la terre est de plus en plus basse alors que ma toise confirme que je ne grandis pas. Intrigué, j’en parle à mon plus proche voisin, un anachorète cacochyme dont j’admire depuis toujours la splendeur de ses Allium Karataviense et le rouge écarlate de ses Lychnis chalcedonica. La semaine passée, je l’interpelle, ayant noté un changement dans l’ordonnancement habituellement impeccable de son jardin : « Très cher, je trouve un peu de laisser-aller dans vos plates-bandes ». Il me répond, sur le ton de la presque vitupération : « Il faut m’excuser, My Lord, - il a été butler chez l’Archevèque de Canterbury - mais la terre est de plus en plus basse et je peine à l’atteindre ».
Ainsi, deux esprits très avertis des choses de la terre avaient, sans s’être concertés et au même moment, fait un constat identique et consternant : le niveau du sol reculait. Le fait devenait patent, irréfutable et passablement inquiétant.
Après une nuit agitée des pressentiments que vous imaginez, je me réveillais avec la volonté d’en référer aux autorités compétentes.
Sans autre raison que le hasard providentiel, je tourne le bouton de mon poste de TSF et tombe sur une station que je ne nommerai pas. Sachez, pour rassurer votre francitude que, si son antenne est bien dans l’espace de Schengen, l’émetteur est outre-Rhin et Danube. Le standardiste de service, un disparu qui revenait de nulle part, recevait ce jour-là l’homme de la situation, le professeur Joyeux, du collège d’Île-de-France et de l’Institut de la découverte réunis. Il venait présenter son 4e livre de l’année, année qu’il ambitionne de couronner par l’attribution conjointe du Nobel de littérature et d’un Nobel scientifique, peu importe lequel, il les mérite tous.
Je saute sur mon téléphone - un exploit qui me rappela des jours fringants - fais le numéro d’appel qui est seriné toutes les trois respirations. Au standard, je court-circuite les ménagères de 45 ans qui avaient peu de questions à poser à l’illustrissime par un produit d’appel irrésistible : « Je voudrais demander au professeur Joyeux dont je dévore les livres comment il fait pour savoir tout sur tout ».
Dans l’instant, je suis à l’antenne en direct avec le surhomme et prié de poser ma question. « Bravo pour votre émission et merci de me faire l’honneur de pouvoir m’adresser au plus illustre de nos savants depuis Pasteur. Voilà ma question : pourriez-vous m’expliquer pourquoi la terre est de plus en plus basse ? Je le constate depuis quelque temps. Mon voisin a fait la même observation ».
Mon point d’interrogation était indubitable, mais la question resta sans réponse. Je crus d’abord que le silence n’était que de réflexion. Mais il fut rompu par une voix hésitante me demandant sur le ton que prend un premier communiant pour avouer un gros péché véniel à son confesseur : « Pourriez-vous préciser votre demande ». Je ne reconnaissais pas le parler habituellement tonitruant du professeur Joyeux qui n’est pas sans me rappeler le phrasé impétueux d’un ami trop tôt disparu. Je m’exécutais volontiers, ayant beaucoup à dire sur le sujet : « Voilà, je suis inquiet, comme mon voisin, un homme remarquable, très terre-à-terre pour ce qui concerne les fleurs et les légumes. Nous avons constaté, et cela selon un mode progressif, que la terre était de plus en plus basse. J’ai moi-même du mal à atteindre mes salades alors que mes bras ne raccourcissent pas et que ma taille aurait plutôt tendance à diminuer. Je crains que la terre ne soit en train de s’enfoncer, comme si le globe entrait dans une phase de rétraction. Je me demande même si, au centre du noyau terrestre, un trou noir, plein d’anti-matière, ne s’est pas installé et ne serait pas en train d’engloutir, de l’intérieur, notre planète. Cela expliquerait ce que je vous décris. Ne serais-ce pas dû à une rupture de l’équilibre qui tenait unis tous les éléments du sol à la suite de l’extraction de trop de lingots de métaux en tout genre : le fer, le cuivre, le zinc, l’or, l’argent, les métaux rares depuis des siècles et, surtout, de celle du métal du diable, le nickel, celui qui rendait la terre inoxydable et si dure en profondeur. Et que dire du courant électrique dont une partie revient à la terre ? Devenu tellurique, il sillonne surface et profondeur cherchant désespérément à retrouver le chemin de sa centrale d’origine pour réintégrer la compagnie des phases. Peut-on imaginer tous les désordres électrochimiques qu’il laisse derrière lui dans ce voyage insensé où la neutralité qu’il a, peut-être, gardée doit être mise à mal ? On n’en parle jamais ».
 
Mon exposé, parfaitement construit, équilibré, documenté, un modèle du genre fut accueilli par un silence de l’épaisseur de celui qui annoncera la fin du monde. Mon professeur favori toussota, puis s’étouffa carrément, les synapses manifestement en rupture de ban. Le standardiste, complètement dépassé, prétexta un problème technique, la liaison fut coupée, de la musique de SuperU se déversa.
Je reposai tristement mon téléphone, ayant compris pourquoi cette année encore nous n’aurions pas de Nobel. Mais si là-bas, à Paris, ils ne s’aperçoivent pas de ce qui se passe c’est parce qu’il y a trop de béton armé sous leurs semelles. Le jour où les beaux parquets cirés se déchireront au-dessus du vide, plus dure sera la chute. Ici, on accompagne, en douceur, la descente aux enfers. En attendant, je veille, je scrute, je mesure et vous avertirai quand le moment sera venu. Vous pouvez compter sur moi.


23 réactions


  • Sandro Ferretti SANDRO 4 septembre 2008 10:26

    Bonjour, Doc

    Avant l’arrivée des moinsseurs de service, je vous salue et prend vite fait sur l’herbe une petite décoction de votre jardin...
    Je ne sais pas pourquoi, mais votre article me fait penser à "Holidays", une vieille chanson de Polnareff, où il y a " que la terre est basse".
    Je l’écoutais cet été dans un vol long courrier vers le Canada. C’est bizarre les madeleines aéronautiques....


  • Gül 4 septembre 2008 10:41

    Bonjour Dancharr,

    C’est très exactement comme ça que j’adore vous lire. Une divine viennoiserie qui accompagne mon café du matin.

    Merci ! smiley


  • Olga Olga 4 septembre 2008 11:02

    La terre est de plus en plus basse quand il faut se pencher pour l’atteindre, et son attraction est de plus en plus forte quand il faut se relever pour s’en éloigner. Pensa-t-elle en montant dans le TER...


    • pépé 4 septembre 2008 11:16

      Et quelle a été sa pensée en y redescendant ?


    • Olga Olga 4 septembre 2008 11:25

      Je suis encore en retard. C’est sûrement une modification de la vitesse de rotation de la terre qui provoque le ralentissement des trains...


    • Dancharr 4 septembre 2008 21:22
      Ainsi, Olga, même vous, le même constat, à votre âge ! La situation est grave !
      Content que vous ayez accroché aux Falsificateurs. Il faut bien 100 pages pour se mettre en appétit. Après, il est en place et on dévore.
      Amicalement.

  • pépé 4 septembre 2008 11:13

    Tiens c’est pour ça que depuis quelque temps je doive mettre des lunettes pour voir mes salades.


  • Imhotep Imhotep 4 septembre 2008 13:04

     L’illustre futur prix Nobel en toute matière n’a pu répondre car lorsque la terre est basse et la pensée haute, il n’y a plus de point de contact, même si l’espace est courbe.


    • Sandro Ferretti SANDRO 4 septembre 2008 15:15

      @ au Furtif
      Dois-je déduire de ce post herbager , voire potager, qu’il a fini de pleuvoir chez toi, à présent que mon dernier article n’est plus en "une" ?


  • pseudo pseudo 4 septembre 2008 15:00

    Je ne sais pas pourquoi. Un mystère en rappelant un autre sans doute ? Mais votre article m’a rappelé un livre merveilleux que j’ai lu étant enfant. "Le mystère de la Berlurette de Pierre Gamarra."

    Je suis désolée, il n’expliquait pas pourquoi la terre est de plus en plus basse smiley .

    Mais bon, il avait d’autres problèmes : un matin, la France entière s’était trouvée chamboulée... La Loire coulant à la place du Rhône, les Alpes s’élevant à la place des Pyrénées...

    Je ne me souviens pas de la cause de tous ces chambardements, mais essayez de lire ce livre, il vous donnera peut-être la réponse smiley .





  • norbert gabriel norbert gabriel 4 septembre 2008 15:16

    Salut
    c’est bien ce qu’il me semblait, le niveau de vie baisse parce que la terre est de plus en plus basse, au train où ça va, il faudra bientôt être spéléo pour ramasser ses patates et ses radis ...
    merci de nous prévenir, quoi qu’ill en soit, je vais réfléchir de ce pas - prudent - à une méthode pour faire pousser les bars... euh non , les BRAS !!!



  • krolik krolik 4 septembre 2008 15:23

    C’est bien pour cela que l’on a inventé la culture hors-sol.
    Des miens cousins, maraichers dans l’Ouest parisien depuis au moins 8 générations, s’étant faits expropriés pour : autoroute, groupe scolaire, chaufferie urbaine.. la dernière en date étant l’établissement d’un "zone verte" ; se sont bien vus obligés de passer à la culture hors-sol..

    Le Pr Joyeux dont vous parlez, c’est le Président de l’Association "Familles de France" ? L’homme des "bars à fruits" dans les écoles en remplacement des barres chocolatées. Il y a des sites web où on l’accuse de tous les péchés du monde, mais l’accuser de ne pouvoir répondre à une telle question sur la Terre trop basse me semble inapproprié il a de la réplique.

    @+


  • Marsupilami Marsupilami 4 septembre 2008 17:15

     @ Dancharr

    Excellent ! Quand j’étais petit la terre était moins basse. Puis j’ai mesuré 1,82 mètres et elle s’est sacrément abaissée. Depuis je me tasse et elle aussi, les choses ne s’arrangent pas. En attendant que ça se tasse et que je passe sous terre, que faire docteur ?


    • Dancharr 4 septembre 2008 19:11
      Merci à Marsu et aux autres. J’avais donc raison et ce que j’ai vu ne doit rien à la myopie, à la cataracte et j’en passe.
      Que faire ? Vous me demandez. Mais me suivre dans ma croisade et obliger le gouvernement à réagir ! Je vous livre ma réplique à Olivier, un ami qui m’avait bassement attaqué et rendu responsables mes radis bio. Il n’avait pas supporté que je mette en cause le métal du diable, le nickel auquel il a voué ses tripes et son âme :
      « Oh, la piètre défense, cette attaque zingarde !
      J’imagine la souffrance de Galilée face aux sarcasmes. Sa découverte aussi dérangeait des habitudes, les idées reçues, les conformismes et quelques amateurs de fromages. Triste monde où être en retard est mieux vu qu’être en avance !
      Mais je ne suis plus seul avec mon voisin si perspicace. Mon standard a explosé et je reçois des lettres par milliers, toutes les maisons de retraite du département se sont mobilisées pour me soutenir. Leurs pensionnaires ont fait le même constat mais n’osaient pas en parler. Les langues se délient. Ce sont des électeurs. Le gouvernement va être obligé de prendre des mesures.
      On parle de fermer les mines de bauxite aux Baux, l’action d’Eramet s’effondre (elle tombe de haut !) les caldoches tremblent. On collecte déjà les casseroles inoxydables pour les enterrer dans les mines de fer de Lorraine désaffectées pour essayer de réparer les dégâts et calmer le Minotaure intérieur.
      Olivier, il faut réagir pour que l’inquiétude s’apaise. Une réunion plénière s’impose d’urgence. Elle peut se faire chez moi. J’attends confirmation ». 
      J’espère que vous serez plus nombreux cette fois-ci que pour ma Grande Cause Nationale où je suis presque tout seul à réécrire la Série Noire. Pour le moment, je suis sur Pagan. Merci Sandro, car c’est un cas désespérant, à traiter en urgence.

    • Sandro Ferretti SANDRO 5 septembre 2008 09:37

      Oui, Doc.
      Quand on a un Pagan comme livre de chevet, on ne sait jamais vraiment qui du lecteur ou de l’auteur est au chevet de l’autre.
      Mais il faut étre patient et prévenant avec les patients, vous le savez mieux que d’autres.


    • Marsupilami Marsupilami 5 septembre 2008 09:44

       @ Dancharr

      Vu ta tournure d’esprit, si tu n’as pas encore acheté ce bouquin, il ne te reste plus qu’à le faire !


    • Dancharr 4 septembre 2008 19:26
      Vous me rassurez. Pressé par l’urgence, je n’avais pas développé les conséquences. Votre reportage prémonitoire ne laisse rien dans l’ombre et votre conclusion digne du Poète : les taupes, l’avenir de l’homme et… de la femme.
      Votre blog, merci de me l’avoir fait découvrir. C’est une merveille, comme vos « Allitérations ratiocinées ». Mais, dites-moi, l’humage des orchidées, aurait-il des vertus psychédéliques ?
      Bien cordialement.

  • Yohan Yohan 4 septembre 2008 19:24

    @ Danchar
    Il ne vous est pas venu à l’idée que vos bras pourraient rétrécir avec l’âge.
    En effet, d’après le Dr Mandrika, qui a méné une très sérieuse étude sur la question, plus on vieillit, moins on fait travailler ses bras et plus on écoute les oiseaux chanter, ce qui d’ailleurs explique que contrairement à nos bras qui rétrécissent avec l’âge, nos oreilles grandissent à partir de 60 ans. 
    De plus, le bras du matin est plus long, que celui du soir. C’est la raison pour laquelle il est dit qu’il vaut mieux ramasser les légumes le matin. C’est donc pas qu’une question de fraîcheur.
    Lisez le Concombre Masqué Matinal plutôt que Maisons et Jardins, et vous serez en harmonie avec toutes ces choses bizarres


    • Dancharr 4 septembre 2008 19:52
      à Yohan,
      L’hypothèse est plausible mais facile. Pour vérifier, je vais prendre des mesures et changer mes lectures.
      Tout rétrécit avec l’âge, dites-vous. Jeune homme, en êtes-vous si sûr ?

    • Yohan Yohan 4 septembre 2008 20:10

      Je m’inscrit en faux. Je n’ai pas écrit "tout rétrécit avec l’âge. Chez certains, ça pousse de partout (poils de nez), ça grandit (les oreilles) ça ramollit (les .....) où ça s’altère, comme votre vue, cher Toubib.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 7 septembre 2008 09:55

    Dotor Dancharr ,


    Dans votre position il est honteusement déplacé de vous plaindre de la petite hauteur du sol rapport à la dimension peu allongée de l’ étirement de vos bras permettant à vos mains de de rétrécir la distance pour capturer carottes navets oignons et surtout tomates , qui elles ont compris d’ instinct le problème du vieillessement de la population ( elles se gènent pas pour montrer leur pédoncule nous signifiant nos tares )

    Vous habiteriez un département comme les Basses-Alpes , Basse-Normandie ou autre endroit plus profonds que la moyenne , pire encore , un trou perdu dans la montagne ( le paradoxe de l’ énormité de ce contresens ) je comprendrais votre désarroi ( de coeur ) mais ne comptez pas sur moi vu la hauteur normale de votre parterre pour vous consoler ( sic ) .

    Par contre je ne peux que féliciter votre plume si bien ancrée , féconde et fructueuse nous ayant fait atteindre un plaisir loin du ras des pâquerettes .

    Nestor , la tournée du dimanche pour les présents ...et Dotor en prem’s

     


    • Dancharr 8 septembre 2008 10:40
      Cap’tain,
      Je vous ai suivi avec attention dans vos bourlingages départementaux et potagers et vos délires brachiaux. Dorénavant je ne cultiverai que des plantes grimpantes, des haricots sauteurs et des tomates si je trouve des plants volants.
      Un reproche, vous avez oublié Basse-Terre, en Guadeloupe. Le phénomène a débuté chez eux, il y a longtemps, au pied de la Soufrière. Courageux, ils se sont tus. Le black-out va cesser.
      Un deuxième reproche, plus grave car il y va de votre réputation : la recette du macaron se fait attendre. J’aimerais changer de dessert car la tarte Tatin c’est bien et bon mais je sature.
      Bien cordialement.
       

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