lundi 2 mars 2009 - par
Le silence assourdissant du 29 février
Dans le plus grand silence médiatique, dans l’embarras scientifique le plus total, dans le gouffre sidéral de la pensée et le silence coupable du militantisme citoyen, un assassinat a eu lieu avant-hier : l’assassinat du 29 février. Un vol à main armée, armé d’une pendule. Tic, tac, c’est dans le sac. Et cependant, pas un mot, pas une pétition, pas même un hommage furtif. Rien, je vous dis. On nous a volé un jour de notre vie, comme tous les trois ans, mais on s’autorise à penser dans les milieux autorisés que tout est normal.
O tempus, O mores ! Tempus fugit, disent les latinistes. Nous ne savons ni le jour ni l’heure, rappellent les exégètes des Ecritures. Nous voilà en mars sans avoir eu le temps de crier ni train, ni gare, ni rien. On nous a volé un jour (voire deux), mais tout le monde s’en fout. Moi-même, je me sens bien seul, à l’heure de porter le fardeau citoyen qui consiste à vous secouer de votre torpeur de bien-assis et de bien pensants.
A l’heure où j’écris ces lignes, je sais que votre jugement sera sévère.
"Ben oui, et alors" ? disent les amateurs de longs fleuves tranquilles et de calendriers des Postes…
Certains iront même jusqu’à applaudir.
Février est mort ? Bien fait.
Ce mois grumeleux, triste, neigeux et venteux à souhait nous a passablement gonflé. Comme seul janvier avant lui avait su le faire à ce point.
Il est bien là où il est, et qu’on tire la chasse d’eau, qu’ils disent.
Et pourtant.
Camarades, lecteurs, confrères, citoyens, on vient de vous voler un jour de votre vie. Et vous n’avez rien vu, rien dit. Votre silence en dit long. Il est coupable.
Une journée de moins à siroter un rosé frais sur la terrasse en faisant tinter le glaçon.
Une journée de moins à voir les volutes de nos cigares partir en fumée. "Vos luttes partent en fumée", disait Bashung.
Une journée de moins à regarder le soleil tant qu’il en a. A s’engouffrer dans le mystère des moiteurs féminines, dans les draps poissés d’aube.
Bref, la revanche des hygiénistes de tous poils. La victoire du principe de précaution.
Animé comme toujours du souci de vous informer le plus exactement possible de la situation, je dois toutefois admettre que cet assassinat peut revêtir quelques aspects positifs :
-les statistiques du chômage devraient probablement marquer une légère inflexion en février.
Tout bénéfice pour certains. Pas pour les chômeurs, non, pour ceux qui vivent du système, à savoir ceux qui comptent les points.
-la mortalité routière devrait elle aussi reculer, pour la plus grande joie des autophobes de tous poils, et de nos pandores en bolides japonais, quelque peu oisifs depuis qu’il n’y a plus d’irlandais à Vincennes ni de paillotes à brûler.
Imaginez vous le nombre de camions-fantomes et sans frein ainsi évités, d’ivrognes et autres suicidaires à contresens de l’autoroute qui voient ainsi une journée entière échapper à leur passe-temps favori.
- Pour ceux qui ne sont pas journaliers ou intermittents du spectacle , vous avez aussi été payés plus pour travailler moins, ce que jamais aucun escroc -pardon, homme politique-, n’avait jamais osé promettre dans ses rêves les plus fous.
-Pour les chiffres officiels de la délinquance, c’est aussi une courte respiration, une brève jachère avant la reprise inexorable des assassinats, des viols, des braquages et autres joyeusetés qui font la joie de nos confrères de la presse écrite et des accros de la petite lucarne.
-L’assassinat du 29 février, c’est aussi, pour ceux qui comptent les jours , toujours cela de pris.
Les taulards, pour qui 5 ans de prison, ça inclut aussi les années de décapitation de ce qui dépasse du mois de février. Une remise de peine sans passer par le juge. Toujours bon à prendre. Idem pour ceux qui attendent la retraite comme le messie, épuisés par les vieilles soucieuses et les années passées à séparer les copies des originaux : ils voient ainsi s’approcher l’Eldorado.
C’est toujours autant de gagné également sur la faucheuse, la camarde de misère et sa faux à quatre sous, qui a du chômer une longue journée et une longue nuit. Ce qui n’est pas son habitude.
Pour une fois, elle a pris cela dans ses dents, la tête de mort. Ca fait un pied de nez aux cancérologues qui avaient lancé à leur patient qu’ils ne passerait pas l’hiver, et autres "quand barbecue au moins d’Août, mort en février".
La camarde a bien été obligée de regarder ailleurs, de s’occuper un peu d’elle et de ses dents pourries, n’ayant plus aucun petit vieux à se mettre sous la faux, plus de petit jeune à écrabouiller dans sa GTI.
Mais elle se vengera, c’est sur.
Dès le mois de mars.
Et comme disait Pierre Desproges : "quant au mois de mars, je le dis sans arrière-pensée politique, ça m’étonnerai qu’il passe l’hiver".