lundi 15 octobre 2018 - par Axel_Borg

1989-1996, l’inversion progressive du modèle Ferrari

Jusqu'à l'arrivée de Michael Schumacher chez Ferrari fin 1995, sur insistance de Jean Todt, la Scuderia a toujours placé la logique de l'écurie avant celle des pilotes ... Même si une première tentative avortée de révolution culturelle avait été engagée par Cesare Fiorio en 1989, suite au décès du Commendatore Enzo Ferrari en 1988.

Brescia, samedi 30 avril 1948. Tazio Nuvolari, alias Nivola, réalise son dernier exploit de sa somptueuse carrière et clôt en beauté son histoire commune avec la Scuderia Ferrari.

Pourtant, le champion italien sort de mois terribles. Le Mantouan Volant a passé l'hiver dans un couvent au bord du Lac de Garde, à soigner ses poumons et méditer sur la mort précoce de ses deux fils, victimes de la tuberculose ...

Aux Mille Miglia, une fois installé derrière le volant de la Ferrari, le doute s'efface et Nuvolari redevient l'inégalable Nivola, l'homme qui avait vaincu à lui seul Mercedes et Auto Union en 1935 à Nürburgring, pour la plus grande rage du docteur Joseph Goebbels et du régime nazi ...

Contraint à l'abandon malgré une course emprunte de panache, Nuvolari laisse une trace encore plus profonde dans l'esprit d'Enzo Ferrari.

Chaque pilote succédant à Nivola lui sera comparé dans l'esprit du Commendatore.

En 1956, lorsque l'Ingeniere perd tragiquement son fils Dino emporté par la leucémie, il devient encore plus secret et vécut reclus à Maranello, loin du tumulte des circuits d'Europe et d'Amérique où concourent les bolides écarlates. Enzo Ferrari ne se rendait plus qu’à deux occasions sur les circuits : le vendredi du Grand Prix d’Italie, premier jour des essais libres à Monza sur l’autodrome du parc royal, et le départ de Mille Miglia à Brescia.

Avant même la mort de son fils, le fondateur de la marque au Cavallino avait pris cette décision suite à la mort d’un autre pilote, Guy Moll en 1934 à Pescara, décès dont il témoignera dans son autobiographie, Mes joies terribles, par ces mots : Dans l’édition 1934 du Grand Prix de Monte-Carlo, Varzi fut battu par un débutant qui s’appelait Guy Moll et avait l’étoffe d’un as du volant comme il y en a eu peu. Malheureusement, il passa comme un météore, mais inoubliable. Au mois d’août de la même année, il trouva la mort sur le circuit de Pescara […] S’il n’était pas le premier étranger à avoir fait partie de mon écurie, il était sans aucun doute le premier pilote d’exception. Il était de mère espagnole et de père français émigré en Algérie, où il était né. Je ne sais si ce mélange de nationalités et de milieux qui a fait de ce garçon un prodige, mais je suis en tout cas persuadé qu’il mérite d’être rapproché de Nuvolari et de Moss. Comme Nuvolari, il avait cet esprit étrange et singulier, la même agressivité, la même désinvolture dans la façon de piloter, la même détermination pour affronter le danger.

Alors, le vieux patron de la Scuderia restait à Maranello où il regardait les Grands Prix par le biais de la télévision. Homme de confiance d’Enzo Ferrari durant de nombreuses années, Franco Gozzi décrit ce mode de fonctionnement : Ferrari était un univers ; Quiconque franchissait la porte de Maranello, qu’il soit pape ou président, devait se plier aux règles édictées par le maître de cet univers.

Les journalistes buvaient ses paroles …

  • Monsieur Ferrari, de toutes les voitures que vous avez construites, laquelle préférez-vous ?
  • Celle que nous n’avons pas encore construite.
  • Monsieur Ferrari, de toutes les victoires que vos voitures et vos pilotes ont gagnées, laquelle préférez-vous ?
  • Celle que nous n’avons pas encore gagnée.

Un jour, Carlo Benzi, devenu président de Coca-Coca Italie, est invité à Atlanta au siège du groupe américain. Il n’est jamais allé aux Etats-Unis. Il annonce à Enzo Ferrari que, du fait de ce voyage, il ne pourra pas assister avec lui au prochain Grand Prix. Le patron fait part de sa contrariété :

  • C’est très ennuyeux, Benzi !
  • Oh, il y aura d’autres Grands Prix !
  • Oui, mais il y aura peut-être quelqu’un d’autre à ta place !

Accusé de monter ses pilotes les uns contre les autres, Enzo Ferrari a connu beaucoup de morts parmi ses troupes : Giuseppe Campari en 1933, Guy Moll en 1934, Alberto Ascari en 1955 (parti chez Lancia depuis 1954 cependant), Alfonso de Portago en 1956, Luigi Musso et Peter Collins en 1958, Wolfgang von Trips en 1961, Lorenzo Bandini en 1967, Gilles Villeneuve en 1982 …

Dans un éditorial, l’Osservato Romano, journal officiel du Vatican faisant référence à un célèbre tableau du peintre espagnol Francisco Goya, décrivit Enzo Ferrari comme un Saturne des temps modernes, devenu capitaine d’industrie, mais qui continue à dévorer ses enfants pour nourrir sa légende.

Champion du monde pour Maranello en 1961, l’Américain Phil Hill apporta sa pierre au procès : Je n’étais pas le type de pilote qu’aimait Enzo Ferrari. Je ne voulais pas devenir l’un de ses agneaux sacrificiels.

La veille de son décès aux Mille Miglia, le pilote espagnol Alfonso de Portago disait ceci à Louise et Peter Collins ainsi qu’Olivier Gendebien et Wolfgang von Trips : La vie est faite pour être vécue pleinement. Il vaut mieux vivre pleinement pendant trente ans plutôt que d’être à moitié mort pendant soixante.

Autre pilote de légende de la Scuderia, Tazio Nuvolari avait aussi conscience du danger extrême de la compétition automobile à haute vitesse, disant ceci à Enzo Ferrari en 1932 à Modène au départ de la Targa Florio : On dit que tu es un bon gestionnaire, mais je m’aperçois que ce n’est pas vrai. Tu aurais dû me faire réserver un aller simple car, lorsqu’on part pour une course, il faut prévoir l’éventualité d’un retour dans une boîte en sapin.

Quand Lorenzo Bandini décédera en 1967 à Monaco, sa mort inspire au saxophoniste Barney Wilen un requiem free-jazz.

Une seule anecdote permet de comprendre à quel point Enzo Ferrari était admiré de tous, plébiscité comme un des plus grands noms du sport automobile de tous les temps, et à quel point son charisme a touché tous les pilotes pendant plusieurs générations.

En avril 1985 après la course inaugurale de Rio de Janeiro, René Arnoux est remplacé manu militari par Stefan Johansson, un protégé du comte Zanon qui a déjà permis le recrutement d'Alboreto. Le jeune Suédois était sous contrat avec Toleman mais Alex Hawkridge n'a fait aucune difficulté pour le libérer. Pour cet habitué des fonds de grille, recevoir une Ferrari est un don du ciel. C'est tout intimidé qu'il se rend à Maranello pour parapher son contrat. Même si je n'avais pas reçu le volant, le seul fait de rencontrer M. Ferrari, de parler avec lui m'aurait suffi. J'étais aussi ému que si j'avais rencontré la reine d'Angleterre, affirme le blond Scandinave.

René Arnoux, viré de façon brutale début 1985, garde cependant un souvenir ému de ses années Ferrari : Ferrari, c’est comme un arbre de Noël : un émerveillement perpétuel.

Même son de cloche chez Jean Alesi, lui aussi victime du fonctionnement byzantin de l’écurie italienne : Je suis entré chez Ferrari comme on entre en religion. Et, pendant cinq ans, j’ai conduit comme un tifoso aime voir conduire un pilote Ferrari : à 200 % tout le temps. La Ferrari, je l’ai toujours eue dans mon cœur.

Malgré la sympathie que le Commendatore eut pour John Surtees, il faudra attendre un certain Gilles Villeneuve, en 1978, pour voir Enzo Ferrari trouver enfin l'héritier tant attendu de Nuvolari.

Par son goût du risque, son absence totale de calcul, son sens permanent du défi, sa fougue ancrée viscéralement en lui, le funambule Canadien rappelle au Commendatore les plus belles heures de Nivola ...

Gilles Villeneuve déchanta pourtant au printemps 1982 quand il fut victime de la rouerie de Didier Pironi sur l'autodrome Dino Ferrari d'Imola.

Le communiqué d'Enzo Ferrari aurait pu être écrit par Ponce Pilate : Didier Pironi n'a pas interprété correctement les ordres venus du stand Ferrari. Je comprends la déception de Gilles Villeneuve.

Lapidaire, ce communiqué était bien neutre, et bien diplomatique pour un homme dont la colère pouvait s'abattre comme la foudre.

Cependant, le pilote canadien avait pris contact en 1981 avec deux escrocs milanais désireux de monter un projet d'écurie avec Camel, qui resta utopie puisque les deux Milanais n'avaient qu'un écran de fumée ... Et Enzo Ferrari ayant eu vent du projet, son estime pour Villeneuve en souffrit.

Mais avant que le Québécois ne devienne le soleil de Maranello entre 1978 et 1982, nombre de pilotes ont souffert de leur relation avec Enzo Ferrari. Ce dernier plaçait les intérêts de son écurie avant ceux de ses pilotes, comme le fit Colin Chapman pour Lotus suite au décès de Jim Clark en 1968, ou bien plus tard Ron Dennis chez McLaren, ainsi que Frank Williams.

Chapman ne fit qu'une exception, avec Mario Andretti, qu'il nomma n°1 en 1978 aux côtés de Ronnie Peterson. Le virtuose Suédois se retrouva n°2 car l'Italo-Américain avait mangé son pain noir depuis 1976 pour développer la Lotus à effet de sol.

Excepté Jim Clark et le cas très particulier de Mario Andretti, Chapman agissait pour Lotus comme Enzo Ferrari avec la Scuderia, la pérennité et le succès de l'entreprise d'abord.

Ce fut la raison principale des tensions entre Enzo Ferrari et Juan Manuel Fangio en 1956. Arrivé chez Ferrari après avoir songé à la retraite fin 1955 suite au désistement de Mercedes, le maestro argentin dut reprendre sa carrière quand le régime du général Juan Peron s'effondra à Buenos Aires. Mais dès 1957, Fangio défendait les couleurs de Maserati, que Ferrari abhorrait.

S'il rendit son prestige à Ferrari entre 1974 et 1977, avec le concours précieux de Luca Di Montezemolo et Mauro Forghieri, Niki Lauda ne fut jamais un intime de Ferrari. La fêlure Lauda / Ferrari intervint à l'automne 1976. Reprochant officiellement au Viennois son abandon sous la pluie au Mont-Fuji, Enzo Ferrari était surtout accusé par Niki Lauda de son commentaire après le retour emprunt de courage du champion du monde en titre, à Monza en 1976.

Le pilote autrichien et le Commendatore divergeaient sur l'attitude à adopter. Perdre sur la piste face à James Hunt en revenant après une convalescence bien courte, telle était la philosophie de Lauda, tandis que Ferrari aurait préféré voir l'Autrichien déclarer forfait, laissant la Scuderia perdre avec les honneurs, en finissant vainqueur moral du championnat 1976 contre McLaren.

Pour un Italien, perdre dans son lit est peut-être glorieux. Pas pour moi, déclara Lauda dans ce qui ressemblait ni plus ni moins à la rupture du cordon ombilical !

Et que dire du départ précipité de John Surtees après les 24 Heures du Mans 1966 ? Soupçonnant le directeur sportif Eugenio Dragoni de favoriser les pilotes italiens, le champion du monde 1964 claqua la porte de l'écurie italienne quand Dragoni lui annonça qu'il ne prendrait pas le départ du double tour d'horloge, en pleine lutte contre Ford. D’autres que Fangio en 1956, Surtees en 1966 ou encore Lauda en 1977 ont quitté Ferrari en mauvais termes …

Gilles Villeneuve en 1982 était furieux du traitement partial dont il avait été la victime au profit de Didier Pironi à Imola. Mais les dés étaient pipés, le directeur sportif Marco Piccinini étant le témoin de mariage du Français. Deux semaines après cette mascarade en Emilie-Romagne, le Canadien se tuait à Zolder, son courroux n’étant toujours pas retombé. Le champion québécois avait confié au journaliste anglais Nigel Roebuck qu’il ne se voyait pas poursuivre sa carrière à Maranello dans l’optique de la saison 1983, surtout si Pironi était maintenu. Villeneuve avait été déçu de voir le communiqué laconique du Commendatore du haute de sa tour d’ivoire romagnole, Enzo Ferrari ayant fait preuve d’une neutralité insupportable aux yeux du champion québécois.

En 1985, René Arnoux fut congédié de la Scuderia après le Grand Prix d’ouverture au Brésil. Dominé par Alboreto en 1984, le Grenoblois termina 4e de la course à Jacarepagua. Son coéquipier italien avait fini 2e à Rio de Janeiro derrière Prost, mais les raisons étaient tout autres. Le mystère n’a jamais été éclairci. Manque d’implication technique ? Relation adultérine du pilote français avec une femme de l’entourage du Commendatore ? René Arnoux lui-même n’a jamais levé le voile sur cette énigme …

En 1991, deux ans après avoir été recruté par Cesare Fiorio tel un Messie, Alain Prost commit le crime de lèse-majesté : critiquer son bolide écarlate à Suzuka, le comparant à un camion après un anonyme 4e place sur le juge de paix nippon … l’effet boomerang fut immédiat aux dépens du Français, le triple champion du monde coupable d’avoir franchi le Rubicon étant limogé par Piero Fusaro dans un réflexe pavlovien. Mais le Professeur, comme souvent, était lucide, Ferrari était à nouveau perdue dans les sables mouvants, loin de McLaren Honda et Williams Renault. Avant la reprise en main par Jean Todt en 1993, la disette de 1991 allait se poursuivre en 1992 …

Avant le passage définitif en 1996, avec l’axe Todt / Schumacher, à un modèle où le pilote n°1 devient la clé de voûte de l’écurie, Ferrari n’a jamais été une écurie de pilotes … La star, c’était le Cavallino Rampante et les deux voitures rouges qu’il ornait sur fond jaune, couleur de la cité de Modène, ville natale d’Enzo Ferrari en 1898.

Entre Juan Manuel Fangio en 1956 et Alain Prost en 1990, aucun champion du monde en titre ne vint garnir les rangs de Ferrari. Les raisons sont simples.

Primo, le Commendatore payait mal ses pilotes car il courut longtemps après l'argent, nerf de la guerre en compétition automobile. Esseulé face à l'armada Ford Cosworth mise sur pied en 1967, Enzo Ferrari se rangea sous la tutelle de FIAT et de Giovanni Agnelli en 1969.

Secundo, le contexte politique de la Scuderia a découragé bien des pilotes de venir défendre les couleurs du Cavallino Rampante, malgré son prestige incomparable. Ainsi, Jackie Stewart ne voulut pas compromettre sa carrière en signant dans une écurie trop byzantine ...

Tertio, le fait qu'Enzo Ferrari ne désigne pas vraiment de leader entre ses pilotes, joua un rôle, même si Colin Chapman fit de même chez Lotus après le décès de Jim Clark en 1968. La saison 1973 fratricide vécue chez Lotus par le Brésilien Emerson Fittipaldi et le Suédois Ronnie Peterson en témoigne.

Au final, en dehors des cas particuliers de Stirling Moss (brouillé avec Ferrari après l'épisode de Bari en 1951) et Jim Clark (viscéralement attaché à Lotus et Chapman), Enzo Ferrari ne put faire signer la plupart des vedettes des années 60, 70 et 80 : Graham Hill, Jackie Stewart, Jochen Rindt, Emerson Fittipaldi, Ronnie Peterson, Nelson Piquet, Keke Rosberg ou encore Ayrton Senna.

Il donna ainsi sa chance à d'authentiques espoirs de la F1 (et quelques pilotes confirmés), de Mike Hawthorn à Gerhard Berger, en passant par Peter Collins, Wolfgang Von Trips, Willy Mairesse, John Surtees, Chris Amon, Jacky Ickx, Niki Lauda, Clay Regazzoni, Carlos Reutemann, Gilles Villeneuve, Jody Scheckter, Didier Pironi, Patrick Tambay, René Arnoux, Michele Alboreto, Stefan Johansson.

Stefan Bellof était en contact avec le Cavallino pour 1986, mais il mourut en septembre 1985 à Spa Francorchamps. Lorsqu'Enzo Ferrari mourut le 14 août 1988, le dernier pilote qu'il avait engagé en F1 fut Nigel Mansell, deux fois vice-champion du monde avec Williams Honda, respectivement derrière Alain Prost et Nelson Piquet.

Cesare Fiorio prit les commandes de l'écurie italienne en 1989, et Nigel Mansell étrenna victorieusement la nouvelle Ferrari de John Barnard à Rio de Janeiro. Malgré les qualités de Mansell et Berger, deux gladiateurs de la vitesse, Fiorio comprit qu'ils ne pourraient mener la Scuderia à son Everest, le titre dont Maranello était orpheline depuis 1979 et la couronne mondiale de Jody Scheckter. Seuls deux hommes pourraient porter Ferrari au pinacle, deux pilotes de légende, deux titans qui se déchiraient en tant que coéquipiers dans l'écurie rivale de la Scuderia, McLaren-Honda.

Ron Dennis avait à la fois gagné et perdu son pari engagé fin 1987 en Lombardie, lorsqu'il avait présenté Alain Prost et Ayrton Senna dans l'optique de la saison 1988. Certes, la Dream Team qu’était McLaren Honda avait gagné haut la main les championnats constructeurs 1988 et 1989, certes Ayrton Senna avait été sacré champion du monde 1988 et Alain Prost champion du monde 1989. Certes, le Français et le Brésilien avaient cumulé 25 victoires, 30 pole positions et 14 doublés en seulement deux saisons.

Mais leur cohabitation, tendue à Estoril en 1988, était devenue explosive après le double épisode Imola - Pembrey de 1989. Déboulonnant l'idole de McLaren qu'était Prost depuis 1984, adulé par les motoristes de Honda, Ayrton Senna représentait l'avenir et devenait le fer de lance de Woking.

Clé de voûte de McLaren entre 1984 et 1987 malgré des coéquipiers tels que Lauda, Rosberg ou Johansson, Alain Prost était contraint à l'exil, l'ambiance ayant tourné à la guerre civile dans l'écurie anglo-japonaise.

Lançant des discussions secrètes avec Prost en plein été 1989 sur son voilier en Sardaigne, Cesare Fiorio réalisa la première étape de son plan, échafaudé puis présenté au président de Ferrari, Piero Fusaro, ainsi qu'au conseil d'administration de FIAT, en annonçant le recrutement du Français au Grand Prix d'Italie 1989, que Prost gagna devant des tifosi déchaînés par leur future idole.

Malgré l'ambiance volcanique qui avait régné chez McLaren-Honda, Fiorio voulait reconstituer l'exceptionnel tandem franco-brésilien au sein de Ferrari, persuadé qu'avec Prost et Senna, et leur incroyable valeur ajoutée, rien ni personne n'aurait pu résister à Maranello en 1991 et 1992 ...

Fiorio avait porté une première banderille à McLaren, restait à porter l'estocade en faisant venir Ayrton Senna.

Signant Prost pour 1990, ainsi que le génial ingénieur Steve Nichols (bien que perdant Giorgio Ascanelli qui accompagnait Berger dans le sens inverse), Cesare Fiorio approcha Senna durant le printemps 1990 à un moment où le Brésilien tardait à renouveler son contrat avec Woking.

Mécontent des développements du V10 Honda, mais surtout du comportement routier de sa McLaren, Senna mettait la pression sur Ron Dennis et Mansour Ojjeh.

Ayant obtenu un accord de Senna par fax dans l'optique de 1991, Fiorio jubilait secrètement quand il vit la situation lui échapper. Proche de terminer son puzzle magistral, Fiorio fut humilié par une terrible désillusion ...

Les guerres politiques internes avaient repris de plus belle à Maranello suite à la trilogie vertueuse de Prost en ce début d'été 1990, Mexico - Castellet - Silverstone.

Manipulé, Piero Fusaro fait torpiller le plan de Fiorio, tandis que Prost se sent trahi en apprenant la possible venue de Senna ... lequel se voit opposer un humiliant veto par son interlocuteur ... Quant à Fiorio, ses actes ne valaient pas à 100 % ses paroles, puisqu'il ne désavoua pas Nigel Mansell après le Grand Prix du Portugal 1990. L'Anglais avait sciemment bloqué son coéquipier Alain Prost au départ à Estoril, ruinant les chances du Professeur de bien figurer sur son circuit fétiche, si bien que le Français quitta la station balnéaire proche de Lisbonne avec un retard accru sur Ayrton Senna (18 points contre 16 après Monza).

Fin 1991, Alain Prost quittera la Scuderia, après un crime de lèse-majesté envers sa monoplace, qu'il traita de camion après avoir fini 4e à Suzuka.

1992 fut une nouvelle disette pour Ferrari, année qui vit Luca Di Montezemolo effectuer son retour au bercail à la demande express de l'Avvocato Agnelli.

En 1993, Montezemolo prit la meilleure décision de son mandat en faisant appel à Jean Todt, chef d'orchestre de tant de victoires avec Peugeot, en rallye, sur le Paris-Dakar ou aux 24 Heures du Mans.

Frustré de ne pouvoir monter une équipe de F1 avec Peugeot, suite au refus irrévocable que lui opposa le grand patron Jacques Calvet, Todt succomba aux sirènes de Ferrari, Montezemolo ayant été aiguillé vers le Français par trois sources fiables : Niki Lauda, le Viennois étant devenu conseiller spécial de la Scuderia, Jean Sage, ancien de la Régie Renault qui avait admiré Todt en tant qu'adversaire, et Bernie Ecclestone en personne !

Immédiatement, Jean Todt se mit en quête du meilleur pilote possible pour Maranello. Sans leur faire injure, aucun des titulaires présents en 1993 chez Ferrari, ni Jean Alesi ni Gerhard Berger, ne représentait ce rôle de leader d'exception. Jean Todt explique lui-même sa démarche : Comme je ne sais jouer d’aucun instrument, je suis devenu chef d’orchestre. Mon rôle est simple : assembler les talents. Je dois donc réunir les hommes qui feront gagner Ferrari.

Ce que Todt cherchait, c'était un as, un pilote capable d'enchaîner les exploits, d'agir en catalyseur en fédérant tout le garage derrière lui par son charisme et par sa volonté, quelqu'un capable d'accomplir la quadrature du cercle, c'est-à-dire l'impossible, un pilote capable de tirer la quintessence d'un bolide de F1.

Seuls trois pilotes répondaient à ce critère en 1993, Alain Prost et Ayrton Senna, puis le jeune espoir allemand Michael Schumacher à un degré moindre. Le Français (38 ans) mettant un terme à son parcours de champion après une quatrième couronne gagnée par Williams-Renault, victime de l'usure du pouvoir, le choix de Jean Todt se porta logiquement sur le Brésilien (33 ans), le Mozart allemand (24 ans) devant encore s’aguerrir et corriger son inexpérience : 158 Grands Prix fin 1993 pour Senna contre 38 seulement pour Schumacher. On comprend que le premier choix de Todt était donc Senna, bien que Schumacher incarnait plus l’avenir et le long terme.

Mais l'ancien copilote de Guy Fréquelin avait deux problèmes majeurs à résoudre : primo, Ferrari avait un énorme passif envers le natif de Sao Paulo suite au vexant épisode de 1990, secundo, Senna n'avait plus de temps à perdre après deux saisons moyennes vécues chez McLaren, ponctuées de quelques prouesses (Monaco 1992, Interlagos 1993, Donington 1993), s'il voulait égaler les cinq titres mondiaux de l'Argentin Juan Manuel Fangio.

Attendant le titre de champion du monde depuis 1991, Senna voulait à tout prix le réconquérir en 1994. Ron Dennis ne pouvant plus lui offrir l'arme fatale suite à la défection de Honda fin 1992, le Brésilien savait son destin irrémédiablement divergeant de celui de McLaren, et convergeant vers Williams. Il quittait donc Woking pour rejoindre Williams-Renault, meilleure écurie du plateau, bénéficiant de l'expertise moteur du Losange et de la virtuosité d'Adrian Newey, ingénieur à l'imagination fertile en matière d'aérodynamique.

Cependant, Senna n'était pas insensible au mythe Ferrari. Début 1994, plusieurs éléments jouèrent en faveur de Todt et Ferrari. Déçu par l'accueil froid de Frank Williams et Patrick Head, Ayrton Senna était surtout furieux du scénario catastrophe qui allait se jouer en 1995 : Williams perdrait l'exclusivité du V10 Renault, le Losange équipant Benetton après un intense lobbying de Flavio Briatore, lequel avait subtilement racheté Ligier pour parvenir à ses fins.

Le triple champion du monde brésilien, via son agent Julian Jakobi, discutait donc avec Ferrari pour 1996 quand il fut victime d'un terrible accident à Imola le 1er mai 1994.

Depuis 1992, Senna était essoufflé sur le plan psychologique, ayant accepté en décembre 1992, à l’invitation de son compatriote et idole de jeunesse Emerson Fittipaldi, d’essayer une monoplace d’Indycar, une Penske en l’occurrence, sur le petit circuit de Firebird, situé près de Phoenix.

Le décès soudain d'Ayrton Senna à Imola ruinait la stratégie de Jean Todt, sauf que le grand espoir de la F1 fit plus que confirmer son talent dans une élite des pilotes orpheline de l'archange Brésilien.

Double champion du monde en 1994 et 1995, Michael Schumacher enchaîna les performances de grande classe avec Benetton, dominant nettement Damon Hill deux saisons consécutives. Dans l'esprit de Todt, il était clair que l'Allemand était bien plus qu'un espoir ayant confirmé son talent, Schumacher était le pilote de la décennie à venir, celui qui allait pérenniser les exploits.

Dès juin 1995, alors que Jean Todt avait jeté son dévolu sur le Kaiser, les négociations débutaient avec Willi Weber, approché par Niki Lauda, alors conseiller spécial de la Scuderia, du fait de sa proximité avec Luca Di Montezemolo (son directeur sportif chez Ferrari en 1974 et 1975).

Une fois l’hameçon mis par le Viennois sur l’agent du pilote allemand, Todt rencontre Weber dans un des restaurants de l'aéroport de Nice, quelques jours après une autre rencontre cruciale dans les salons VIP du même aéroport, entre Luca Cordero Di Montezemolo et John Hogan, président de Philip Morris Europe en charge du marketing. Le marquis demandait à Marlboro, sponsor de commun de Ferrari et McLaren-Mercedes, sa neutralité active pour favoriser le transfert de Schumacher en Italie.

Car Montezemolo savait très bien que Mercedes, malgré un échec fin 1993 face à Benetton pour faire de Schumacher le coéquipier de Karl Wendlinger chez Sauber Ilmor, reviendrait à la chasse vers son ancien protégé.

Formé par Jochen Neerspach en 1989 et 1990 à Stuttgart, Michael Schumacher avait une dette d'honneur qu'il ne soldera en 2010 envers Mercedes ... durant sa seconde carrière.

Frustré de ne pouvoir remplacer Felipe Massa en 2009 après l'accident du Pauliste à Budapest, le Kaiser répondit favorablement à l'appel de son vieux complice Ross Brawn, dont Mercedes avait racheté l'équipe Brawn GP, phénix né des cendres de Honda fin 2008.

McLaren-Mercedes, via Ron Dennis et Norbert Haug, échouèrent contre Ferrari en 1995 dans la négociation avec Willi Weber sur deux points cruciaux : primo, le niveau financier du contrat de Schumacher, secundo le statut de premier pilote.

Ron Dennis mettant un veto irrévocable au deuxième point, et bien que Mercedes ne pouvait surenchérir FIAT - Ferrari sur le premier, Maranello l'emporta donc relativement aisément sur Woking - Stuttgart. Et Schumacher apporta à Ferrari 72 victoires, 58 pole positions, 116 podiums, 5 titres mondiaux des pilotes et 6 titres mondiaux des constructeurs entre 1996 et 2006, où il quitta la compétition après une ultime chevauchée fantastique à Interlagos.

En 1995, Jean Todt apportait à Weber un cadeau en forme de pain béni dans la corbeille de mariage : l'opportunité d'utiliser le logo Ferrari pour tout produit dérivé estampillé Michael Schumacher, une véritable poule aux oeufs d'or ...

Mais si Ferrari attendait Schumacher, la réciproque n’était pas vraie au début. C’est Willi Weber, agent du pilote allemand, qui façonna l’esprit de son protégé, plus attiré par McLaren Mercedes en premier lieu.

C’est que le champion de Kerpen avait une dette envers la firme à l’étoile. Stuttgart, via Jochen Neerspach, avait aidé le jeune espoir en 1991 au moment de remplacer Bertrand Gachot chez Jordan, et plus encore pour négocier avec Flavio Briatore et Tom Walkinshaw afin de mettre le pied à l’étrier à leur diamant brut dans un top team, Benetton. Lors du fameux épisode du Villa d’Este avant le Grand Prix d’Italie 1991, Bernie Ecclestone avait tranché en faveur de Benetton, ayant besoin d’un futur champion du monde potentiel pour développer le merchandising de la F1 outre Rhin.

Décédé en 1985 à Spa Francorchamps, Stefan Bellof n’avait pu incarner longtemps cet espoir. Mais Willi Weber, ancien gérant de discothèques, avait repéré fin 1988 un jeune homme pilotant de façon merveilleuse sous la pluie. Weber misa l’équivalent de 300 000 euros sur Michael Schumacher, qui n’avait pas encore fêté ses 20 ans, sans être certain d’en revoir le premier sou. Son intuition est l’argument à opposer à ceux qui traitent Willi Weber de vautour, via son surnom Monsieur 10 %.

Weber expliqua à son poulain le prestige historique de la Scuderia Ferrari, supérieur à celui de McLaren, qui restait cependant l’écurie dominante de la période 1984-1993 avant que Williams et Benetton ne prennent le relais au sommet de la F1 …

McLaren offrait plus financièrement que Ferrari, mais Woking était encore moins compétitive que Maranello en 1995. Côté anglais, 30 malheureux points et 2 misérables podiums (Mika Häkkinen à Monza et Suzuka). Côté italien, 1 victoire (Jean Alesi à Montréal), 1 pole position (Gerhard Berger à Spa Francorchamps), 73 points au compteur et 10 podiums (4 pour Jean Alesi à Imola, Montréal, Silverstone et au Nürburgring, 6 pour Gerhard Berger à Interlagos, Buenos Aires, Barcelone, Monaco, Hockenheim et Budapest). Certes, c’était pour la Scuderia un bilan bien modeste comparé à la razzia du clan Renault, incarné par son aigle bicéphal Didcot / Enstone, alias Williams / Benetton. Mais Ferrari était nettement devant McLaren Mercedes en 1995, Woking étant en pleine jachère (depuis fin 1993 et la victoire d’Ayrton Senna en Australie), là où le Cavallino Rampante avait mis fin à sa propre disette de quatre ans durant le mois de juillet 1994 à Hockenheim (succès de Gerhard Berger en Allemagne, le précédent pour les bolides écarlates étant celui d’Alain Prost en septembre 1990 à Jerez en Espagne).

C’est ainsi que le 20 novembre 1995 à Estoril, ceint d’une combinaison blanche (son contrat Ferrari ne démarrant que le 1er décembre 1995), Michael Schumacher le stakhanoviste, travaillait déjà aux premiers essais privés avec John Barnard.

Le Baron Rouge devenait, après le comte Wolfgang Von Trips qui lui avait légué la fameux piste de karting de Kerpen, le deuxième pilote allemand de l’Histoire de la Scuderia Ferrari, celui qui Stefan Bellof n’avait pu devenir. Approché pour 1986 par Maranello, Bellof était mort en septembre 1985 à Spa Francorchamps.

Attendu comme le Messie par l’écurie italienne, Michael Schumacher était prophétisé comme tel par l'Avvocato Agnelli en personne : Si nous ne gagnons pas avec Schumacher, ce sera la faute de l'écurie et nous ne gagnerons avec personne !

En janvier 2003, Michael Schumacher fut le seul sportif invité aux obsèques du patriarche de Giovanni Agnelli, avec Michel Platini, meneur de jeu de la Juventus Turin qu'Agnelli avait comparé au torero Manolete et au danseur Nijinski. Véritable roi d'Italie avant Silvio Berlusconi, immortalisé par Andy Warhol dans un portrait, proche des stars d'Hollywood et de Cinecitta, Agnelli eut une vie hors du commun, et régna sur FIAT.

Voir Schumacher et Platini conviés aux funérailles de l'Avvocato en dit long sur l'impact que les deux champions eurent respectivement sur la Scuderia Ferrari et la Juventus, les deux satellites sportifs de l'empire FIAT. Et Ferrari rebaptisa son bolide de 2003 en hommage au grand patron disparu, F2003-GA, que Schumacher conduisit aux deux couronnes à Suzuka. L'Allemand dépassait ainsi le mythe Fangio avec un sixième titre mondial record (1994, 1995, 2000, 2001, 2002, 2003) ...

Ce qui était resté utopique pour Alain Prost, concurrencé par Ayrton Senna, et pour le Brésilien, interrompu comme Jim Clark bien avant lui dans sa trajectoire dorée, devenait réalité pour le Kaiser. En 2004, Schumi enfonça le clou avec un septième titre record qui fait de lui l'indiscutable plus grand pilote de l'Histoire sur le plan du palmarès, donnant ainsi raison à la stratégie initiale de Jean Todt, tous pour un.

Fin 2003, Alain Prost louait aussi le système créé par Schumacher chez Ferrari, système vertueux lui ayant permis de dominer dans la continuité : coéquipier volontairement inoffensif, ingénieurs dédiés, relation privilégiée avec le manufacturier de pneus Bridgestone (oeuvre de Jean Todt qui coupa l'herbe sous le pied de McLaren en 2001), stabilité des effectifs au sein des fonctions clés du bureau d'études, convergence de l'équipe vers un objectif unique ...

Après avoir recruté Schumacher fin 1995, Todt eut l'intelligence de construire l'équipe autour de lui : pas de fauve comme coéquipier, comme Ayrton Senna l'avait exigé de Lotus en 1986 au moment de mettre un veto à la venue de Derek Warwick. Le sherpa rebelle Eddie Irvine, l’agneau sacrifié Rubens Barrichello et le jeune disciple Felipe Massa furent donc trois coéquipiers du Kaiser en Italie, nullement menacé en interne par les plus brillants de ses contemporains, Mika Häkkinen, Juan Pablo Montoya, Fernando Alonso ou encore Kimi Raikkonen.

Un exemple particulièrement intéressant de l’osmose entre le pilote allemand et l’écurie italienne est la demande de Michael Schumacher de faire construire une salle de musculation à Fiorano. Le besoin du Kaiser de faire du sport chaque jour pour entretenir sa condition physique est viscéral.

En septembre 1994, suspendu par la FIA à Monza et Estoril, l’Allemand avait tiré le meilleur parti de son temps libre en s’entraînant de façon stakhanoviste dans les montagnes suisses, avant un retour triomphal à Jerez, gagnant le Grand Prix d’Europe avec Benetton Ford.

En mars 1995, Schumacher gagne le Grand Prix du Brésil 1995 à Interlagos, ouvrant la défense de son titre mondial par une victoire. Couronné en 1994, l’Allemand avait fait halluciner Gary Anderson, le directeur sportif de Jordan. Ce dernier partait tôt vers le circuit pauliste, et croisa le champion du monde de retour à l’hôtel après un footing, alors que le jour venait de se lever !

Quelques jours plus tard, l’incroyable condition physique de Schumacher lui sauve la vie. Parti avec sa future épouse Corinna ainsi que son agent Willi Weber faire de la plongée sur une île au large de Salvador de Bahia, Michael constate que le bateau a dérivé après une demi-heure passée sous l’eau avec son préparateur physique Harry Hawelka. Corinna et Willi se sont endormis, et après 45 minutes de sommeil, sont incapables de voir les plongeurs, cachés par les vagues de l’océan Atlantique. Michael Schumacher dut nager plus d’une heure pour rejoindre ses proches.

Ce fut les pires instants de mon existence, raconta le pilote Benetton durant le Grand Prix d’Argentine 1995. J’étais effrayé à mort. Quand je suis ressorti, il n’y avait personne en vue, pas de bateau. Plus tard, je l’ai vu, mais lui ne nous voyait pas. J’ai finalement largué mes bouteilles et mon gilet de sauvetage pour nager plus vite.

Complètement épuisé, Michael Schumacher ne dut sa survie, ce jour là, qu’à sa forme physique exceptionnelle.

Quelques mois plus tard, il était recruté par Jean Todt pour ce qui allait devenir un secret de polichinelle : son transfert chez Ferrari en vue de 1996, transfert aidé par l’intervention de Shell, pétrolier qui remplacerait fin 1995 Agip auprès de la Scuderia. Les 25 millions de dollars décisifs furent trouvés, même si McLaren et Mercedes, via Ron Dennis et Norbert Haug, proposaient encore plus.

L’argent est important, c‘est évident, indiqua Schumacher. Mais ce ne fut pas le point le plus important. J’avais une autre écurie qui m’offrait encore davantage.
Mais le patron de Woking ne voulait pas donner un contrat de pilote n°1 à Schumacher, ce qu’il fit pourtant dans les faits avec d’autres champions, brisant maintes fois son credo théorique d’équité : Alain Prost avantagé par rapport à Niki Lauda en 1984-1985 puis face à Keke Rosberg en 1986, Ayrton Senna privilégié aux dépens d’Alain Prost en 1989, Mika Häkkinen favorisé au détriment de David Coulthard entre 1997 et 2000, Kimi Räikkönen mis en avant plutôt que Juan Pablo Montoya en 2005 et 2006, Lewis Hamilton cajolé au grand dam de Fernando Alonso en 2007 ...

Durant l’été 1995, Willi Weber avait un autre secret à défendre auprès des médias et autres paparazzi : le mariage de Michael et Corinna à la chapelle de Petersberg.

Au soir du Grand Prix de Hongrie 1995 à Budapest, Bernard Dudot, pierre angulaire du développement des moteurs V10 à Renault Sport, ne croyait toujours pas au départ du champion allemand vers Maranello : Je ne comprends pas absolument pas Michael. Nous avons prouvé aujourd’hui encore que notre moteur était le meilleur, et que les Ferrari terminaient à un tour … quand elles terminent ! Avec nous, il aurait encore pu remporter le championnat. Vraiment, je ne comprends pas.

Fin 1995, Ferrari était telle Rome après Néron ou Pompéi après l’éruption du Vésuve : un champ de ruines, un château de cartes, un tas de cendres attendant la résurrection du phénix …

Mais Dudot n’avait pas compris que Michael Schumacher voulait conquérir l’Everest par la face la plus difficile, et devenir le pilote Ferrari, comme Juan Manuel Fangio avait incarné Mercedes avec Alfred Neubauer, Jim Clark Lotus avec Colin Chapman, ou Ayrton Senna McLaren sous l’égide de Ron Dennis.

Le challenge proposé par Jean Todt en Italie était de redresser la plus prestigieuse écurie de la F1, présente sans discontinuer parmi l’élite du sport automobile depuis 1950. A la recherche de son lustre perdu, le Cavallino avait espéré le Graal depuis 1979 sans succès, avec les drames de Gilles Villeneuve et Didier Pironi en 1982, la belle occasion manquée par Alain Prost en 1990.

La surprise de Dudot fut partagée par beaucoup d’autres observateurs. L’explication du champion allemand est intéressante, lui qui a suivi la voie de Niki Lauda parti relever le défi du turbo avec McLaren TAG et Porsche entre 1982 ou d’Alain Prost qui accepta le loup Senna dans la bergerie en 1988 avant de relever le challenge Ferrari en 1990. Epiciers notoires en piste, l’Ordinateur et le Professeur avaient eu du panache dans leur gestion de carrière, refusant la facilité pour se construire un palmarès légitime.

J’aurais pu piloter pour Williams, raconta après son transfert le double champion du monde. J’avais reçu une offre de leur part, et il m’aurait suffi de baisser mon prix pour y aller. J’aurais pu devenir champion du monde une fois de plus, mais à quoi bon gagner sur la meilleure voiture du plateau ? J’avais passé quatre ans et demi chez Benetton. J’y ai connu des années fantastiques. J’avais atteint tous mes objectifs et je sentais que je ne pouvais plus progresser avec eux. Je cherchais un nouveau défi, une nouvelle motivation, un nouveau moyen de me développer. J’aime la vraie course, ce qui signifie se battre pour gagner. J’ai vraiment dû me battre pour décrocher mes victoires de 1995, aucune d’elles ne fut un cadeau. Si je compare mes neuf victoires avec les neufs victoires de Nigel Mansell en 1992, je constate qu’à plusieurs reprises, il avait pris un tour à tout le monde (*). Ca n’était pas le cas de mes victoires. Elles furent difficiles à conquérir, et c’est ce qui rend si satisfaisantes pour moi.

(*) Faux même si en 1992 Mansell écrasa plusieurs courses avec sa Williams Renault FW14 B : 24 secondes d’avance à Kyalami sur son dauphin Riccardo Patrese (Williams Renault), 29 secondes d’écart à Interlagos par rapport à son suivant Riccardo Patrese (Williams Renault), 23 secondes d’avance à Barcelone sur son dauphin Michael Schumacher (Benetton Ford), 46 secondes d’écart à Nevers Magny-Cours sur son premier poursuivant Riccardo Patrese (Williams Renault), 39 secondes de marge à Silverstone sur le deuxième Riccardo Patrese (Williams Renault) et 37 secondes d’avance à Estoril sur Gerhard Berger (McLaren Honda). En 1995 en revanche, l’avance record de Michael Schumacher (Benetton Renault) lors de ses victoires fut de 34 secondes à Monaco sur Damon Hill (Williams Renault), encore 31 secondes sur Damon Hill à Nevers Magny-Cours, de nouveau 19 secondes sur Damon Hill à Spa Francorchamps, 19 secondes devant Mika Häkkinen (McLaren Mercedes) à Suzuka, si l’on excepte les 51 secondes d’écart devant Johnny Herbert (Benetton Renault) à Barcelone. Mais dans son esprit, l’Allemand faisait référence au Grand Prix d’Europe 1995 arraché de justesse au Nürburgring devant la Ferrari de Jean Alesi, le bolide écarlate du Français ne cédant qu’à deux tours du terme dans l’Eifel.

Le postulat de Schumacher était le donc même que celui de Niki Lauda jadis, dans cette F1 orpheline de Prost retraité fin 1993 et de Senna décédé en 1994. L’ADN du champion allemand était de rechercher un vrai challenge, après des saisons 1994 et 1995 où Damon Hill n’avait pu le pousser dans ses retranchements. Le seul rival de Schumacher était l’ingénieur Adrian Newey plus que les autres pilotes du plateau 1995, les Damon Hill (Williams Renault), Gerhard Berger (Scuderia Ferrari), Jean Alesi (Scuderia Ferrari), Mika Häkkinen (McLaren Mercedes), David Coulthard (Williams Renault), Rubens Barrichello (Jordan Peugeot), Johnny Herbert (Benetton Renault), Eddie Irvine (Jordan Peugeot), Olivier Panis (Ligier Mugen Honda), Martin Brundle (Ligier Mugen Honda) ou encore Heinz-Harald Frentzen (Sauber Ford)

Le Kaiser n’exigeait qu’une seule chose en contrepartie de sa dévotion envers l’écurie italienne : pas de fauve à ses côtés dans le team, et une voiture construite pour lui par Ferrari.

D’autres ont pris le même chemin, tel le virtuose motard italien Valentino Rossi quittant en 2003 Honda pour Yamaha, Fernando Alonso partant en 2007 chez McLaren Mercedes ou Lewis Hamilton en 2013 chez Mercedes AMG.

Défendu en 1996 par son pilote vedette Schumacher devant la presse italienne qui réclamait sa tête après le terrible enchaînement Canada / France / Angleterre (abandons précoces d’Irvine et Schumacher à Montréal, Nevers Magny-Cours et Silverstone, avec 44 tours couverts par l’Allemand sur 202 possibles en 3 courses, et seulement 11 tours parcourus pour le Nord-Irlandais, soit un ratio catastrophique de 55 tours terminés sur 404 théoriques pour la Scuderia !), Jean Todt reconstitua le trio infernal de Benetton autour de Schumacher, allant chercher Ross Brawn pour 1997 ainsi que Rory Byrne, qui avait pourtant quitté la F1 à l'issue de la saison 1996, bien décidé à lancer un centre de plongée sous-marine en Thaïlande, sur l'île de Phuket.

Mais la persuasion de Todt eut raison du projet subaquatique du génial designer sud-africain, futur père des magistrales F2002 et F2004.

La presse transalpine avait donc réclamé sa tête durant l’été 1996, ce dont l’homme se souviendra par la suite : Il m’arrive de connaître des moments de désespoir chez Ferrari. Quand je suis seul à l’usine, à 23 heures. Ou quand nous plions bagage sur un Grand Prix, le dimanche à 14 heures 10.

Lorsqu’il présente la F300 en 1998, le marquis Luca Cordero Di Montezemolo met la pression à sa nouvelle équipe de rêve, qui vient de rater de peu le Graal fin 1997 à Jerez : en 1998, c’est la première fois depuis ma nomination que nous en sommes vraiment en position de gagner le championnat. Notre restructuration est terminée. La période de transition fut trop longue et parfois douloureuse. Aujourd’hui, tous les éléments sont réunis pour atteindre cet objectif.

La cible sera atteinte en 2000 à Suzuka, un an après la maigre consolation de Suzuka 1999 : titres pilotes pour McLaren Mercedes et Mika Häkkinen, couronne des constructeurs pour Ferrari. Le verdict rappelait 1994 : le meilleur pilote (Ayrton Senna en 1994, Michael Schumacher en 1999) avait été mis dans l’impossibilité de briguer le sceptre par un accident (mortel pour Senna à Imola, impact de convalescence pour Schumacher à Silverstone). Son challenger et rival avait donc gagné le titre in extremis (Michael Schumacher pour Benetton Ford en 1994, Mika Häkkinen pour McLaren Mercedes en 1999), tandis que l’écurie rivale gagnait chez les constructeurs (Williams Renault en 1994, Ferrari en 1999).

Jean Todt apporte au Cavallino Rampante deux armes dont cette institution byzantine n’avait jamais disposé en cinquante ans de F1 : la stabilité et la sérénité. Todt s’en expliquait en 2001 : C’est une opération complexe. Il faut d’abord choisir, convaincre et réunir des hommes de talent. Qui doivent apprendre à se connaître. Ensuite à travailler ensemble, puis se respecter et enfin s’aimer les uns les autres. Nous en sommes arrivés là. La Scuderia puise sa motivation dans les liens affectifs qui unissent les hommes qui la composent.

Pour la première fois depuis Alberto Ascari en 1952 et 1953, Ferrari réussissait le doublé en 2000 et 2001 : tous les autres pilotes sacrés champions du monde avec le cheval cabré avaient perdu le titre l’année suivante, sauf Fangio en 1957, mais l’Argentin était passé chez le rival Maserati ! De façon plus globale, seuls Brabham (1959 et 1960 avec Cooper Climax), Alain Prost (1985 et 1986 avec McLaren TAG Porsche), Ayrton Senna (1990 et 1991 avec McLaren Honda), Michael Schumacher (1994 et 1995 avec Benetton Ford puis Benetton Renault) et Mika Häkkinen (1998 et 1999 avec McLaren Mercedes) avaient réussi à conserver leurs lauriers depuis Ascari et Fangio.

Mike Hawthorn en 1959 était décédé dans un accident de voiture de tourisme, mais le gentleman driver avait de toute façon pris sa retraite, écœuré du sport automobile par le décès de son ami proche Peter Collins. Et il était condamné par une maladie rénale. L’Australien Jack Brabham lui avait succédé au palmarès.

Phil Hill en 1962 avait laissé son homonyme britannique Graham Hill (BRM) lui succéder au palmarès du championnat du monde, ouvrant une ère pour les pilotes de Sa Majesté jusqu’en 1973, que seuls l’Australien Jack Brabham (1966), le Néo-Zélandais Denny Hulme (1967) et l’Autrichien Jochen Rindt (1970) allaient contrecarrer.

John Surtees en 1965 avait plié sous le joug de l’OVNI Jim Clark (Lotus Climax) qui toisait tout le peloton avec son irrésistible Lotus 25. Trop fort, l’Ecossais avait cannibalisé la saison 1965 avec sa monoplace.

Niki Lauda en 1976 avait perdu le titre après l’accident du Nürburgring, manquant deux Grands Prix (Zeltweg et Zandvoort) et jetant l’éponge sous la pluie du Mont Fuji, ce qui avait ouvert la voie au titre de son rival James Hunt (McLaren Ford Cosworth)

Niki Lauda en 1978 était parti chez Brabham Alfa Romeo, cédant aux sirènes de Bernie Ecclestone, lassé d’avoir été traité comme un paria par Maranello (qui ne lui pardonnait pas son abandon de Fuji fin 1976, et encore moins son retour trop rapide à Monza à la fin de l’été 1976), le tandem Carlos Reutemann / Gilles Villeneuve étant de toute façon surclassé par les flèches noires Lotus Ford Cosworth du duo Mario Andretti / Ronnie Peterson, F1 pionnières au niveau de l’effet sol (wing cars).

Jody Scheckter en 1980 avait bu le calice jusqu’à la lie avec une médiocre 312 T5, réalisant la saison de trop avec le n°1 sur le capot de son bolide écarlate, avant de prendre sa retraite sur une paradoxale onzième et dernière place à Watkins Glen pour son ultime apparition parmi l’élite du sport automobile de vitesse, acclamé par ses mécaniciens.

A peine le Kaiser Schumacher avait-il donc coupé la ligne d’arrivée en vainqueur en terre magyar en ce dimanche 19 août 2001 que le téléphone retentit au domicile de Rory Byrne, en Italie. A l’autre bout du fil, le marquis Luca Cordero di Montezemolo, président de Ferrari : C’était Montezemolo. Il m’a dit qu’un jet privé m’attendait à l’aéroport de Bologne, prêt à décoller pour Budapest, afin que je puisse fêter le titre avec l’équipe.

Un an plus tard, durant l’été 2002, Ferrari triomphe à Nevers Magny-Cours, Michael Schumacher égale les cinq titres du mythique pilote argentin Juan Manuel Fangio. Dans l’euphorie de cet inoubliable dimanche 21 juillet 2002, Jean Todt téléphone à Jean-Claude Dray, le propriétaire de l’hôtel de la Renaissance, l’unique hôtel du village de Magny-Cours, pour retenir l’intégralité du restaurant. La soirée fut très chaude après ce Grand Prix de France victorieux.

Le dîner fut de haute qualité avec du foie gras, un filet de charolais, des légumes, un large choix de fromages, des sorbets, le tout arrosé de champagne et d’un sancerre rouge. Le Kaiser Michael Schumacher avait mis un point d’honneur à arriver dans les premiers pour accueillir en personne tous les techniciens et autres collaborateurs de la Scuderia, avec un petit mot ou une bourrade amicale pour chacun. Le nouveau quintuple champion du monde s’était même permis de fumer un énorme havane pour cette occasion !

Car n’on égale pas tous les jours un mythe comme le maestro Fangio, que le Baron Rouge dépassera statistiquement en octobre 2003 avec un sixième titre, conquis à Suzuka au Japon …

Le plus beau symbole de cet âge d’or de 1999-2004 est la vente aux enchères chez Sotheby’s à New York le 16 novembre 2017, au milieu de chefs-d’œuvre de l’art contemporain signés Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol et Roy Lichtenstein, de la F2001 de Michael Schumacher, précisément du bolide écarlate vainqueur du Grand Prix de Monaco en 2001. Avant d’être cédée pour 7.5 millions de dollars, la monoplace du Kaiser avait été exposée au Rockefeller Center de New York, lors d’une exposition historique à l’occasion des 70 ans de la Scuderia Ferrari.

Sacrifiant Eddie Irvine puis Rubens Barrichello sur l'autel de la victoire au mépris de toute émulation, de toute compétition interne, celle qui avait fait tout le sel des joutes Prost / Senna chez McLaren-Honda en 1988 et 1989, Jean Todt porta donc au paroxysme sa stratégie pro-Schumacher à Spielberg en 2002.

En Autriche, le directeur de la gestion sportive de Ferrari allait franchir le Rubicon ...

La F2002 tutoyait la perfection et le Kaiser caracolait déjà en tête du championnat du monde après quatre victoires en cinq courses (Albert Park, Interlagos, Imola et Barcelone). Dominé de façon nette et sans bavure par son coéquipier brésilien durant tout le week-end autrichien, le quadruple champion du monde, aidé par les injonctions répétées de Todt et Brawn envers Barrichello par radio (Let Michael pass for the championship !), dépassa Rubinho dans l'ultime virage, provoquant le courroux du public de Spielberg.

En refusant, alors qu’il venait de signer un nouveau contrat nanti de dollars, le Brésilien aurait ouvert une boîte de Pandore, libérant des démons incontrôlables comme pour Carlos Reutemann en 1981 chez Williams ; l’Argentin avait alors ignoré les consignes de Didcot pour gagner sous la pluie de Rio de Janeiro, devant le champion du monde sortant Alan Jones. Marginalisé par Frank Williams et Patrick Head, Lole l’avait ensuite payé cash, craquant mentalement à Las Vegas pour l’épilogue de cette saison 1981 face à Nelson Piquet.

Rubens Barrichello, loin d’imiter Carlos Reutemann, s'est aplati sur la piste, s’est couché devant Radio Todt ; Ayrton Senna doit se retourner dans sa tombe du cimetière de Morumbi, à Sao Paulo. Rubens en fera de même devant les caméras. La raison est simple, même s’il tentera de l’enjoliver quelques années après et d'ajouter des détails peu crédibles. S’il a cédé, c’est parce que son logiciel interne le lui a imposé. Ainsi que le nouveau contrat qu’il vient de parapher. Je viens de resigner pour deux ans avec Ferrari. Je n'avais pas le choix. Je traverse une période plutôt agréable, je deviens un meilleur pilote et j'en gagnerai d'autres. Michael m'a donné le trophée, je le ramènerai à la maison ce soir. Rubinho a donné le bâton pour se faire battre. Ferrari le tenait déjà très fort. Elle ne le lâchera jamais.

Conspué sur le podium autrichien après cette arrivée ubuesque, Schumacher n'avait pas besoin de cette victoire arrangée, ce qui écorna le prestige de son cinquième titre mondial, l'année où il égalait le mythe Juan Manuel Fangio, la preuve étant qu'il termina le championnat du monde 2002 avec une kyrielle de records : 17 podiums en autant de courses, 144 points (sur 170 possibles) soit 67 d'avance sur son dauphin Rubens Barrichello, 11 victoires. Ferrari n'était pas en reste, avec 15 victoires dont 9 doublés en 17 courses, presque aussi bien que les 10 doublés et 15 victoires en 16 courses de McLaren Honda en 1988.

Mais une énorme différence subsistait entre 1988 et 2002. Là où Prost et Senna avaient enthousiasmé le monde entier par un duel d'anthologie, repoussant sans cesse leurs limites dans des joutes inoubliables (Monaco, Mexico, Montréal, Castellet, Silverstone, Budapest, Suzuka), l'hégémonie implacable de Ferrari et Schumacher provoquait l'ennui des spectateurs et aficionados de la F1 en 2002, ce qui porta un coup fatal aux audiences télévisées de la discipline, au grand dam de Bernie Ecclestone.

Mais comment attendre autre chose de Jean Todt, lui qui avait supprimé toute compétition chez Peugeot en 1989 sur le Paris-Dakar, offrant à pile ou face la victoire à Ari Vatanen au détriment de son coéquipier Jacky Ickx ?

Quand Jean Todt, boss de la Scuderia, est venu débaucher Rubens Barrichello chez Stewart durant l’été 1999, il lui a promis de le traiter comme un roi. Comme le roi, ce qu’explique le pilote brésilien : Jean est venu me voir, le deal a été rapidement conclu. Je lui ai dit 'si vous m'offrez un contrat pour rester derrière Michael, je préfère vous dire merci beaucoup mais je reste où je suis'. Jean m'a répondu : 'non, non, non, on ne veut pas faire ça.'

Barrichello ne va pas tarder à se rendre compte que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Les dés sont pipés. Bien comme il faut. Michael Schumacher est déjà double champion du monde (1994, 1995) et un pilote à part, qui n'accepte pas que le monde ne tourne pas autour de sa personne, comme Ayrton Senna entre 1985 et 1987 chez Lotus : écœurement d’Elio de Angelis, veto sur le recrutement de Derek Warwick ... Demandez donc à Johnny Herbert, son coéquipier chez Benetton Renault en 1995, qui fut privé des datas du Kaiser le jour où ce dernier se rendit compte que le Britannique avait des vues sur le titre mondial.

Rubinho est devenu le coéquipier d'un pilote despote. Au début de la saison 2000, je me rends compte que le mulet est seulement paramétré pour Michael, se souvient Barrichello. Pourquoi ? Parce que c'est dans le contrat de Michael. Le mulet est toujours préparé pour lui, lui répond-on dans les couloirs de Maranello. Moi, dans mon contrat, il n'y avait rien sur le sujet. J'ai fini par découvrir qu'il y avait beaucoup de choses dans les contrats de Michael qui n'étaient pas spécifiées dans le mien. Ça peut sembler manichéen mais le bon Rubens s'est fait manger tout cru par le machiavélique Michael. Le Pauliste croyait naïvement regarder Schumacher dans le blanc des yeux. Mais fin 1999 à Kuala Lumpur, par une course magistrale sur le nouveau circuit de Sepang, l’ogre de Kerpen avait montré à tous qu’il allait toiser le reste de la F1 pour l’an 2000 …

La période 1994-1999 reposait sur un axiome fragile : l’Allemand ne pilotait pas la meilleure voiture (la Williams Renault de 1994 à 1997, la McLaren Mercedes en 1998-1999) et l’intérêt du championnat du monde de F1 reposait là-dessus. Sans égaler la madeleine de Proust du duel de titans Prost / Senna entre 1988 et 1993, ère pour qui les aficionados ont les yeux de Chimène, cette période de six années fut indécise avec cinq titres acquis lors de l’ultime course : Adelaïde 1994 (M. Schumacher), Suzuka 1996 (D. Hill), Jerez 1997 (J. Villeneuve), Suzuka 1998 et 1999 (Häkkinen).

Seule la saison 1995, avec l’Allemand sacré à Aïda deux courses avant la fin du Mondial, fait exception. Entre 2000 et 2004, ce sera l’inverse. A Suzuka en 2003, Schumacher (aidé par Barrichello) l’emporte in extremis devant le jeune espoir finlandais Iceman alias Kimi Räikkönen.

Pour le reste, ce sera maîtrise avec sueurs froides (Suzuka 2000, une course avant la fin de saison), promenade de santé (Budapest 2001, quatre courses avant la fin de saison), climax de l’hégémonie Ferrari (Nevers Magny-Cours 2002, six courses avant la fin de saison) et nouveau pinacle (Spa Francorchamps 2004, cinq courses avant la fin de saison) … Pantagruel insatiable de cette Dream Team 2.0, l’Allemand joue à une sorte de concours Lépine, s’amusant à gagner le titre dans une course différente chaque année, de préférence en Europe, bien avant la fin de saison en Extrême-Orient … Tout le plateau va passer sous les fourches caudines de ce pilote presque invincible, et qui fend l’armure en 2000 à Monza au moment d’égaler les 41 succès de son idole de jeunesse, Ayrton Senna, avec des trémolos dans la voix. En 2003 à Imola, le Kaiser gagne sur l’autodrome Enzo e Dino Ferrari avec un crêpe noir au lendemain du décès de sa mère Elisabeth. Jean Todt assure la conférence de presse à la place de son pilote de vedette. Pour le reste, l’émotion reste au placard : la F1 devient aussi intéressant que de regarder l’herbe pousser ou la peinture sécher. Les doublés Ferrari, neuf fois sur dix dans l’ordre Schumacher / Barrichello, s’enfilent comme des perles ... Maranello cannibalise une F1 où Woking se fait implicitement exclure en 2001 par Bridgestone du statut d’écurie de développement …

Les troupes de Ron Dennis, occupées à construire la nouvelle usine du Paragon jusqu’en 2003, doivent partager le statut d’écurie privilégiée chez Michelin. Excepté en 2003, Bibendum ne tiendra pas la dragée haute aux gommes japonaises, qui seront essentielles dans le niveau stratosphérique, pour ne pas dire stellaire, atteint par le Cavallino Rampante en 2002 et 2004.

La razzia peut donc commencer dès le Grand Prix d’Australie 2000, l’OVNI Schumacher est prêt à enchaîner les fulgurances, avec parfois un petit supplément d’âme : Nürburgring 2000, Suzuka 2000, Sepang 2001, Spa Francorchamps 2002, Imola 2003, Montréal 2003, Monza 2003, Indianapolis 2003, Nevers Magny-Cours 2004 ...

Les actes de bravoure sont bien rares face à un Kaiser invulnérable : dépassements d’anthologie d’Häkkinen à Spa Francorchamps en 2000, de Montoya à Interlagos en 2001 … Tel Siegfried investi du sang du dragon Fafnir, Schumacher est donc presque invincible, pérennisant les exploits en tutoyant la perfection. Mais s’il s’attire tous les superlatifs, le pilote de Kerpen voit le jeune as d’Oviedo Fernando Alonso franchir le Rubicon en 2003 à Budapest : l’Asturien prend un tour au quintuple champion du monde. A l’usine d’Enstone de Renault F1, le Taureau des Asturies fait une croix sur l’Allemand, qu’il espère succéder dans le panthéon. Ce sera le cas, l’Espagnol décrochera le Graal, mais en 2005 seulement, le binôme Enstone / Viry s’alignant sur la stratégie de Ferrari avec Alonso leader incontesté du top team français devant Giancarlo Fisichella, trop sensible à la pression, à l’inverse d’un Nelson Piquet qui en rigolait : La pression ? Je la mets dans les pneus …

L’Allemand ne fera donc qu’une seule concession au Brésilien, minime : leurs casques se ressemblant trop en 2000, Michael Schumacher en change pour le Grand Prix de Monaco, avec un drapeau allemand à l’arrière d’un casque entièrement rouge. La légende du Baron Rouge est née, en écho à l’as de l’aviation Manfred von Richthofen, plus grand as allemand de la Première Guerre Mondiale (81 victoires en combats aériens) … Tant pis pour Rubens Barrichello, comme pour le reste de la meute … Le Goliath allemand abat tous les David qui osent courir contre lui, alors qu’il est au firmament de sa carrière, à son acmé personnelle.

Repoussant l’usure du pouvoir et le toboggan du déclin avec une grinta admirable, Schumi tire la quintessence de ses dons prodigieux. Moine-soldat comme Senna, esclave de son destin de légende de la F1, l’Allemand est un stakhanoviste, un acharné du travail à Fiorano, où il possède chambre individuelle et salle de musculation. Comment espérer déboulonner l’idole ? A part le romantique Gilles Villeneuve, personne n’incarne mieux l’esprit de Ferrari que Michael Schumacher, pourtant froidement accueilli fin 1995 au moment du départ forcé de Jean Alesi vers Benetton.

A l’apogée de son destin de champion, au faîte de sa gloire, l’Allemand est devenu incontournable, sorte de pierre angulaire du projet Ferrari, de poutre maîtresse de l’édifice, de clé de voûte. Catalyseur du garage, il fédère les mécaniciens autour de lui, représente la figure de proue qui cimente tout un groupe vers l’objectif suprême : la victoire.

Priver le Kaiser du titre mondial sur l’ensemble d’une campagne est utopique tant l’alliage du trinôme Ferrari / Bridgestone / Schumacher ressemble au puzzle parfait, à la quadrature du cercle, chacun tirant la substantifique moelle de ses compétences sans cesse remises en question dans un cycle vertueux où la motivation demeure au zénith.

Plébiscité meilleur pilote du monde sans véritable contestation, Michael Schumacher repousse donc avec brio l’inexorable érosion du temps, l’arrivée du déclin qui frappe à la porte, tirant les marrons du feu de ce système infaillible qu’il a mis cinq ans à créer avec Jean Todt, Ross Brawn, Paolo Martinelli et Rory Byrne, autre chevilles ouvrières. Tous les sacrifices consentis par l’Allemand, qui aurait pu se couvrir de lauriers avec Williams et McLaren dans le contexte d’une F1 orpheline de Senna, finissent par payer.

Les records pleuvent puisque Schumacher a revêtu le bleu de chauffe sous sa combinaison rouge Ferrari, et l’Allemand rejoint puis dépasse Prost ainsi que Fangio dans les annales statistiques. Dans le cockpit de son bolide écarlate, le Kaiser sonne le tocsin des espoirs adverses le samedi par la pole position, puis le glas pour ses rivaux par la victoire le dimanche, avant le rituel : saut de cabri sur le podium, hymne allemand chanté du bout des lèvres, hymne italien mimé à la façon d’un chef d’orchestre, douche au champagne avec les mécaniciens de la Scuderia …

Dans une ambiance de western-spaghetti où manque l’harmonica d’Ennio Morricone, chacun se regarde en chiens de faïence dans cette F1 chloroformée par la Scuderia : quand cessera cette insolente domination marqué du sceau du Baron Rouge ? Pourquoi Ferrari ne fait-elle pas appel à un jeune fauve comme Montoya, Räikkönen ou Alonso aux côtés du virtuose pilote de Kerpen ?

Car Jean Todt est satisfait de Rubens Barrichello comme n°2, lui qui fait le job de porteur d’eau à la perfection, tel Gerhard Berger chez McLaren Honda entre 1990 et 1992 face à Ayrton Senna : capable d’assurer des doublés derrière le leader, voire de le supplanter lors de rares échecs du maestro (casse mécanique, faute de pilotage) … Comme l’Autrichien à Woking, Barrichello se heurte à un plafond de verre à Maranello.

La relation entre les deux hommes est strictement professionnelle, jamais ils ne deviendront amis. L’épouvantail Michael Schumacher est une machine à gagner. Point barre. Sa seule obsession : vaincre. Ses coéquipiers ? Un mal nécessaire, au mieux. Quand Barrichello reviendra sur leur relation, trois ans après avoir quitté la Scuderia, et se plaindra à mots couverts du traitement qui lui a été réservé, Schumi rétorquera, sèchement : Personne ne peut être ralenti par un contrat. Si tu es rapide, tu es rapide et tu es donc le numéro 1.

Quelques semaines après le sinistre épisode autrichien, Ferrari manipulait à nouveau le résultat d'une course au Grand Prix d'Europe 2002, cette fois en faveur de Rubens Barrichello qui triomphait juste devant son leader Schumacher au Nürburgring, la Scuderia devant s'éviter les foudres du tribunal de la FIA. Bref, ce qui aurait du être une victoire à la Pyrrhus pour Schumacher se transforma en simple épisode sombre de la carrière du Kaiser.

En 2002 cependant, Ferrari coupe la branche sur laquelle toute la F1 est assise : le respect du public, par l’impact catastrophique du désastreux doublé Schumacher / Barrichello manipulé via la radio Ferrari par Jean Todt et Ross Brawn depuis la passerelle de commandement à Spielberg, suivis de répliques du séisme autrichien : doublés Barrichello / Schumacher au Nürburgring, en Hongrie, en Italie et à Indianapolis … En Hongrie, l’Allemand humilie le Pauliste en se laissant décrocher avant de signer le meilleur tour dans la foulée sur le tourniquet magyar de Budapest. En Italie, sur l’autodrome de Monza devant les tifosi, Michael Schumacher se retient de ne pas doubler Rubens Barrichello …

Aux Etats-Unis, Schumacher ralentit pour faire une photo de famille avec la monoplace de son coéquipier brésilien … qui le devance in extremis de 11 millièmes de seconde. Le public américain se sent logiquement floué par cet épilogue ubuesque, le meilleur n’a pas gagné ! Le commentaire d’ESPN est laconique : Schumacher n’aurait pas fait pire en brûlé le drapeau américain ou s’il avait craché sur Dan Gurney.

Team principal de McLaren, Ron Dennis résume le sentiment général : Quand une écurie écrase la F1, elle a le devoir moral de laisser ses pilotes se battre entre eux, pour sauver l’intérêt de la compétition

Jean Todt répond sèchement au patron de Woking : Si nos adversaires veulent un championnat disputé jusqu’à la dernière course, ils n’ont qu’à mieux travailler.

Et Jean Todt tire sa fierté des quinze drapeaux flottant à l’entrée de l’usine de Maranello à son retour de Suzuka en 2002, une pour chaque victoire de la Scuderia en cette saison bénie des dieux : There are 15 flags out there. Weve ‘done such a fantastic job. It’s history.

En 2005, à Indianapolis, alors qu'il était déjà utopique pour Schumacher de conquérir une huitième fois le titre mondial, étant donné le gouffre de compétitivité existant entre Bridgestone et Michelin, l'Allemand fut tout de même favorisé dans le Grand Prix des Etats-Unis couru seulement par les trois écuries non équipées par Bibendum, à savoir Ferrari, Jordan et Minardi.

Bien que largué au classement du championnat par les leaders de Renault et McLaren, soit Fernando Alonso et Kimi Raikkonen, l'Allemand bénéficia encore d'un cadeau de son état-major aux dépens de Rubens Barrichello, ce qui poussa le Pauliste à quitter Maranello en 2006. Lassé de subir l'influence partiale du tandem directeur Jean Todt - Ross Brawn, qui se réfugiait dans sa tour d'ivoire à chaque polémique, Barrichello rejoignit Honda en 2006, le constructeur japonais phagocytant BAR, imitant ainsi BMW qui faisait de même avec Sauber. Honda et BMW pensaient reproduire le modèle d'écurie complète moteur/châssis rendu vainqueur par Ferrari (2000-2004) puis Renault (2005-2006).

Les Japonais et les Bavarois en oublièrent un peu vite deux contre-exemples fameux par l'ampleur de leurs échecs, Jaguar et Toyota.

L'idylle Schumacher - Ferrari se termina en queue de poisson fin 2006 par la volonté de Luca Di Montezemolo de briser l'influence de la Dream Team, et donc de favoriser l'arrivée d'un pilote n°1 bis pour 2007, Kimi Raikkonen.

A 37 ans, l'Allemand préféra la retraite qu'une cohabitation explosive avec Iceman, son dauphin en 2003 au classement mondial, et céda donc devant l'ultimatum du marquis.

Jean Todt se vengea de Montezemolo en organisant une concurrence inédite entre Massa et Raikkonen. Congédié en 2008 au profit de Stefano Domenicali, Jean Todt eut quand même le bonheur de voir le Finlandais triompher en 2007 face aux flèches d'argent de Hamilton et Alonso.

Héritier désigné du Kaiser Schumacher depuis ses deux couronnes 2005 et 2006, Fernando Alonso a remplacé Iceman au sein de Ferrari depuis 2010. Passé fort près de la couronne à deux reprises, en 2010 et 2012 contre Sebastian Vettel, l'Espagnol est le meilleur pilote de sa génération, comme l'était Schumacher à son époque.

En 2013 et 2014, la relation se tend entre Alonso et Ferrari. Une première pierre est posée dans le jardin de l’Asturien avec le retour en 2014 de Kimi Räikkönen pour une Dream Team entre le Finlandais et l’Espagnol (soit la plus belle paire de pilotes Ferrari depuis Nigel Mansell et Alain Prost en 1990), alliance ratée en 2007 chez McLaren Mercedes puis en 2010 chez Ferrari. En septembre 2014, Maranello fait signer Sebastian Vettel en vue de la saison 2015, ce qui contraint Alonso à partir chez McLaren Honda, pour un mariage de raison avec Ron Dennis, le patron de Woking avec qui la relation avait été si dégradée en 2007.

Comme tant d’autres pilotes latins avant lui, Fernando Alonso a quitté le Cavallino Rampante sans conquérir le titre mondial en rouge, de Clay Regazzoni (1974) à Felipe Massa (2008) en passant par Carlos Reutemann (1977), Didier Pironi (1982), Michele Alboreto (1985) ou encore Alain Prost (1990).

Le dernier pilote latin couronné avec la Scuderia reste l’Argentin Juan Manuel Fangio en 1956. L’ADN de Ferrari est de gagner avec des Allemands (Schumacher), Autrichiens (Lauda), Britanniques (Hawthorn, Scheckter) et autres Finlandais (Räikkönen), soit des Européens venant du Nord et non du Sud du Vieux Continent, voire des Anglo-Saxons d’autres continents comme l’Américain Phil Hill ou le Sud-Africain Jody Scheckter. Passé fort près de briser ce totem en 2010 et 2012, Alonso a vu la couronne rester un concept utopique pour lui avec Maranello …

L'actuelle Scuderia Ferrari est bâtie autour de son épicentre, Sebastian Vettel, puisqu’Iceman a déçu depuis 2014 contre Alonso sans pouvoir rectifier le tir en 2015, montrant un niveau bien loin de ses états de service de jadis chez McLaren (2002-2006) ou Ferrari (2007-2009, voire même Lotus (2012-2013). L’Allemand ne craint pas Kimi Raikkonen dans un futur proche à Maranello, mais il sait aussi que Jean Todt et Michael Schumacher ont imposé entre 2000 et 2004 le modèle gagnant en Formule 1 : un leader unique, un agneau sacrifié comme coéquipier.

Ce modèle fut poursuivi par Luca Cordero Di Montezemolo et Stefano Domenicali. Le gouvernail est désormais aux mains de Sergio Marchionne et Maurizio Arrivabene du côté de Maranello.

Ferrari a mis tous ses œufs dans le panier Alonso entre 2010 et 2013, puis est revenu à un modèle théorique de Dream Team avec Alonso / Räikkönen en 2014 et Vettel / Räikkönen entre 2015 et 2018. Charles Leclerc remplacera Räikkönen en 2019 aux côtés de Baby Schumi.

Mais le Finlandais n’a jamais pu concurrencer Alonso pas plus que Vettel, étant copieusement dominé par l’Espagnol puis éclipsé par l’Allemand.

Il reste à voir quand l’ancien pilote Red Bull récoltera les lauriers mondiaux avec Ferrari, vu l’hégémonie actuelle de Mercedes AMG et Lewis Hamilton. Derrière le cheval cabré, Red Bull Renault, Williams Mercedes, Renault et McLaren Honda vont pousser pour revenir dans la hiérarchie des top teams, pour ne pas laisser ce duel Mercedes / Ferrari qui était déjà un classique dans les années 30 puis 50, avec Alfred Neubauer comme chef d’orchestre pour l’étoile de Stuttgart.

Quadruple champion du monde avec Red Bull, Renault et Adrian Newey entre 2010 et 2013, Sebastian Vettel a quitté Milton Keynes avec une réputation entachée, tandis que Michael Schumacher était parti de Benetton couronné de seulement deux titres mondiaux fin 1995, mais auréolé du titre subjectif de meilleur pilote du monde dans une F1 orpheline d’Ayrton Senna.

Les fulgurances de Senna étaient comblées par les exploits majuscules de Schumacher, premier pilote 2.0 capable de se préparer physiquement comme nul autre champion de F1 avant lui.

Sebastian Vettel ne doit pas oublier que Michael Schumacher a dû patienter jusqu’au cinquième essai avec le Cavallino Rampante pour gravir l’Everest en 2000. Arrivé en 2015, Vettel a jusqu’en 2019 pour faire au moins aussi bien que son compatriote, là où Alonso a échoué, plus par la faute de Ferrari que par la sienne, tant le pilote espagnol a rempli sa part du contrat, notamment en 2012, climax de sa fantastique carrière.

Dépassé au nombre de victoires par Lewis Hamilton fin 2015 (43 à 42, les deux hommes ayant dépassé la légende Ayrton Senna bloquée à 41 succès), l’ogre allemand a été égalé en 2017 (4 titres chacun) puis sera très certainement distancé fin 2018 au nombre de couronnes mondiales, le pilote métis ayant poursuivi sa moisson de trophées avec sa flèche d’argent Mercedes ...

Enzo Ferrari, lui, laisse une aura immortelle et cette citation qui résume parfaitement l’état d’esprit qui doit régner à Maranello : Nous courrons tant qu’il restera de l’essence. Nous courrons tant que nous aurons des idées, de l’argent, du courage, des mains, des bras, de l’air à respirer et du sang coulant dans nos veines.



5 réactions


  • Axel_Borg Axel_Borg 15 octobre 2018 10:05

    Le modèle de Cesare Fiorio fut donc copié d’abord par Flavio Briatore chez Benetton avec Michael Schumacher en 1994-1995, puis par Jean Todt chez Ferrari avec le Kaiser entre 1996 et 2006.

    A l’exception des saisons 2007, 2008 et 2009 où Räikkönen et Massa se disputaient le leadership à Maranello (ainsi que 2014 entre Iceman et Alonso), Ferrari fonctionne ainsi depuis : Alonso devant Massa entre 2010 et 2013, Vettel devant Raikkonen entre 2015 et 2018 ...

    Mais beaucoup d’autres equipes aussi : McLaren, malgré son credo d’équité théorique, a favorisé Prost à Rosberg (1986) et Johansson (1987), Senna à Prost (1989), Senna à Berger (1990-1992), Senna à Michael Andretti (1993), Häkkinen à Coulthard (1996-2001), Raikkonen à Montoya (2005-2006), Hamilton à Kovalainen (2008-2009).

    Rares ont été les saisons avec une vraie lutte à armes égales à Woking : 1988 (Senna / Prost), 2007 (Alonso / Hamilton), 2010-2012 (Hamilton / Button), meme si Ron Dennis avaient ses favoris, Ayrton Senna et Lewis Hamilton ...

    Renault (2005-2006, Alonso leader devant Fisichella), Red Bull Racing (2010-2013, Vettel devant Webber) et Mercedes AMG (2017-2018, Hamilton devant Bottas) ont aussi gagné ainsi, sauf la firme allemande entre 2014 et 2016. Mais sa domination était telle sur la F1 qu’elle pouvait se permettre quelques accrochages, comme celui de Barcelone en 2016 entre Nico Rosberg et Lewis Hamilton ...


  • 4 ou 15 BM 15 octobre 2018 13:34
    Pfftt... trop long à lire !

    J’ai entendu dire qu’il allait bientôt sortir une Ferrari Diesel... quatre ou cinq cylindres en Vrac.
    Attache-remorque de série.
    Ils deviennent raisonnables.

  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 15 octobre 2018 18:18

    Bonsoir Axel ...Pour Enzo Ferrari son frère jumeau en moto était le comte Agusta constructeur des fabuleuses MV Agusta et directeur de l’écurie avec un palmarès long comme le bras...A peu près du même âge ces deux là ont du se côtoyer et s’apprécier.


    • Axel_Borg Axel_Borg 16 octobre 2018 09:03

      @Aita Pea Pea

      Ah je ne connais pas assez l’Histoire de la moto et de MV Agusta. Ce que je peux te dire sur Ferrari, c’est qu’il a réussi à désertifier le paysage en Italie.

      Lancia avait quitté la competition (F1) après la mort d’Ascari en 1955, cédant ses D50 au Commendatore pour la saison 1956, où Fangio les mena au titre mondial.

      Maserati, elle, a quitté la scène depuis bien longtemps aussi, peu après le 5e titre du maestro argentin en 1957.

      Et Alfa Romeo, la plus grande marque italienne de course d’avant-guerre, n’est jamais vraiment revenue : motorist de Brabham avec Lauda à la fin des années 70, constructeur à part entire en 1983, désormais motoriste de Sauber en 2018 ...

      Et comme les pilotes italiens ne gagnent pas le titre depuis Ascari en 1953 (excepté Mario Andretti en 1978, né dans la peninsula en 1940 mais devenu citoyen américain en 1964), Ferrari est désormais LA reference du sport automobile dans la Botte : de Musso à Trulli en passant par Bandini, Scarfiotti, Brambilla, De Cesaris, Alboreto, Patrese, De Angelis, Nannini ou Fisichella, aucun pilote transalpin n’a su eclipser le petit cheval cabré.

      Et plus que cela, lorsque Riccardo Patrese abandonne en 1983 à Imola sur Brabham BMW turbo, les tifosi exultant car cela propulse le Français Patrick Tambay en tête du GP de Saint-Marin, sur l’autodrome Dino Ferrari d’Imola. Mais le Cannois pilotait un bolide rouge marqué du Cavallino ...


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